Archives mensuelles : septembre 2022

sourire

Rencontre

Je vous ai dit que j’adore les smileys, les sourires aussi bien sûr.

sourireCelui-ci, je l’ai rencontré en Auvergne cet été, peint sur un poteau en bord d’une route. De son air moqueur, il m’a interpellée : Tu te sens bien là, hein ?, à te promener au soleil au milieu de cette nature accueillante. Eh bien, profites-en parce que les vacances n’ont qu’un temps. Dans quelques jours tu auras retrouvé la pollution, le bruit et l’agitation alors que moi, je serai toujours là à écouter les cloches des vaches, le braiment de l’âne et le souffle du vent.

De son poteau, il doit rigoler encore et toujours.

Max et Johnny, l’amie

Deuxième partie de ce récit inédit

Rappel Partie 1

Comme tous les matins, j’entends tapoter à la porte d’entrée. Je sais que c’est Johnny qui frappe le battant intérieur de sa patte droite, juste assez fort pour que le bruit des griffes me réveille. C’est l’heure de sortir ! il me dit.

Ni dormeur ni chanceux

Je n’ai jamais dormi profondément, ou alors quand j’étais tout gamin, je ne me souviens plus mais normalement les enfants, ça dort. La mort de mes parents, la vie en foyer, puis dans la rue, c’est ça qui a dû casser mon sommeil, sans que je m’en rende compte. Et pour le recoller je n’ai pas encore trouvé la solution. Je ne suis ni magicien ni sorcier ni génie, ni particulièrement chanceux, je le sais depuis longtemps. Il y a quelques années j’ai trouvé un billet de cinq euros dans le caniveau, roulé comme une cigarette. Il m’a fait penser à Gainsbourg, pour la clope et l’argent. J’ai eu envie de l’allumer, ce rouleau de bifton, et de le regarder brûler, comme il l’a fait lui. Peut-être même de faire semblant de le fumer en le portant à mes lèvres d’un geste large et nonchalant. Pour le plaisir de me dire je suis riche, que je m’en fous de ce fric. Sauf que je ne suis pas riche du tout, et que je ne dédaigne pas l’argent, loin de là. Pas au point de voler pourtant. Si j’avais su à qui le rendre ce billet, je ne m’en serais pas privé.

Au fastfood

À défaut, je me suis offert un repas au Mc Do. Un menu Best Of avec des frites bien chaudes et de la sauce dégoulinante sur mon steak. En mastiquant, je regardais les gens, attablés comme moi, des familles avec des enfants excités ainsi que des adultes seuls qui semblaient concentrés sur leur seul hamburger. Il est vrai qu’il n’est pas facile à manger le building de pain mais il y a quand même moyen de regarder autour de soi il me semble ! Comme s’ils étaient gênés de manger. Ou de se trouver dans un fastfood. Ou d’être seul. Manger c’est la vie, c’est ne pas pouvoir manger qui est pénible ; s’asseoir dans un resto quel qu’il soit est un privilège, et se trouver seul, c’est ainsi. Il n’y a rien d’honteux.

Matinal et baladeur

D’un nouveau coup de patte, Johnny me signifie son impatience. Avec lui, j’ai trouvé plus matinal que moi. J’arrive ! je lui dis. Je le préviens pour qu’il ne fonce pas sur mon pieu. Pas très patient, mon chien. Jamais plus d’un rappel. Après, il saute sur mon lit et me pousse du museau jusqu’à ce que j’en tombe. La promenade du petit matin, elle est sacrée pour lui. Celle de la fin de la matinée aussi. Celle du milieu de l’après-midi tout autant et celle de la soirée, peut-être plus encore. Un chien baladeur, et c’est moi qui suis tombé dessus !

On n’obtient que…, on obtient ce que

À l’orphelinat, le plus vache des surveillants nous rabâchait de sa voix aussi perchée que le corbeau de la Fontaine sur son arbre : « on n’obtient que ce qu’on mérite. » Il voulait dire : une petite bêtise, une gifle ; une moyenne bêtise, une corvée ; une grosse bêtise, des privations. On obtenait ce qu’on méritait toujours dans ce sens-là. Le sien. Quand le « on n’obtient que… » arrivait, on savait à quoi s’en tenir.

