Les paroles s’envolent

« Les paroles s’envolent, les écrits restent, dit le proverbe, je n’y crois pas ! Les paroles sont assassines, trompeuses ou excessives alors que les écrits sont réfléchis, sincères et précis.
Les paroles ne s’envolent pas ; elles s’incrustent.
Les écrits ne restent pas, ils caressent. »

En lisant ces lignes attribuées à Bruno Combes dans Ce que je n’oserai jamais te dire, je pense à mon premier roman, Point à la ligne, dont le fil rouge réside dans les écrits. Des écrits dans lesquels des femmes en proie à des doutes trouvent la force d’avancer, de dépasser leurs hésitations.

« Les paroles s’envolent, les écrits restent » ai-je fait dire à la mère de l’une des héroïnes qui vouait un véritable culte à la lecture. Tel un mantra.

La force des écrits est assurément plus puissante que celle des paroles. Les écrits assassins ont des lames en acier trempé. Les écrits caresses sont infeutrables. Mais que penser des écrits jetés à la vite dans un mail, un post ou sur un bout de papier ? Ceux-là très certainement échappent à la règle.

Image par Gerd Altmann et Talpa de Pixabay

Le transporteur et la vieille dame

Ça y est, j’ai la date de mon déménagement !

Mon neveu Thomas est ravi. Un logement plus vaste, avec un jardin, l’attend. Projets d’aménagement, de décoration… en perspective. Et échéance pour moi qui lui ai promis une table pour contribuer à son emménagement.

Projet de livraison

Il me faut dare-dare trouver le moyen de transporter ledit meuble de la région parisienne jusque dans le sud-ouest, à moindre coût puisqu’il s’agit d’une table que j’adore, de famille certes, mais qui ne vaut plus grand-chose sur le marché des antiquités.

Allo, Mam, je vais certainement te faire livrer une table pour Thomas. Il l’embarquera chez lui avec tous les autres meubles que tu lui donnes. Tu es beaucoup plus disponible que lui pour réceptionner la table. Ça va être trop compliqué pour moi, sinon, de trouver un transporteur avec le bon créneau horaire, pour lui comme pour moi…

Bien sûr ma chérie. Thomas a commandé un camion de déménagement le 12 pour emporter d’ici le lit, les chaises et la commode. Il faudrait que la table arrive entretemps. Sinon, pas de problème, bien sûr que je peux m’en occuper.

Mère se montre toujours coopérative. Après quelques clics sur le clavier pour déposer une annonce sur un site de transport entre particuliers, tel un pêcheur à l’affut, j’attends ma prise. J’ai deux semaines devant moi. Large.

Pêche en cours

Le premier poisson se dit prêt à enlever la table à ma convenance mais ne peut pas m’assurer une livraison avant le 15. Si jamais je descends plus tôt, je vous préviens ! ajoute-t-il.

Le poisson suivant est une poissonne. Elle fait le trajet nord-sud demain justement. Je passe chez vous de bonne heure et je serai à Souillac en début d’après-midi, propose-t-elle. Cela me semble parfait jusqu’à ce qu’un doute surgisse dans ma petite tête.  Heu… Vous pensez être capable de descendre la table de la fourgonnette ? Seule je veux dire. La table pèse quelque trente kilos et ma mère est âgée, elle ne pourra pas vous aider.

Impossible pour la jeune femme, fragile du dos. Ce poisson remis à l’eau, il me reste à en attendre un autre.

J’en suis à espérer que le premier repointe ces écailles avec une date avancée quand un autre s’annonce.

Bonjour, je peux venir chercher votre colis en fin d’après-midi et le livrer demain matin à Souillac.

Bonjour, ce serait parfait. Pensez-vous être capable de décharger seul ?

Pas de problème ! répond M. Costaud qui s’appelle Patrick.

Course nocturne

De petit report en petit report, Patrick arrive chez moi à 22h largement dépassées. Il a préféré s’octroyer une large sieste avant de rouler toute la nuit.

À partir de quelle heure, puis-je passer chez votre mère ?

Je comprends qu’il pourrait y arriver dans la nuit mais qu’il va devoir attendre que Mère se lève.

