Jolies reprises

Réparer en soulignant ses blessures plutôt qu’en les masquant, j’aime cette idée, ces actes de résilience.

C’est le principe du Kintsugi, cet art japonais millénaire, qui consiste à réparer une faïence ébréchée par un ajout d’or. Je n’ai pas encore testé mais ça me titille.

C’est aussi celui du raccommodage créatif avec des reprises apparentes. Ca fait bien longtemps que mes vêtements préférés n’y échappent pas !

C’est encore le cas du tatouage qui joue avec les cicatrices. Il pourrait bien me tenter celui-là aussi, parce que, des cicatrices, je n’en manque pas. Mais ce sera pour plus tard… ou jamais.

Dans cet esprit, je viens de découvrir les reprises de trottoirs en mosaïque d’Ememem. Mais comment ai-je pu échapper à cette information jusque-là, moi qui adore les mosaïques ? J’ai eu envie il y a quelques années de me lancer dans une mosaïque en miroir pour « réparer » un parquet abimé. J’ai renoncé et c’est bien dommage. Ememem a osé et avec quel talent ! De petits rayons de soleil dans la grisaille du béton. C’est sublime, poétique et coloré, j’adore !

J’espère bien en voir une pour de vrai un jour dans une rue de la capitale, ou ailleurs.

Connaissez-vous d’autres façons de réparer artistiquement sans cacher ? Je suis impatiente et curieuse de les connaître (en commentaire s’il vous plait !).

Photos empruntées (sans permission, ce n’est pas bien, alors je vous joins les liens) aux sites d’esprit kintsugi, des éditions Saxe, de Itek et d’Ememem.

Le peintre et les abeilles

Ce pourrait être le titre d’une nouvelle, c’est celui d’une rencontre : Stéphane Illand et la peinture à la cire d’abeille.

Stéphane peint avec talent la nature, les animaux comme les végétaux. je suis son travail depuis quelques années déjà et il m’a fait le bonheur, en 2018 je crois, d’exposer quelques toiles dans les locaux de l’asso que je dirigeais pour le ravissement de nos visiteurs.

Passant d’un champ large à un détail infime, il écrit la nature avec son pinceau, nous montre comme elle est chatoyante et surprenante.

Récemment, il s’est converti à la peinture à la cire d’abeille, délaissant l’acrylique. Une façon pour lui d’aller plus loin dans son engagement de naturaliste.

Le chemin est ardu, la cire d’abeille pigmentée difficile à trouver, la technique à maîtriser, explique-t-il, mais le résultat est bluffant. J’ai eu plaisir à l’apprécier de près lors de sa première expo à Paris dans une galerie du côté de Raspail. Gageons que d’autres suivront très vite et que la cote de l’artiste va grimper !

Pour boucler la boucle, comme on dit, je te suggère, Stéphane, de peindre une aile d’abeille avec le sens du détail et de la couleur qui te caractérise. Pour une prochaine expo ?

Site de Stéphane Illand, artiste-peintre

 

Karitas

Dès le premier moment de libre, je me suis ruée vers ma librairie pour acheter le second tome. Il y avait urgence à découvrir la suite de Karitas de Kristin Marja BALDURSDOTTIR, une fresque sociale, historique et sociale en 2 volumes. Vous l’avez compris, j’ai adoré le premier !

Intitulé « L’esquisse d’un rêve », il nous retrace le parcours de Karitas, une jeune islandaise, qui va réaliser son rêve, celui de devenir artiste peintre. Un parcours semé d’embûches en ce tout début de XXe siècle dans une famille pauvre. Orpheline de père, elle doit comme ses frères et sœurs lutter pour survivre et même gagner assez d’argent pour que chacun dans la fratrie puisse accéder à des études et réaliser ainsi le rêve de leur mère.

Leur mère est une battante. C’est elle qui les entraine, contre vents et marées, à quitter leur village natal, tous ensemble, pour rejoindre une ville où ils peuvent plus facilement trouver un travail. Ils s’échinent en cœur mais chacun accèdera à des études au fil du temps et des opportunités.

Karitas étudiera le dessin à Copenhague, loin de chez elle, mais elle doit lutter pour en faire un métier dans cette société rurale, conformiste et laborieuse.

Un récit humaniste qui nous emporte de ville en ville, de pays en pays, à la rencontre de femmes déterminées, épatantes, d’hommes aussi. Chacun y cherche son chemin avec ses envies, ses convictions, ses renoncements et ses propres ressorts. Des thèmes que j’affectionne.

Merci à mon amie Mapie d’avoir glissé cet ouvrage dans ma Pal cet été.

Max et Johnny, le travail (3)

Découvrez la dernière partie de ce récit inédit.

Cliquez ici pour retrouver les deux parties précédentes : Partie 1Partie 2

Max et Johnny, le travail

Dora habite une petite maison entourée d’un jardinet. Son Berger australien y faisait le fou-fou. Comme mon Border Collie, il avait besoin d’activité. Ces chiens-là ne devraient pas vivre en appartement, ils ont trop d’énergie à dépenser. Elle s’y connait en chiens, elle m’explique plein de choses chaque fois que je vais la voir.