Peut-être que j’ai mérité Johnny. Matinal et baladeur. Parce que je suis matinal et baladeur moi-même. Un chien perdu parce que je l’étais sans lui, perdu. Un amour de chien parce que j’en manquais, de l’amour. Et que grâce à lui, le monde est plus doux.

Caresses et mots gentils

Désormais les gens s’attardent à nos côtés. Un petit mot gentil. Une caresse à Johnny. Surtout ceux qui possèdent un chien eux-mêmes, et les enfants. Certains parents tiquent un peu au début. Ne caresse pas le chien ! Ne t’approche pas trop ! Pour ne pas paraitre impolis, ils m’expliquent qu’ils n’ont rien après mon chien, mais qu’ils ne veulent pas donner à leurs rejetons l’habitude de caresser n’importe quel animal même domestique ; ils demandent son nom. Et puis au fil des rencontres, ils laissent l’enfant s’approcher et caresser le chien. Avec certains, c’est même devenu un rituel. Quand ils rentrent de l’école, main dans la main avec leur enfant, ils cherchent Johnny des yeux en m’apercevant dans la rue. Ou l’inverse. Nous sommes devenus un couple indissociable comme Les Chéris. Presque les stars de la rue. Tout ça grâce à mon pirate des Caraïbes.

Des friandises

Jusqu’alors je paraissais invisible pour ces familles-là. Je les voyais bien, moi, pourtant. Théo, le gamin au cartable rouge avec son père toujours la clope au bec. Les deux jumelles et leur nounou collée au téléphone. Le petit Arthur et son sourire polisson, avec sa mère en jean basket. Je les connaissais déjà, je les connais encore mieux parce que désormais ils s’arrêtent et nous adressent quelques mots. Le Bonjour Johnny et les dix secondes que passe l’enfant à tenter d’amadouer mon monstre sont la friandise du chemin entre leur maison et l’école. Sans danger pour les dents de lait. Pour moi aussi ces rencontres sont des bonbons qui adoucissent mes journées.

Le collier

Pressé ou pas, Pierrot, le postier, s’arrête systématiquement pour discuter. Ça aussi c’est nouveau. Un bonjour, une caresse à Johnny et quelques mots. C’est lui qui a émis l’idée d’un collier. Un chien sans collier, c’est un chien errant, il a dit. J’ai eu beau expliquer que je ne me tenais jamais bien loin de mon cabot, il a maintenu qu’il lui fallait un collier. Je n’ai pas insisté, les chiens il doit en fréquenter plus que moi lors de sa tournée.

Je n’avais pas la moindre idée de la façon de me procurer un collier pour mon Johnny à part dans la boutique pour toutous de riches du centre-ville. Plusieurs fois je suis allé fouiner des yeux dans la vitrine à la recherche d’un collier à ma portée, financière je veux dire, mais en vain. Un animal, ça ne compte pas dans le calcul des prestations sociales. Pourtant désormais on est deux à se nourrir. Quand y’en a pour un, y’en a pour deux, ce n’est pas toujours vrai, mais je ne me plains pas, je me débrouille.

Je m’étais fait une raison, Johnny ne porterait pas de collier. Pas pour contrarier Pierrot, bien sûr, mais parce que le collier faisait partie des choses, nombreuses, que je n’avais pas les moyens d’obtenir et c’était ainsi.

La dame

Un matin, Pierrot nous a dit qu’il avait parlé de nous à une dame ayant perdu son chien quelques semaines plus tôt. Peut-être qu’elle viendrait nous voir, que ça lui ferait du bien de voir Johnny qui ressemblait vaguement à son toutou. Madame Péraud, elle s’appelle, a-t-il ajouté en partant. Perro, comme le chien en espagnol, tu devrais t’en souvenir. Perro, perro, a-t-il lancé en s’éloignant, en s’appliquant à rouler les r.