Je le rassure. Lui dis que je vais prévenir ma mère pour qu’elle laisse le portail ouvert et qu’il pourra ainsi déposer la table devant la porte sans se soucier de l’heure. Cette perspective qui lui ôte toute contrainte horaire semble l’enchanter.

Dès les portes du fourgon refermées, j’appelle ma mère.

– Laisse bien le portail ouvert, dors sur tes deux oreilles et quand tu te lèveras, tu trouveras une table devant ta porte, bien emballée, comme si le père Noël était passé dans la nuit.

-J’ai tout compris, répond ma mère. Si je le vois, je lui offrirai du café.

-Tu ne le verras certainement pas, il va arriver dans la nuit. Dors, c’est tout ce que tu as à faire.

-D’accord. Je ne m’occupe de rien alors.

-C’est ça.

Quelques minutes après, mon téléphone vibre dans ma poche. C’est Patrick. Vous croyez vraiment que je peux débarquer comme ça en pleine nuit dans le jardin de votre mère ? À la campagne les gens surveillent. Les voisins ne vont pas me tirer dessus en voyant un noir descendre d’une camionnette ? demande-t-il inquiet.

Je le rassure, l’entrée de la maison est invisible depuis les autres habitations et les voisins ne sont pas armés à ma connaissance. Ne vous préoccupez pas de l’heure, procédez comme ça vous arrange. Bonne route !

Et tandis que Patrick a les yeux fixés sur la route, les miens se ferment.

Livré

Le lendemain, je pense attendre dix heures pour appeler ma mère et prendre des nouvelles de la livraison, lui donnant le temps d’émerger tranquillement. Mais elle me devance.

Bonjour maman, il n’est même pas huit heures, qu’est-ce que tu fais debout à cette heure matinale ?

Elle rit. Me raconte sa matinée comme une môme enivrée d’aventures.

Vers six heures du matin, elle qui n’entendrait pas un A380 s’écraser dans le jardin, perçoit le bruit d’un orage. S’inquiète pour la table.

– Je t’avais dit qu’elle était bien emballée et tu n’as quand même pas envisagé de la déplacer toi-même sous la pluie, si ?

– J’ai voulu voir, c’est tout.

– Je t’avais dit de dormir.

– Y’avait des éclairs partout dans le ciel, un vrai feu d’artifice, et il pleuvait à verse.

Mais le père Noël n’était pas passé. Elle entreprit alors d’ouvrir la porte du garage pour que le meuble puisse être déposé au sec.

– Mam, tu as dépassé l’âge de sortir la nuit, non ? Sous la pluie en plus. Et de tenter d’ouvrir une porte lourde et rouillée. Je t’avais dit de ne t’inquiéter de rien et de rester au lit.

– Je n’ai pas pu ouvrir la porte en entier et je me suis un peu trempée. Mais c’est pas grave.

– Tu es allée te recoucher j’espère.

– Pas tout de suite. Et quand je suis ressortie un peu plus tard, la camionnette se trouvait devant le garage. Ton gars est intelligent, il a compris qu’il fallait déposer le meuble au sec. Il allait refermer la portière mais il m’a vue. Je lui ai offert le café et on a papoté un peu. Pas longtemps, il était pressé, c’est surtout lui qui a parlé. Il m’a raconté qu’il a acheté une maison à Saint-Gaudens qu’il retape, qu’il fait les allers-retours tous les quinze jours, qu’il espère bien s’y installer définitivement un jour, qu’il doit passer prendre un copain à Toulouse qui va l’aider, qu’il vient de perdre sa grand-mère de 100 ans et demi qu’il adorait,  que si j’ai besoin de transporter quoi que ce soit vers chez toi, il repassera bien volontiers…

– Je vois en effet que vous n’avez pas parlé beaucoup. Surtout que tu n’avais pas encore, à cette heure-là, mis tes audioprothèses. Il a dû t’en raconter des trucs le mec, pour que tu captes tout ça !

– Il avait envie de parler un peu après toute cette route. Mais moi je ne lui ai pas raconté grand-chose.

– J’imagine. Tu trouves ça raisonnable de faire entrer chez toi un homme que tu ne connais pas ?

– C’est toi qui me l’as envoyé. C’est pas un étranger.

