Archives mensuelles : novembre 2021

Il y a un an…

Il y a un an, on me diagnostiquait un cancer de la tête du pancréas. Sidération. Cela n’arrive pas qu’aux autres, je le savais, et pourtant le choc n’en fut pas amoindri.

Chirurgie, chimio, un abdomen balafré, un crâne à nu, quelques organes en moins, pas mal de kilos envolés, des effets secondaires incommodants…, j’ai connu des bas et des « plus hauts », conservé malgré tout un optimisme chevillé au corps et à l’âme, capitonné d’une bonne couche d’inconséquence très certainement et de résilience innée. J’ai été merveilleusement accompagnée par le corps médical, mes proches, mes amis, et le suis encore. J’ai rencontré des patients fantastiques, qui ne lâchent rien malgré des années de douleur et de traitement. J’ai désormais acquis une conscience accrue de ce qui importe, de ceux qui comptent, et du reste et des autres sur lesquels il n’y a pas lieu de s’attarder.

Si l’on se fie aux statistiques, on ne survit pas à une telle maladie. Les ignorer, croire en ses chances, faire confiance aux médecins, et se convaincre qu’on peut s’en sortir. Mais le mental, s’il est essentiel, ne suffit pas pour vaincre le crabe, j’ai eu de la chance. Rencontre avec des professionnels de santé épatants, diagnostic précoce, bon état général, super équipe médicale à proximité, entourage réconfortant.

Rémission totale. Tout le monde n’a pas cette veine. Quand je l’oublie un instant, les autres me le rappellent, un peu trop brutalement parfois, j’ai de la chance de m’en être sortie jusque-là. Le petit renflement sous ma clavicule droite, dû à la chambre d’injection implantée et encore en place pour le cas où…, me rappelle, lui aussi, devant le miroir qu’une épée de Damoclès flotte toujours au-dessus de ma tête. Je préfère ne pas lever les yeux vers elle et garder le regard fixé sur l’horizon en profitant de tout ce que la vie m’offre.

« Une vie normale » m’avait laissé espérer le chirurgien. Ce qui ne signifie pas « une vie comme avant », je l’ai compris à retardement. Cette foutue naïveté, encore. Il me faut composer avec quelques ajustements mineurs. J’ai heureusement conservé mon cadre personnel, logement, amis, famille, hobbies…, et je fais un peu plus attention à moi. Je n’ai pas encore repris le travail, un poste trop stressant assurent les médecins, mais comme je n’en ai pas d’autre à portée dans l’immédiat, je prends mon temps. Un luxe. Ma vie est devenue plus précieuse, c’est finalement la grande différence. Tout le monde croit connaitre sa fragilité, répète à l’envi qu’on en a qu’une, mais c’est un privilège, je crois, d’en avoir la certitude ancrée dans sa chair. Pour mieux s’en délecter. Il n’est pas donné à tout le monde de savourer la vie, il faut y être entraîné ou forcé par le destin.

Le plus cocasse c’est qu’au départ de la chaîne de ma chance, de tout ce qui a concouru à me sauver, se trouve la Covid car c’est à cause de ses suites que je suis allée consulter. Comme quoi dans tout il y a du bon, encore un truc qu’on répète sans s’en convaincre.

Le cancer est un évènement intime, m’ont dit certains, je comprends que tu n’en parles pas. Si je ne l’ai guère évoqué jusque-là, c’est pour ne pas inquiéter, pour que l’on ne s’apitoie pas sur mon sort, et non parce que c’est « intime ». Ce que j’ai ressenti, ce que je ressens est intime mais pas le fait d’être touchée comme tant d’autres. Au contraire, il faut en parler, et c’est pourquoi je publie ce message pour contribuer à mon humble niveau à ce que la maladie ne soit plus un tabou, en entreprise et partout ailleurs, pour que tous ceux qui sont ou seront concernés soient convaincus qu’ils n’ont pas à culpabiliser, à se taire, que le cancer n’est pas contagieux, même pas par les mots, qu’il effraie moins quand on en parle et surtout, surtout !, qu’ils peuvent espérer eux aussi « avoir de la chance » et s’en sortir. Un an après, moi je vais bien !

Ecrire c’est se rebeller

J’aime bien cette idée, elle me parle comme on dit. Ecrire de la fiction c’est se rebeller contre la fatalité de la réalité. C’est Guillaume Musso qui l’a écrit dans La vie est un roman (que je n’ai pas lu) et il en connait un rayon sur le sujet !