Quelques jours plus tard, j’ai vu une femme s’engouffrer dans notre rue. J’ai su que c’était elle à ses yeux qui nous cherchaient dans un regard qui enveloppait toute la rue. Certainement aussi parce qu’elle était comme je me la représentais. La soixantaine passée, bien mise mais sans atours particuliers, une allure, des expressions, aussi difficiles à décrire qu’une odeur délicate, qui suggéraient la femme seule, abandonnée plutôt, veuve de son compagnon.

On s’est souri. Vous êtes Max, n’est-ce pas ? Et ce joli Border Collie est Johnny évidemment.

Mon chien qui jusque-là courait en tous sens dans la rue pour se défouler selon son habitude a tendu les oreilles, comme s’il réagissait à son nom, et s’est approché de la dame pour lui renifler les mollets. J’ai eu l’impression qu’ils se souriaient eux aussi.

Border Collie

On s’est mis à papoter. De fil en aiguille, notre première conversation a duré une plombe et j’étais bien ennuyé de laisser cette dame debout, sans siège à lui offrir, pas même un rebord de fenêtre à sa portée. Je ne pouvais pas plus envisager de l’inviter chez moi. Ça ne se fait pas avec une dame. Et puis franchement ce serait un peu la honte de montrer mon intérieur assez peu reluisant.

Elle s’appelle Dora Péraud et habite à quelques pâtés de maison. J’ai dû la rencontrer plusieurs fois lors de mes errances sans faire attention à elle. Son chien s’appelait Ploum, c’était un Berger australien. Il y a six mois il s’est fait renverser par une voiture, il a fallu l’euthanasier. Elle a du mal à s’en remettre, je la comprends.

Elle s’y connait drôlement en canins. Les Bergers australiens et les Borders Collie se ressemblent, même gabarit, même tête fine. C’est au niveau des oreilles qu’on les distingue, m’a-t-elle expliqué. Je suis ravi de connaitre la race de mon chien. Un Border Collie, ça sonne classe en plus ! Si vous saviez le nombre de fois qu’on m’a interrogé à ce sujet, mais qu’est-ce que j’en savais, moi ? Désormais je serai fier de répondre.

Le collier et la panière

Elle m’a dit aussi qu’elle n’aurait plus jamais d’autre chien, que Ploum était son troisième. Et dernier. Trop douloureux quand ils partent. Qu’elle songeait à donner ses affaires à un refuge canin mais qu’elle les apporterait à Johnny. Un collier en cuir rouge avec sa laisse, une panière en tissu rembourré et une gamelle en inox. Un os à mâcher aussi. Ça lui faisait vraiment plaisir de savoir que Johnny s’en servirait.

On a encore parlé de nos compagnons à pattes et un peu de moi aussi. Elle voulait savoir depuis quand j’habitais là, ce que j’aimais. Pour la première fois depuis bien longtemps j’ai eu l’impression de parler à une amie.

L’amie

Et puis, elle a dit : On papote, on papote, mais j’ai des trucs à faire, moi. Et elle a ri avant d’ajouter : La prochaine fois, on ira boire un verre au troquet de la place, on sera mieux installés. Parce qu’il y aura une prochaine fois, elle l’a promis. Et pas dans mille ans, dans deux ou trois jours, quand elle m’apportera les affaires de son Ploum.

Je ne connais pas grand-chose d’elle. Peut-être que j’oserai lui poser des questions alors. En attendant, je vais réfléchir à tout ce que j’aimerais savoir de ses chiens et d’elle aussi. Mais déjà je sens que mon cœur est devenu encore un peu plus moelleux.

Grâce à Johnny, je ne déambule plus. Je parle aux passants sans les effrayer, c’est même eux qui viennent à nous avec leurs enfants. Et bientôt j’aurai une amie.

Tout ça grâce à mon rockeur.

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Une amie et peut-être pas seulement, c’est ce que vous découvrirez dans la troisième et dernière partie de ce récit. En attendant, patience ! Pour recevoir ces nouvelles ainsi que des confidences sur leur genèse directement dans votre boîte mail, abonnez-vous à ma newsletter.