– On est de vieux potes, j’oubliais. J’ai appris son existence hier et je l’ai vu dix minutes en tout et pour tout, c’est dire !

– Tu as ses coordonnées, tu le connais. Il est intelligent, il a compris pour le garage, et très sympathique. Je lui rappelle sa grand-mère, il m’a dit. Et puis bel homme avec ça. Et costaud.

–  Sourde mais pas aveugle, dis moi. Tu t’es levée à six heures du mat, tu t’es trempée, mais tu es ravie de ton début de journée.

– Il m’a distrait.

– Alors je m’incline. Merci Mam en tout cas, je te rappelle ce soir.

Paroles et paroles

À peine ai-je raccroché d’avec ma mère qu’un Sms s’annonce.

Bonjour Sabine, je viens de déposer la table chez votre mère. Dans le garage qu’elle m’avait ouvert. Un peu plus tard que prévu mais j’ai préféré m’arrêter en route pour dormir deux heures. Votre mère est charmante, elle me rappelle ma grand-mère que je viens de perdre. Elle avait envie de parler un peu, la solitude lui pèse mais elle est très satisfaite de ses filles qui s’occupent bien d’elles. J’ai hésité à accepter son café et ses biscuits mais une pause était la bienvenue et je suis parfaitement dans les temps pour retrouver un ami à Toulouse d’ici 9h30. Je vous souhaite de vous rétablir très vite, à votre sœur de réussir son examen, à votre fils aîné de trouver très vite un job et au cadet j’adresse mes félicitations pour ses brillantes études. Et enfin, bon emménagement à votre neveu dans sa nouvelle maison. Je connais un peu le coin, il va s’y plaire. N’hésitez pas à me solliciter à nouveau si vous avez autre chose à transporter. Bonne journée. Patrick.

Chéri, ma mère n’a rien dit sur toi à son nouvel ami. Tu devrais être vexé, lancé-je à mon mari qui sort tout juste de la douche.

Bonjour Patrick, merci pour votre gentillesse, votre prévenance et votre efficacité. Ma mère a beaucoup apprécié votre compagnie matinale. Votre présence a ensoleillé sa journée. Vous savez maintenant qu’à Souillac c’est un petit-déj qui attend les voyageurs et non pas un fusil. Encore merci pour ce transport. Notre table se réjouit de commencer une nouvelle vie grâce à vous. Bonne route jusqu’à Toulouse et au-delà, et profitez bien de votre séjour occitan. Sabine

Rires

En fin de journée, je rappelle ma mère. Alors, tu as passé une bonne journée ? J’espère que tu as fait la sieste.

Mère raconte que, profitant d’une belle éclaircie, elle est allée se promener en début d’après-midi plutôt que de se reposer, qu’elle a rencontré une voisine devant l’église. Qui n’a pas entendu la camionnette ce matin.

– Comment veux-tu qu’elle l’ait entendue ? Elle dort côté opposé, elle est sourdingue et shootée aux calmants. Tu es une vraie môme, tu voulais lui parler de l’apollon pour lequel tu t’es levée à l’aube, c’est ça hein ?

Mère se met à rire.

– Beau garçon et intelligent.

– Tu oublies : et très sympathique. Il m’a envoyé un sms, visiblement le plaisir a été partagé. Alors je lui ai proposé de s’arrêter prendre un café les fois où il a envie de faire une pause. J’ai bien insisté en lui disant que surtout il n’hésite pas, que tu serais ravie de l’accueillir peu importe l’heure.

– Pourquoi pas ? Je lui rappelle sa grand-mère.

– Je ne plaisante pas, Maman, il pourrait bien s’arrêter. Mais la prochaine fois où tu me dis que tu ne veux pas d’inconnu chez toi pour quelques travaux d’entretien, je ne t’écouterai pas, parce que tu pourrais bien tomber sur un plombier canon qui te demandera de l’adopter. Voire de l’épouser. Le sexappeal des nonagénaires, ça ne se sait pas, mais ça fait des ravages tu sais.