Il est jouissif en effet pour les auteurs de fiction de tordre le cou à la triste réalité, de détourner des destins, d’enfanter des héros si attachants. C’est pour cela qu’on écrit, que j’écris en tout cas.

Thomas Pesquet, le retour.

Photo Cité de l’espace

Thomas Pesquet est de retour parmi nous, les Terriens. Je l’ai déjà écrit, cet homme me stupéfie, dans le bon sens du terme. M’épate quoi. Il semble aller dans l’espace comme d’autres vont ramasser des champignons, en toute décontraction, avec le sourire aux lèvres et l’envie inoxydable d’expliquer que c’est pas la mer à boire tout ça. Des tuyaux, de l’oxygène, quelques effets incommodants dont personne ne voudrait, trois fois rien. Des comme lui, il n’y en a même pas autant que de doigts de la main.

Quand je suis tombée par hasard sur un post de Bruno Le Maire sur un réseau social, je ne sais plus lequel, qui le qualifiait de héros et se prenait dans la tête une avalanche de réponses s’insurgeant contre ce qualificatif, j’ai été stupéfaite, dans le mauvais sens cette fois. Les pompiers et les soignants sont des héros, pas lui. Il est grassement payé pour ce qu’il fait. Risques nuls à notre époque, avec tour le staff derrière. Gagarine était un héros, pas lui dans sa spacieuse station… J’en passe et des moins aimables. Et j’imagine hélas n’avoir lu qu’un pouillème du dégueuli réseaux sociaux et moins sociaux sur le sujet.

Alors j’ai cherché, me trompais-je ? Héros, celui qui se distingue par ses exploits ou un courage extraordinaire.

Un exploit de rester six mois en orbite à 400 kms au-dessus de nos têtes ? Certainement. Du courage d’affronter les épreuves physiques, mentales, psychiques pendant les années de sélection et durant tout le séjour ? Sans aucun doute.

On n’attaque pas mon idole ! Le sujet est clos, il n’y a pas lieu d’en débattre. Point à la ligne. (Un bon titre de roman, non ?)

On ne peut pas vivre l’instant…

« Je parie que tu es écrivain. Ou apprenti écrivain. Ne t’étonne pas : j’ai appris à reconnaître les gens de ton espèce au premier coup d’œil. Ils regardent les choses comme s’il y avait derrière chacune d’elle un profond secret. Ils voient un sexe de femme et le contemplent comme s’il renfermait le clef de leur mystère. Ils esthétisent. Mais une chatte n’est qu’une chatte. Il n’y a pas à baver votre lyrisme ou votre mystique en y noyant vos yeux. On ne peut pas vivre l’instant et l’écrire en même temps.

— Bien sûr que si. On peut. C’est ça, vivre en écrivain. Faire de tout moment de la vie un moment d’écriture. Tout voir avec les yeux d’un écrivain et…

Voilà ton erreur. Voilà l’erreur de tous les types comme toi. Vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C’est faux. Les écrivains, et j’en ai connu beaucoup, ont toujours été parmi les plus médiocres amants qu’il m’ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leurs caresses est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase. Lorsque je leur parle pendant l’amour, j’entends presque leurs « murmura-t-elle ». Ils vivent dans des chapitres. Un tiret de dialogue précède leurs paroles (…), en fin de compte, les écrivains comme toi sont pris dans leurs fictions. Vous êtes des narrateurs permanents. C’est la vie qui compte. L’œuvre ne vient qu’après. Les deux ne se confondent pas. Jamais. »

Ce texte est extrait du dernier roman de Mohamed Mbougar Sarr (lecture recommandée par mon amie Nicole), La plus secrète mémoire des hommes, qui vient d’obtenir le Prix Goncourt et dont j’aurai très certainement envie de reparler.

C’est la magie des textes réussis de mettre des mots sur des situations, des émotions qu’on a connues, de les faire remonter dans sa mémoire, de leur donner de la matière. En lisant cet extrait, je me suis revue à l’hôpital (loin d’une scène d’amour !) il y a quelques mois en train d’imaginer la façon de décrire ce que je vivais, d’en construire des phrases. Je percevais qu’il s’agissait pour moi d’écrire ces instants douloureux pour ne pas les vivre vraiment. De me placer en observateur pour ne pas en être le sujet. Ah ça, j’en ai mis dans mon récit mental des tirets, des « pensa-t-elle », des « dit-il », des silences et des bruits de crocs dans le couloir !