Tous les articles par Fabienne Vincent-Galtié - Auteure

Les charmes discrets…

Je l’avoue, je n’avais pas lu Douglas Kennedy jusqu’alors. Il a fallu que « Les charmes discrets de la vie conjugales » attirent mon attention, il y a quelques semaines, sur l’étalage d’un bouquiniste.

Quelques pages tournées et, déjà, j’étais sous le charme de ces charmes discrets.

La plume de Douglas Kennedy est magnifique, le thriller haletant. Et puis il y a le fond de l’histoire qui nous mène de réflexion en réflexion, sur les questions du couple, des idéologies, des dérives du puritanisme américain et de l’emballement médiatique.

 

La surveillante de musée

Encore dix minutes à entendre cette voix angoissante ! Aline, la surveillante du musée, trépigne. En pensée seulement elle piaffe car montrer un quelconque signe d’impatience serait prendre le risque d’un sermon de sa chef. Elle ignore comment elle s’y prend, mais elle voit tout, la chef. Aline reste bien dans le coin. Il n’y a que de cet endroit précis que tu peux balayer du regard tous les recoins de la salle et surveiller les œuvres ! La chef l’a dit et répété, elle doit s’y tenir.

Plusieurs mois de salaire

Alors Aline reste bien dans l’angle, droite sur ses jambes, qui la font parfois souffrir, et avenante, autant qu’elle peut, avec pour œuvre la plus proche, une composition sonore. Elle ne comprend rien à l’art contemporain, à se demander s’ils n’ont pas un peu fumé la moquette et sniffé la colle du papier peint ces artistes exposés. Sur sa gauche, une œuvre immense, composée de vieilles affiches collées sur des cartons. Dite immersive. Le visiteur doit se sentir absorbé par cette profusion de couleurs, c’est ce qui est écrit sur le panneau explicatif. Elle a tenté de se dire Je suis absorbée, je suis absorbée, elle s’est juste sentie perdue dans ce fatras. Au centre de la pièce, un lave-linge peint uniformément en rose pour montrer le paradoxe de la robotisation entre déshumanisation et libération de l’humain. Là aussi, c’est écrit.  Et si je peignais moitié blanc moitié noir mon réfrigérateur pour montrer qu’il n’a pas toujours été rempli, je serais exposée moi aussi pour quelques milliers d’euros ? Plusieurs mois de salaire pour un coup de peinture.

Stressante télé

Aline observe les visiteurs plus que les œuvres, tente d’amorcer la conversation avec certains, pas facile, pour se détourner de la télé qui beugle toute la journée. La sienne est tombée en panne il y a plus de deux ans, quand elle était au chômage et avait déjà bien du mal à s’en sortir avec ses faibles indemnités. Elle n’a pas pu la remplacer et s’en est trouvée beaucoup mieux, moins angoissée à écouter la radio, et lire les romans qu’elle dégote dans la médiathèque de son quartier le mardi matin, jour de relâche, plutôt qu’à se gaver d’actualités déprimantes et de films policiers.

Terreur en direct

Ce job, c’est la chance de sa vie. Huit ans à surveiller les œuvres, rien à voir avec ce qu’elle faisait avant, la boniche de gens gâtés et odieusement exigeants. Elle y met tout son cœur. Reculez, monsieur où ça va sonner. Il est formellement interdit de toucher, Madame. Pour avoir des explications, sollicitez le médiateur là-bas. Jusqu’à cette expo-ci, et cette salle-ci précisément, tout allait bien. C’est l’œuvre qu’elle a sous le nez, la plus proche de l’angle dans lequel elle se tient, qui lui fiche le bourdon. Un petit écran de télévision encastré dans un bloc de béton diffusant le même extrait d’actualité ancienne en continu. Elle ne parvient pas à s’en détacher, le son lui vrille le cerveau : Flash Actualité – Nous venons d’apprendre qu’un avion de ligne a percuté une tour du World Trade Center, les derniers étages de la tour seraient en feu. Nous allons recevoir un direct de New-York. Mon Dieu, un autre avion viendrait de s’encastrer dans la seconde tour. On ne peut pas croire à un accident alors… Elle tente d’échapper au visage terrifié de David Pujadas à l’écran mais souvent elle y revient, c’est ainsi. La monstruosité est fascinante. Et terriblement oppressante. Trois minutes, elle a chronométré, d’horreurs en boucle, qui lui prennent les tripes.