Ma mère rit de plus belle. D’un rire de gamine.

images : Pixabay

Oscar et Mamie Rose

A Mortemart ( un nom qui m’évoque Harry Potter, allez savoir pourquoi), charmante bourgade de Haute-Vienne, quelques rares personnes dans les ruelles, un chien et deux moutons aperçus dans un pré, un ciel gris menaçant et une seule boutique ouverte ce lundi de Pâques. Une bouquinerie. « Ici on trouve des livres et de quoi discuter », l’offre était alléchante.

Effectivement, un moment plus tard, ma tête était enrichie de conseils de visite et mes bras chargés de livres. Parmi eux, un mince roman, Oscar et la dame Rose d’Eric-Emmanuel Schmitt (une œuvre datant de 2009, devenue culte, déclinée en pièce de théâtre et film… et qui m’avait complètement échappée, je dois l’avouer. Je me suis renseignée depuis). C’est dans la salle d’attente de mon médecin que j’ai décidé de le lire, en espérant sans doute ne pas avoir le temps de l’y terminer malgré sa modeste longueur. Vœu pieu. Mais qu’importe puisqu’il m’a offert un doux moment de lecture.

Oscar a 10 ans et il est mourant. Ses parents sont désemparés, son chirurgien honteux, les infirmières désarmées. C'est auprès de sa visiteuse, Mamie Rose, qu'il trouve du réconfort. Elle lui donne les clés pour vivre sereinement ses derniers jours. Un roman délicat dans lequel l'auteur a su parler de la douleur, de la tristesse, de la souffrance avec poésie, philosophie et humanisme. Une belle leçon de vie et de mort.

D’ailleurs, je l’ai offert à mon médecin, ce joli livre, aussitôt entrée dans son cabinet, en  étant certaine qu’elle l’appréciera. Peut-être même qu’elle le donnera à son tour à l’un de ses patients, je sais qu’elle aime leur prêter des romans dont la lecture, dit-elle, peut leur faire du bien. Passeuse de livres, elle l’est elle aussi.

Image : extrait de la couverture Ed.Livre de poche

mascara

Métroquillage

La rame de métro n’est pas bondée, c’est une chance, je vais voyager assise. Confort appréciable durant la grosse vingtaine de stations qui m’attend. Je vais pouvoir terminer mon bouquin.

Je m’installe sur un siège, contre la fenêtre, après avoir bousculé bien malgré moi deux jeunes qui discutent en obstruant l’allée. Excusez-moi ! leur ai-je dit en me faufilant entre eux sans qu’ils mouftent le moins du monde. Ni regard ni « c’est pas grave » ou je ne sais quoi d’autre. Rien. Même pas sûr qu’ils m’aient remarquée. La solitude habituelle de la foule, même si la foule ce matin-là n’est pas dense.

La femme

À peine ai-je sorti un bouquin de mon sac à dos et lu une dizaine de lignes, qu’une femme se glisse sur le siège face à moi. Je reprends ma lecture sans être encore assez absorbée par le récit pour ignorer qu’elle se mire dans un miroir de poche et sort une trousse dodue de son sac. Une métroquilleuse ! C’est ainsi que j’appelle ces femmes qui n’hésitent pas à se maquiller dans le métro, sans se soucier le moins du monde de leur entourage. Des manières qui m’ont toujours paru bizarres, presque indécentes mais je ne suis qu’une vieille rombière.

Parer son visage, c’est choisir de montrer un soi plus engageant. Comme s’habiller avec soin. Ainsi donc elles parient sur le fait que, de leur domicile jusqu’à leur installation dans le métro, elles ne rencontreront personne à qui elles aient envie de faire bonne figure. Un peu comme moi le samedi matin quand je vais acheter le pain pour le petit-déjeuner en cachant ma chemise de nuit sous un trench. En même temps, j’ai moins de cinquante mètres à parcourir, mon trench est bien enveloppant et ma tête au réveil est la même que celle de toujours. Ni mieux ni pire.

La métroquilleuse

Mais revenons aux métroquilleuses. En poussant un peu le raisonnement, voire le bouchon, on pourrait se demander pourquoi elles ne finiraient pas de s’habiller dans le métro, tant qu’à faire, tant qu’à ne croiser personne de connu d’elles. Ni leur patron.ne, ni leur belle mère, ni Brad Pitt. Paris est un village dit-on et ce n’est certainement pas dans un village que quelqu’un, ô le ou la malotru.e, oserait se prêter à pareil spectacle.