 

Barbara Kingsolver, je l’adore !

Je l’adore Barbara Kingsolver, pas en tant que personne, notez que si je la connaissais personnellement je l’apprécierais très certainement, mais comme ce n’est nullement le cas, je me contente de l’adorer en tant que romancière.

Je l’ai découvert il y a des années avec L’arbre aux haricots et Les cochons au paradis et  affectionné ces sagas sociales. Il y a quelques mois, un jour de pillage compulsif dans ma librairie préférée, j’ai naturellement embarqué Des vies à découvert, son roman publié à l’automne 2020 (le dernier, je crois) et l’avais relégué dans ma Pile à lire. J’ai profité de la période estivale pour l’en extraire et, comme attendu, ce fut un délice. D’autant qu’il se consomme à la petite cuillère, ce pavé de près de 600 pages.

Les personnages d’abord, humanistes et attachants. Des femmes libres, charismatiques, cabossées, résilientes et volontaires, dans une fresque construite en miroir entre XIXe et XXIe siècles. Un regard sans concession sur le monde d’aujourd’hui, fracassé socialement, économiquement et écologiquement parlant. Avec pour assaisonnement, une bonne dose d’humour et d’optimisme.

Le style ensuite (qui me rend jalouse, je dois l’avouer). La bonne remarque, la bonne image. Un vrai talent, il n’y a rien à redire.

Je n’ai pas su choisir d’extrait à vous livrer, alors laissez-moi vous proposer quelques phrases glanées par ci-par là comme on ramasse des coquillages sur la plage.

roman de Barbara KingsolverExtraits

Zeke s’était joint à eux et communiquait. Ses yeux creusés et son accablement avaient fait place à son niveau habituel d’aisance sociale : un trait de caractère qu’il avait forcément hérité de Iano. Ou alors cela venait du fait d’être né magnifique, pour le père comme pour le fils. Les gens beaux se plaisaient à dire que la beauté n’avait pas d’importance, tout en dispersant cette monnaie aux quatre vents comme des voleurs de banque amateurs.

« Mesdames, aimables voisins, calmez-vous ! » C’était Landis, sorti d’un coup de son fauteuil, un bras levé tel un baptiste, sans surprise. Son territoire n’était que fracas, et son génie consistait à trouver l’équilibre précis de terreur et de cajolerie nécessaire à ce que le public continue de téter sa mamelle. Ils se pacifièrent sous sa bénédiction.

Willa n’arrivait toujours pas à mettre le doigt sur la réticence de Iano à l’histoire Tig-Jorge. Ce n’était évidemment pas la personne de Jorge qui posait problème ; pour ce qui était de faire ses preuves, la cause était largement entendue. Peut-être était-ce juste un devoir de père de résister en voyant sa fille dériver vers un autre homme.

Rose et Aurelia débattaient de Mr. Dunwiddie comme s’il s’agissait d’une pièce de viande qui manquait de piment. Thatcher savait ce que les femmes avaient en tête quand elles parlaient d’améliorer un homme. Il se laissa aller à imaginer une autre vie. (…) Les ambitions frustrées d’une mère pèsent très lourd sur les épaules de ses filles.

Si je m’étais écoutée, c’est bien tout le roman que je vous aurais copié !

Fan de cette auteure, vous aussi ? Dites-moi tout !

Max et Johnny reviennent !

Max et Johnny, vous vous en souvenez ? C’est le titre d’une nouvelle que je vous ai proposée en mai dernier, l’histoire d’un homme un peu paumé et de sa rencontre avec un jeune chien qu’il prénomme Johnny pour son comportement agité, rockeur, et le charbon qui souligne ses yeux tels ceux du Pirate des Caraïbes.

Max et Johnny (lien)

Il fallait une suite, je vous l’ai concoctée en deux parties.

Vous découvrirez la première dans deux semaines, et la troisième et dernière un peu plus tard. Abonnez-vous à ma newsletter (si ce n’est pas déjà fait) pour les recevoir directement dans votre boite mail le jour J : je m’abonne.

Soyez rassuré.e, tout va bien pour eux. Très bien même !