Rotation bienvenue

Enfin, son collègue Marc se dirige vers elle, à pas mesurés, le sourire aux lèvres. La relève, dit-il en prenant place dans l’angle de la salle, qu’elle quitte aussitôt. Un engrenage bien huilé qui se met en branle toutes les vingt minutes. Cinq salles à surveiller, une salle de pause, six surveillants qui tournent de salle en salle comme une horloge suisse. La salle vers laquelle se dirige Aline pour remplacer Aïcha, est la tour comme ils l’appellent entre eux. Une pièce circulaire, sans autre ouverture que la porte vitrée qui sert à y entrer, un mur en pierre apparente qui lui fait valoir son surnom avec, adossée, une banquette en bois face à un pan de tissu peint, unique et monumental tendu sur le mur. Le surveillant a le droit de s’asseoir si les visiteurs ne font pas mine de rechercher un siège. Et aucun des vigiles ne s’en prive. Des visiteurs, il doit y en avoir six par tiers d’heure, au grand maximum, dans cette pièce retirée et sombre. Jérôme, un autre surveillant, s’y est assoupi, la chef lui a fait sa fête. Aline doit souvent retenir des bâillements à cette étape, à observer ce barbouillis carmin sur fond grège, seulement éclairé depuis le sol. Métamorphose de l’humain, indique le panneau, sans qu’Aline n’y voie ni humain ni métamorphose. Mais au moins dans cette salle, elle retrouvera son calme. Son rythme cardiaque s’apaisera. Vingt minutes de pause dans la pénombre. Ensuite, elle gagnera la salle des portraits, celle qu’elle préfère, puis la salle de repos, et terminera dans le grand hall, le plus passant. Souvent elle y est interpellée, et cela lui plait.

Aïcha, c’est la relève. Tu vas bien ? Aïcha hoche la tête en se levant. Trois visiteurs, c’est la planque ici. Aline regrette de ne pas avoir l’occasion de papoter plus longtemps avec cette nouvelle surveillante qu’elle trouve sympa. Dans la salle des portraits, Pierre-Jean attend son tour de repos.

Pénombre douillette

Aline s’assied à son tour et étend ses jambes, l’oreille aux aguets, prête à rabattre ses jambes au premier chuintement de la porte.

Elle pense à son chez elle douillet qui l’attend, au plat de lasagnes qu’elle a préparé la veille, à sa copine Vanessa qui viendra la rejoindre à sa sortie du musée… et peu à peu, sur ses pupilles, le visage terrifié de David Pujadas s’estompe comme le brouillard dans la vallée lentement réchauffée par le soleil.

Soleil de nuit

Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas plongée dans un thriller. Le monde en est un, inutile d’en rajouter. Il n’y a qu’à écouter les infos du jour pour se sentir  au coeur d’un monde vibrant de tensions et de peurs et dont nombre de protagonistes relèvent d’une psychologie quelque peu tordue.

Soleil de nuit de Jo Nesbo m’a réconciliée avec le genre. Si le thriller feelgood existe, il en est. On peut être tueur à gages et profondément humain. On peut vivre dans une contrée inhospitalière au possible et se montrer charitable. On peut être accueilli au pays du soleil de minuit avec ses parts d’ombre. On peut ne plus croire en grand chose et tomber amoureux.