Un coup de rouge à lèvres, passe encore. Mais parfois, c’est ravalement de façade !

C’est ce qui m’attend, j’en ai bien l’impression. En effet, la femme ouvre un boîtier et applique sur son visage du fond de teint avec une petite éponge. Faut pas l’humidifier au préalable, l’éponge ? Elle a dû prévoir. Elle range le boîtier et sort un pot. Dans lequel elle trempe un gros pinceau et en tapote son visage. Rien qu’à la vue de cette poudre qui volette, j’ai le nez qui picotte. Si c’était autorisé, je me lèverai bien pour ouvrir la fenêtre.

Une trousse bedonnante

Un jeune homme s’assoit à côté d’elle, après avoir froncé les sourcils à la vue de la trousse ouverte sur les genoux de sa voisine. Une trousse trop garnie qui me fait penser à un poulet farci qui attend d’être cousu et mis à cuire.  La femme observe soigneusement le résultat dans son petit miroir. Tourne la tête, approche le réflecteur. Diantre, un point noir ? Je ne vois pas comment ce serait possible sous pareil crépi.

La métroquilleuse retire maintenant un autre boîtier de sa trousse. Petit et rond. Mais bien sûr, du blush ! ! Un petit pinceau, un coup sur la pommette de droite, un sur la pommette de gauche, un coup d’œil dans le miroir. J’ai bien envie de lui dire qu’elle y est allée un peu fort, que franchement elle était mieux au naturel, mais je suis censée lire.

Son reflet d’ailleurs ne doit pas la satisfaire, car elle ajoute quelques touches de terracotta sur le front et le menton. On aborde le pointillisme, là.

Je pense à la Joconde, non pas que cette femme me la rappelle vous vous en doutez, plutôt par le biais de l’art. Si notre cher Leonardo l’avait peinte au vu et au su de tous les visiteurs du Louvre, aurait-elle son aura, son mystère d’aujourd’hui ?

L’ouvrière

Arrive le tour de l’ombre à paupière. Je devais m’y attendre mais là où je redoutais du bleu ou du vert pailleté, elle a le bon goût, si l’on peut dire, d’appliquer du prune. Disons que c’est moins pire. Sous les trémoussements du train, le minuscule pinceau a fait quelques dégâts que Dame Ripolin s’attache à gommer en lissant ses paupières du bout de son index. Exercice plutôt réussi je dois reconnaitre, même si un œil parait un plus grand que l’autre. C’était peut-être le cas avant sans que je le remarque.

Et puis vient le mascara, l’indispensable, juste au moment où le voisin de siège lui envoie le bout de son écharpe en pleine façade en se levant. Elle lui lance un regard agacé. Non mais ! Heureusement la peinture était sèche et le mascara encore dans son étui.

Je me rappelle ce voyage en train où l’une de mes co-voyageuses avait passé une partie du voyage à se manucurer les ongles. Du moins je le suppose. D’abord mes dents avaient grincé sous les coups de lime. Longs et appliqués. Puis une odeur, celle de l’acétone, qui prend les poumons. Et enfin celle du vernis. Acre et persistante. Combien de couches ? Je n’en avais rien su mais assez pour que le wagon soit contaminé pour de bon. La gêne est farceuse, elle ne choisit pas toujours le bon côté.

Appliquer du mascara dans un train en marche, bon courage ma cocotte, je me dis. C’est un truc à bavures. Je m’en bidonne d’avance de tes yeux de panda ! Mais c’était sans compter sur les heures de pratique de la Belle. Même dans un tank en manœuvre elle y serait parvenue. L’œil écarquillé, un petit coup de brosse en haut, un petit coup en bas. Net et… sans bavure.

Durant quelques secondes, elle ne cille pas. Le temps de ranger son tube, le temps que ses cils sèchent. Finalement elle aura réussi son coup. Je ne la trouve pas très jolie. Le maquillage trop appuyé, les vêtements quelconques. La sophistication est un art subtil. Je replonge le nez dans mon bouquin. À cause de son tintouin, je n’aurai rien lu.

Le comble

Mais voilà qu’elle saisit dans sa trousse un tube élancé. Un gloss ?