Bonnes résolutions 2025

En panne de bonnes résolutions pour cette nouvelle année ?
Dans son blog Entre2lettres, Pascal Perrat signale cet article L’IA et le déclin de l’écriture : un monde divisé entre penseurs et non-penseurs annonçant en substance la perte de la capacité à écrire, donc à structurer sa pensée, avec la montée en puissance de l’IA, à rapprocher de la perte musculaire qui touche notre société devenue sédentaire. Si je déplore évidemment cet appauvrissement, j’aime cette idée de considérer les ateliers d’écriture comme des salles à se muscler le cerveau et envisager la promotion de l’écriture comme on encourage l’exercice physique.
J’écris donc je pense en somme.
Quelques lignes d’écriture à ajouter à son running/yoga/fitness matinal pour un meilleur bien-être ? Voilà qui me semble une excellente résolution de début d’année (à tenir !)
Image par StockSnap de Pixabay

Le père Noël chez les Panou

Conte de Noël
Il était une fois une jolie maison dans un village portant le nom bizarre de Toulmondicroy.
Préparatifs
Alors qu’en cette veille de Noël, tous les habitants du village se trouvaient dans un état d’effervescence à faire sauter le bouchon, dans la maison de la famille Panou, c’était beaucoup plus calme. Le petit Gaspard était parti se coucher, certain de trouver le lendemain matin au pied du sapin en bois de palettes recyclées le grand livre sur les animaux en voie d’extinction qu’il feuilletait lorsqu’il se rendait chaque mois avec ses parents à la librairie de la grande ville voisine. Ces derniers avaient promis de le lui offrir pour Noël s’il continuait à se montrer toujours aussi prévenant et gentil avec son copain Matisse,  « un pauvre gamin en situation de handicap, doté de parents démissionnaires, dans une maison qui sent le chien mouillé ». Il a bien besoin de ton amitié, disaient-ils, mais Gaspard trouvait que c’était plutôt lui qui avait bien besoin de son copain et peu lui importait sa jambe qui trainait et son odeur de fauve. Matisse racontait plein de blagues rigolotes, attrapait les insectes avec les doigts, savait repérer les empreintes des animaux et cueillir des herbes. Dans la forêt il était comme chez lui, normal avec un père bûcheron.
Mensonges
Chez les Panou, arrivés de la ville trois ans plus tôt, on travaillaient à domicile sur ordinateur et on se changeait de pied en cap en rentrant de promenade.
Matisse croyait dur comme fer au Père Noël et Gaspard avait interdiction de lui rapporter que cette histoire de barbu avait été inventée par les parents avec pour seul objectif de faire tenir sage leurs enfants. N’importe quoi comme la fable de la petite souris… Bref.
Au lit !
Alors que l’horloge de l’église affichait une heure trente, Matisse s’était enfin endormi après avoir regardé, en famille, un film policier et joué avec sa petite sœur Laura à celui qui sauterait le plus haut sur le lit, comme les deux puces excitées qu’ils étaient à l’idée du cadeau surprise que le gros bonhomme à la barbe blanche aurait choisi pour eux.
A cette heure de la nuit, Gaspard tentait de dormir comme l’enfant sage qu’il était, après avoir déchiffré une histoire avec l’aide de sa mère, reçu deux bisous et un Bonne nuit mon chéri, dors bien, demain on ouvrira nos cadeaux. Il songeait à son copain. Il était tellement difficile à seulement presque six ans de tenir sa langue, surtout pour ne pas révéler un mensonge aussi énorme des adultes ! Il était heureux que ses parents ne soient pas des menteurs, eux, mais ça lui gâchait un peu la fête de se sentir dépositaire de ce secret et il l’aurait bien partagé, juste avec Matisse. Le problème, c’était Laura, ses trois ans, son ouïe super fine et sa langue bien pendue.
Un drôle de visiteur
Pendant que Gaspard bataillait avec sa conscience, un homme de rouge vêtu s’approchait furtivement de la maison des Panou. Ses bottes crissaient sur le tapis de neige fraîche et il devait souvent s’arrêter pour réajuster sa ceinture qui glissait sous son gros bidon. La faute à un excès de dinde au réveillon. Et au 364 dîners précédents. Il n’avait plus un métabolisme de jeune homme, c’était bien le problème. « Promis demain je me mets aux endives braisées ! Allez, encore une cheminée un peu difficile à franchir et ça ira mieux ! » pensa-t-il en lançant un regard expert vers le conduit un peu plus étroit qu’il ne l’espérait.
Avec un soupir, il entreprit de descendre dans la cheminée, ses bottes glissant contre les briques mais il se rendit compte, à mi-chemin, de sa terrible erreur. Il aurait dû passer par la porte. Son abdomen festif venait de se coincer dans le conduit et c’était pour le moins fort embarrassant.
A l’aide !
Le Père Noël s’éclaircit la gorge. « Hum, les rennes, vous ne pourriez pas m’aider s’il vous plait ? » Mais les rennes ne l’entendaient pas, épuisés comme ils l’étaient à tirer depuis des heures une hotte remplie et leur patron bien trop nourri  qui, de son côté ne pouvait guère se risquer à hausser le ton pour ne pas réveiller toute la maisonnée.
Effet papillon d’un IMC majoré : après le coeur, les genoux, les cheminées, et les animaux volants. Vivement les endives.
Le bazar
Pour tenter de débloquer la situation, son ventre surtout, le Père Noël agitait les jambes d’avant en arrière dans d’étranges soubresauts comme un patin devenu fou.
C’est alors qu’arriva Gaspard, dans son pyjama à queue de lapin, les cheveux en bataille et les yeux piquant de sommeil. « Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? » demanda-t-il en voyant une paire de bottes qui dépassaient du foyer. « T’es le Père Noël ? » ajouta-t-il, une pointe d’incrédulité dans la voix. « Et qu’est-ce que tu fais coincé là-dedans ? »
« Ho, ho… hum… oui, c’est moi, le Père Noël », répondit une voix étouffée assortie d’un soupir de frustration.
Gaspard croisa les bras, bien décidé à mettre à jour l’imposteur. « Je ne te crois pas, le Père Noël n’existe pas. Tu es une histoire pour faire rêver les petits, mais moi je suis grand ! »
Le Père Noël, légèrement vexé mais amusé par ce petit bouchon qui jouait au cador, répondit : »Ah, les parents… Toujours à vouloir que leurs enfants grandissent trop vite. Mais dis-moi, si je n’existe pas, qui est en train de parler avec toi en ce moment ? »
Le bambin haussa les épaules avec un sourire. « Peut-être un cambrioleur un peu bizarre qui voudrait se faire passer pour le Père Noël ? Mais comment t’as fait pour te retrouver coincé là-dedans ? »
Le Père Noël ricana, sa voix résonnant dans le séjour silencieux. « Eh bien, disons que j’ai un peu abusé des biscuits cette année. C’est ma petite faiblesse, hélas. Et toi, c’est quoi ? « 
Et de trois !
Gaspard allait répondre que sa maman lui donnait un fruit et un yaourt à quatre heures mais que le marbré de la mère de Matisse était vraiment trop bon, quand la maman en question se présenta à son tour dans le séjour, alertée par d’inhabituels bruits de voix.
« Gaspard, avec qui parles-tu ? » demanda-t-elle un peu inquiète.
Les yeux du fiston s’allumèrent, il poussa un petit rire étouffé. « Je discute avec quelqu’un qui prétend être le Père Noël », répondit-il sur le ton de celui qui fait une bonne blague. Charline haussa un sourcil, incrédule, jusqu’à ce qu’elle remarque les jambes bottées qui pendaient dans la cheminée comme deux jambons secs. « Ca alors, c’est la meilleure surprise de Noël qu’on m’ait jamais faite ! Mais sérieusement, qui que vous soyez, comment êtes-vous arrivé là ? »
« Un brin d’excès alimentaire, une cheminée étroite et voilà où j’en suis, déplora-t-il. Vous ne pourriez pas m’aider au lieu de vous bidonner ? »
Boum !
Gaspard et sa mère saisirent chacun une jambe et tirèrent dessus tant qu’ils purent. Si bien qu’une botte alla atterrir sur le canapé mettant à jour une magnifique chaussette rayée trouée sous le gros orteil. « Tu joues au foot ? » demanda Gaspard. « J’ai bien envie de vous chatouiller la plante du pied » le taquina Charline. « Vous pouvez pas plutôt tirer encore un peu ? » suggéra le gros bonhomme.
Finalement, après une série de contorsions particulièrement comiques, de Hu ! et de Ha  ! de la part des trois protagonistes, le Père Noël tomba dans l’âtre comme un poids mort.
« Ouf ! lâcha-t-il avant de lisser sa barbe, d’ajuster son manteau, assorti à ses joues devenues écarlates, et de réenfiler sa botte noire. « Je vous dois un grand merci à tous les deux. Tiens Gaspard, voici ton cadeau. Et pour vous Charline un autre, vous le méritez bien ! »
Le nuage magique
Il siffla. Un nuage aussi blanc que la neige descendit par la cheminée et vint s’enrouler autour du vieil homme. Juste avant d’être totalement enveloppé, il adressa un clin d’œil à Gaspard. « Continue de croire aux petites choses magiques, d’accord ? « Et se tournant vers Charline : « Et vous aussi, la vie est tellement plus belle quand on accepte l’irréel ! »
Sur ces paroles mystérieuses, il disparut dans le nuage qui ne tarda pas à s’évaporer sur du vide, laissant la mère et le fils échanger un regard aussi étonné que complice. « Mais comment il a fait ? » demanda Gaspard. « La magie de Noël ! » répondit Charline.
« Viens, on va dormir, on ouvrira nos cadeaux demain » dit-elle en entrainant son rejeton.
Gaspard ne rechigna pas, il affichait même un visage barré d’un immense sourire et des yeux plus malicieux encore qu’à l’accoutumé.
Il avait désormais, bien plus important qu’un cadeau à déballer, un merveilleux secret à partager avec Matisse.
Et c’était vraiment le plus beau cadeau au monde, foi de Gaspard !
Image par Oberholster Venita de Pixabay