Non. Un eye-liner. Je n’en crois pas mes yeux qui, eux, sont à poil. Elle va quand même pas s’en mettre ? Pour le coup, ce serait jouer à la roulette russe avec cinq balles dans le barillet.

Et si.

Le bouchon de l’eye-liner sur les genoux, le miroir dans une main, le pinceau dans l’autre, délicatement saisi du bout des doigts. Un œil fermé. Le pinceau s’approche du coin interne. Recule. S’y pose à nouveau. Recule. Je me demande jusqu’à quel point elle va le rater son trait. Comment elle va s’y prendre pour effacer son massacre.

Le métro tressaute. Dame Ripolin, le coude levé, attend.

Puis, à peine la rame stabilisée dans la station, elle pose l’extrémité du pinceau au coin de l’œil, sans hésitation, pile dans le mille, comme une infirmière aguerrie la pointe de son aiguille. Et tire le pinceau sur tout le bord de l’œil laissant derrière lui une belle trace noire, fine et régulière.

Le trait tout juste terminé, le métro repart. Elle ouvre délicatement son œil et observe son travail dans le petit miroir

Quand le métro freine, je la sens prête à recommencer. En effet, elle ajuste son miroir, lève le coude, ferme l’autre œil. Je jette un regard au monsieur bedonnant qui vient de prendre place à côté d’elle. Un mouvement de sa part ruinerait l’affaire. Mais elle ne semble pas s’en soucier.

Le train se stabilise, elle dégaine son trait, à reculons, sur l’autre paupière. Avec une même assurance et un résultat tout aussi satisfaisant. Même dans la quiétude de ma salle de bain avec miroir fixe et tablette à portée, je n’atteindrais pas le quart de son résultat. Je suis bluffée.

Chapeau bas, Madame.

L’art de faire et de plaire

D’ailleurs la désormais métroquillée se mire attentivement puis remise son rimmel dans la trousse, l’air satisfait. Sors un tube de rouge, l’applique sur ses lèvres en deux mouvements. Le B.A.BA de l’ouvrière qu’elle est. Montre ses dents au miroir. Et range la trousse dans son sac, avant de tourner son visage vers la fenêtre pour regarder le mur défiler derrière.

Le ravalement est bel et bien terminé. Elle peut envoyer la facture.

Plus que deux stations avant que je descende. Il est trop tard pour lire. Je range mon roman dans mon sac à dos et regarde machinalement les voyageurs assis de l’autre côté de l’allée. Parmi eux, une femme à laquelle je ne saurais donner d’âge, musulmane certainement, robe grise longue et foulard ajusté. Pas un cheveu ne dépasse. Elle pourrait n’être qu’une forme triste et terne si ses yeux d’un noir insondable, magnifiquement brunis, ces cils courbés et son teint parfait n’appelaient les regards. Magnifiquement maquillée. Paradoxale. Équivoque. Troublante. Qui veut-elle séduire, cette métrokilleuse ?

Images  Pixabay (Karolina Grabowska, Dennis Von Dutch et Bruno /Germany)

Les bruits de la campagne sont à l’intérieur

Un gîte dans un hameau au coeur du Limousin. Au dehors les oiseaux chantent. On n’entend qu’eux. En prêtant l’oreille, un aboiement au lointain, un coassement peut-être. Rien de plus. Même la chèvre et les poules voisines se taisent.

Mais dans la maison, c’est le raffut ! Ca brait, beugle, cancane, hennit, bêle, criaille, cacarde, caquette… dans le couloir. On ne s’entend plus !

Les homards du Titanic

Si vous croyez la situation désespérée, pensez aux homards dans l’aquarium du restaurant du Titanic.

Cette citation qui tourne depuis quelques jours sur les réseaux sociaux m’a fait sourire.

Croire dans un meilleur toujours possible. Tout peut arriver, comme la  rencontre enchanteresse entre Marie et Claire dans Merci Gary, mon second roman. Des miracles, il y en a, et s’il est parfois difficile d’y croire, ne jamais être celui qui lâche prise deux secondes avant un prodige, foi de homards !