Sourires en boîte à lettres

J’écris des lettres à des inconnu.e.s. Je vous raconte !

Ces dernières années ma mère vivait seule chez elle. Son grand âge l’ayant isolée de son voisinage, je lui téléphonais quotidiennement, ou presque, pour qu’elle ait eu au moins une opportunité de raconter à quelqu’un les petits riens de sa journée. Un rituel bien installé qui la conduisait à prendre des notes pour être certaine d’avoir quelque chose à me raconter. Pour moi aussi, c’était important. Je ne raccrochais pas tant qu’elle n’avait pas ri. Souri du moins, un sourire s’entend, même au téléphone. Je lui racontais des bêtises, des anecdotes, des broutilles.

Ils me manquent aujourd’hui ces échanges quotidiens. Je me prends encore à prévoir de raconter ceci ou cela le soir même. Mais il n’y aura pas d’appel en rentrant du travail.

Ce temps, je le consacre désormais à l’association 1 lettre 1 sourire. J’écris des lettres à des personnes âgées inconnues hébergées en maison de retraite, en pensant à ma mère. En tenant de les faire rire ou peut-être seulement sourire. J’aimerais être une petite souris et observer le visage de mes lecteurs, voir si mes mots agissent sur eux comme un câlin. Et peut-être un jour franchirai-je le pas en rendant visite à l’un d’eux.

Vous vous souvenez comme j’aime les smiley ? Rien n’est hasard, tout est destinée.

 

La femme de chambre

Bonjour Madame, bonne journée ! Maria pousse son chariot dans le couloir de l’hôtel. Certains clients la saluent en passant, telle cette femme à l’instant, d’autres ne la voient pas, comme si elle n’était que cette plante posée près de l’ascenseur ou ce vase sur la console du hall. Elle en a pris son parti. Elle a un job stable qui lui procure un Smic mensuel, ce n’est pas le Pérou mais de là où elle vient c’est déjà l’Amérique.

Elle en a connu des galères, du travail de nuit, des employeurs peu scrupuleux, malhonnêtes pour certains. Elle a toujours été bonne, bonne avec les autres et bonne chez les autres. Ménage, repassage, course… à se casser le dos et s’abîmer les mains, mais elle ne sait rien faire d’autre, c’est ce qu’elle croit du moins, comme si s’appeler Maria prédestinait à cette condition de femme de ménage.

Depuis qu’elle travaille dans ce nouvel hôtel trois étoiles, sa vie a changé. Elle se brise toujours le dos et s’esquinte les mains, mais elle a des collègues avec qui partager souffrances et petits bonheurs, des horaires fixes – 7h-14h, une paie qui tombe le dernier jour du mois ainsi que des relations saines avec son employeur. Elle n’est pas de ceux qui rechignent à la tâche, qui se plaignent du salaire minimum et des exigences du patron, qui envient les clients. Elle arrive à l’heure, fait son boulot, partage quelques moments complices avec ses collègues et rentre chez elle en début d’après-midi pour s’occuper de son intérieur avant de récupérer son fils à la sortie de l’école. Sa seule espérance est de conserver cet emploi aussi longtemps qu’elle sera capable de travailler.

La chambre dans laquelle elle entre est ordonnée. Ce n’est pas courant. A la forme des draps, au nombre de chaussures, à d’infimes détails, elle sait qu’une seule cliente occupe cette chambre. Le contenu de la salle de bain le confirme. Des crèmes de luxe, une brosse en poils de sanglier, une brosse à dents. Maria récure la baignoire, les toilettes, change les serviettes.

Dans la chambre, elle tire les draps, tapote les oreillers, repositionne le repose pieds. Elle plie avec soin le peignoir en soie rose qui attendait sur le fauteuil et le dépose délicatement sur le lit. Elle époussète la table de nuit, replace soigneusement les effets qui s’y trouvaient. Un livre, un stylo, un petit carnet brun. Sur la tablette-bureau, elle rassemble feuillets et magazines en deux piles ordonnées. Sous l’un d’eux, elle découvre un bijou. Une bague dorée avec une pierre bleue et des brillants tout autour. On dirait la bague de fiançailles de Lady Diana, Maria l’a contemplée dans un ancien magazine qui trainait chez son médecin. Elle l’observe. Une vraie bague de princesse.

Elle devrait la reposer aussitôt, la laisser bien en vue. Cesser de la regarder. Mais c’est plus fort qu’elle, elle passe son annulaire gauche dedans, enfile l’anneau jusqu’à la jointure et lève la main à hauteur d’yeux. Les pierres brillent, c’est elle qui est une princesse maintenant.

Le temps d’un éblouissement et la raison reprend le dessus. Vite, il lui faut la retirer. Mais la bague coince et Maria panique. Son cœur s’emballe, ses doigts tremblent. La porte de la chambre s’ouvre, une femme distinguée entre le sourire aux lèvres. Bonjour ! Vous avez… La femme regarde l’employée à l’air décomposé et la bague au bout de son doigt qu’elle ne cherche même pas à cacher.

Je suis désolée, susurre Maria les yeux baissés vers la moquette. Vous avez retrouvé ma bague, c’est une bonne nouvelle, je croyais l’avoir oubliée dans les toilettes d’un restaurant hier, rétorque la cliente en tentant de capter le regard de la femme de chambre. Comment vous appelez-vous ?