Image par WikiImages, Pixabay

Tellement belles

Elles sont tellement belles ces phrases que j’aurais pu les écrire dans un carnet, comme je m’y adonnais ado. Pour mieux les déguster, pour m’en imprégner. Des phrases poétiques qui mettent des mots justes sur des sentiments.

Je n’ai plus de carnet à phrases aujourd’hui, mais un téléphone avec lequel j’ai eu envie de les capturer pour vous les partager.

Tous ces passages proviennent du roman de Jon Kalman Stefansson, Ton absence n’est que ténèbres, dont j’ai déjà parlé. Rapidement. Que dire en effet sur un livre aussi puissant ? Rien.

Aussi je vous laisse lire les passages entre les traits jaunes. Je vous les offre à la façon d’un bouquet de fleurs. En nombre impair comme des roses.

Ressorts à foison

De l’usage des ressorts. Ce pourrait être le titre d’un manuel, c’est dans mon esprit que ça s’est passé. Récupérer des ressorts de siège, c’était tentant, mais pour quel usage ?

Il vaut mieux que je vous raconte tout depuis le début.

Sur Geev, l’appli de dons dont j’ai déjà parlé récemment, un certain Sim99 proposait deux sacs de ressorts de fauteuil. Et moi, j’adore les bouts de ferraille, c’est ainsi. A croire que je suis tombée, gamine, dans un baril de clous.

J’ai lutté, attendu, espéré ? que l’homme trouve preneur. En vain. Au bout d’une semaine, j’ai craqué. Un délai honnête pour laisser la chance au destin de m’ôter cette perspective, mais l’imprévisible destin refusa tout bonnement cette proposition et me tourna le dos. Tant pis pour lui.

Bonjour, je suis intéressée par votre don s’il est toujours disponible. Le diable n’était pas loin, j’en suis certaine.

Evidemment Sim99, qui signa Simon sa réponse, n’avait trouvé aucun fou pour récupérer sa ferraille. Nous nous sommes donné rendez-vous devant chez lui, à quelques centaines de mètres de chez moi, en début de soirée.  Chéri, tu m’accompagnes ? Je vais chercher des sacs de ressorts. Qu’est-ce que tu vas faire de ça ? m’entendis-je répondre. Toujours la même question. Toujours la même réponse : Je ne sais pas encore, mais je trouverai.

Simon nous attendait avec deux gros sacs posés à ses pieds. Vous avez combien de sièges à refaire ? demanda-t-il.  Aucun. Je vais plutôt en faire une sculpture, m’entendis-je lui répondre. Ou peut-être un perchoir à oiseaux, allez savoir, ajouta chéri du tac au tac. Simon semblait un peu perdu face à ces deux fantaisistes déguisés en cadres de banque. Nous le remercièrent pour sa générosité et filèrent dans la pénombre.

-Franchement, qu’est-ce que tu vas faire de tout ce fatras ?

-Franchement ? Je sais pas, pas encore.

Un sms s’annonça dans ma poche à peine étions-nous de retour chez nous. Je suis curieux de voir comment vous allez utiliser les ressorts. Tenez-moi au courant ! Simon

-Il a atterri ! Tu l’as scotché avec ton histoire de sculpture. Lui qui croyait bêtement, naïvement, que tu allais refaire des sièges.

-Un perchoir à oiseaux, c’est pas une si mauvaise idée.

-Je déconnais.

-Dommage ! Tu pourrais avoir de bonnes idées.

A partir de moment-là, point de repos. Mes neurones s’enroulèrent sur eux-mêmes, s’emmêlèrent, s’échauffèrent… jusqu’à ce qu’un germe d’idée se profile deux jours plus tard.

J’ai aligné les ressorts sur le sol, cherché une bobine de fil de cuivre dans ma caisse à outils. Profité d’une course pour acheter des boules en polystyrène.

Et de lien en lien, de coup de pinceau en coup de pinceau, la chose a jailli. Je l’ai suspendue à une cimaise et j’ai envoyé sa photo à Simon. Vos ressorts font le mur !

Hé oh, pas mal ! il m’a répondu dans la foulée. Bravo pour votre créativité. Si j’ai d’autres choses à donner, je penserai à vous.

Et maintenant tu vas faire quoi de tous les ressorts restants ?

Un perchoir à oiseaux.

Le diable est facétieux.