Maria donne son prénom d’une voix hésitante. La femme va la dénoncer, c’est mérité.

Maria, comme ma grand-mère, c’est un joli prénom, commente cette dernière en se rapprochant de l’employée. C’était une femme charmante et cette bague me vient d’elle, c’est pour cela que j’aime la porter.

Maria a pu retirer le bijou, le pose sur le bureau, les joues rougies par la honte. Cette bague est vraiment magnifique, je suis désolée…

Vous n’avez fait que l’essayer, jusque là ce n’est pas un crime, tempère la femme en plantant ses yeux dans ceux de Maria comme si elle y enfonçait le bras pour en retirer la bonde, je suis arrivée au mauvais moment, je n’en aurais certainement rien su autrement.

Sous le regard inquisiteur de la cliente, Maria sent ses vêtements tomber. Mais sa nudité fictive, étonnamment, lui redonne un semblant d’aplomb comme si elle révélait que son âme n’a rien à cacher. Je ne suis pas tentée d’habitude, je ne comprends pas, c’est la première fois que je me permets une telle attitude… assure-t-elle, mais la femme la coupe. Ce doit être tellement difficile pour vous toutes ces tentations. C’est aussi de ma faute, je n’avais pas à la laisser trainer. Et puis, il doit y avoir un effet Maria. Ma grand-mère tenait certainement à ce que vous l’essayiez. Avez-vous terminé ma chambre ?

Oui, madame, répond Maria. Presque elle ferait une courbette. Je vous souhaite une bonne journée.

Dans le couloir, elle s’agrippe à son chariot. La tête lui tourne. Tu es pâle, remarque sa collègue Janie, va te rafraichir un peu et mange un bonbon.

Tout l’après-midi, Maria pense à son forfait, se torture à coup de remords, se noie dans sa culpabilité. La nuit elle imagine le pire, la dénonciation, le licenciement pour faute lourde, le loyer qu’elle ne pourra plus payer, la rue pour son fils et elle. Les clients qui sont tout sourire et se plaignent pour trois fois rien auprès de la direction, elle les connait bien. Pour une tentative supposée de vol, elle ne peut y couper. La cliente lui a paru aimable, a parlé comme si elle ne prenait pas la chose au tragique, mais elle n’est certainement pas différente des autres. Maria se reproche sa faiblesse, transpire, tourne et retourne. Le sommeil la fuit comme si elle était devenue infréquentable. Quand elle doit retourner à l’hôtel le lendemain matin, c’est un calvaire.

En début de matinée, elle croise son patron, baisse la tête. Maria, vous avez un souci ? lui demande-t-il. Non, non, je suis fatiguée, élude-t-elle.

En fin de service, ne pouvant plus éviter l’étage fatidique, elle passe devant la chambre 223, celle de sa honte. Janie en sort, sourire aux lèvres. Sympa cette cliente, elle a laissé un pourboire et un mot : Merci pour tout !

Tu l’as vue sortir ? demande Maria. Non, répond sa collègue, mais selon Dominique, elle serait partie de très bonne heure. Il a fait son check-out à sa prise de service.

Il n’a rien dit à propos de la cliente ? s’inquiète Maria. Non rien de plus que ce départ à l’aube, pourquoi ? Janie fronce les sourcils.

A cet instant, le directeur de l’établissement sort de l’ascenseur et se dirige vers elles. Le coeur de Maria tambourine à lui défoncer la cage thoracique. Elle se tourne vers son chariot à la recherche d’un morceau de savon pour ne pas avoir à croiser son regard.

Bonjour mesdames, tout va bien ?

Ca va, répond Janie d’un air désinvolte. Absolument, renchérit Maria.

Oui tout va bien, pense t-elle en sentant ses épaules s’alléger d’un invisible manteau de plomb. La vie parfois n’est pas si chienne.

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