La forêt

Presque tous les jours en milieu d’après-midi, nous allons sonner chez elle, Johnny et moi. Enfin, c’est moi qui sonne, parce que Johnny, lui, aussitôt arrivé, il pose son arrière-train sur la pierre de seuil et il aboie. Deux appels courts et secs. Presque autoritaires. Elle ne s’en formalise pas, bien au contraire, souvent elle ouvre la porte avant même que j’aie eu le temps de la prévenir. Elle dit J’arrive, enfile des chaussures, prend son sac et nous partons tous les trois vers la forêt. Je n’y allais pas bien souvent avant de la rencontrer, mais C’est important, elle me dit, que les chiens, surtout les chiens chasseurs comme les Borders Collie et les Bergers, aient de l’espace pour courir tout leur saoul.

Il est vrai que ces sorties lui plaisent à Johnny ! Quand l’heure arrive, je le sens trépigner. Enfin, c’est tout comme. Quelque chose de plus s’agite en lui, le charbon de ses yeux dégouline comme un cornet de glace en plein été. Mais c’est moi qui fonds. Il sait y faire mon corniaud ! Alors on part vers la forêt et presque toujours on s’arrête chez Dora en passant.

Là-bas c’est le royaume de Johnny. Un vrai Diable à courir après les oiseaux, les feuilles, une mouche, tout ce qui bouge en fait. Les autres promeneurs s’en amusent, qu’ils aient eux-mêmes un chien ou pas, parce que des 100 000 volts canins de la sorte, il ne doit pas y en avoir beaucoup sur la planète !  Dans notre forêt en tout cas, c’est le seul.

Les chiens

Les autres chiens suivent tranquillement leurs maitres ou s’empressent d’aller chercher le bâton qu’ils lancent. Certains viennent nous renifler, Dora et moi. Labrador, Bulldog, Caniche, Husky, Golden Retriever, Dalmatien, Boxer, Rotweiler, Lévrier… elle les connait tous, à croire qu’elle a l’Encyclopédie canine gravée dans son cerveau. Moi, j’apprends à les différencier peu à peu, et finalement ce n’est pas si difficile.

Je m’amuse avec les chiens quand leurs maîtres viennent nous parler. Ils aiment bien, les maîtres, qu’on s’intéresse à leurs clébards. Tu sais y faire, me dit Dora, avec les chiens.

La chute

Un jour, une gamine haute comme trois pommes et jolie comme un cœur a chuté contre une souche d’arbre en courant après son bichon tout aussi haut et joli qu’elle. Elle hurlait la pauvre. Le père accourut aussitôt et on le vit pâlir en découvrant que le coude de sa fille avait pris un air bizarre. Il regarda largement autour de lui comme s’il allait tomber sur un poste de secours. À l’évidence, il n’y avait que Dora et moi et quelques autres promeneurs. Il prit dans ses bras sa fille qui continuait à hurler de plus belle et il se hâta vers la sortie du bois. Puis il s’arrêta, se souvenant qu’ils avaient un chien. Et on le vit hésiter. C’est là que je suis intervenu. Je vais m’occuper de votre bichon, je lui ai dit. Comment il s’appelle ? Chouchou, il m’a répondu. Vous nous trouverez Rue du pont, demandez Max et Johnny. Tout le monde nous connait. J’ai crié en articulant soigneusement chaque mot pour qu’il note bien dans sa tête ces informations malgré les aigus qui nous vrillaient la caboche.

Chouchou

Le père est parti avec sa gamine dans les bras. Hésitant entre inquiétudes pour sa fille et inquiétudes pour son chien. Il n’aurait jamais dû confier Chouchou à des inconnus mais une pitchoune, la sienne !, qui hurle de douleur, ça vous retourne les sens.

Avec Dora, on s’est approchés de Chouchou et on lui a intimé de rester avec nous. Il ne savait pas vraiment lui non plus à quel saint se vouer, le pauvre petit chien. Mais on a su le rassurer et il a regardé sa jeune maitresse s’éloigner sans témoigner trop d’agitation. Les hurlements l’avaient quelque peu tétanisé, il faut dire.

Nous avons continué notre promenade dans la forêt. Johnny, le fougueux, tournicotait autour de l’apeuré Chouchou, comme un chaton autour d’un scarabée. À deux doigts de lui filer un coup de patte pour le mettre dans son rythme. J’ai regardé mon chien et je l’ai grondé : Laisse-le tranquille ! C’est un bébé perdu. Il s’est approché du bichon et lui a touché la truffe avec sa sienne, comme s’il lui faisait un bisou. Je l’ai félicité d’une caresse.

Les retrouvailles

On est rentrés chez nous tranquillement après avoir accompagné Dora jusqu’à chez elle. J’espère que Chouchou va retrouver rapidement ses maitres, elle a dit. Je vais surveiller la rue, j’ai répondu. C’est ce que j’ai fait après avoir nourri les deux corniauds.

En fin d’après-midi, Johnny montra des signes d’impatience comme à son habitude. Le bichon, lui, ne bougeait pas beaucoup, semblant toujours aussi intimidé. On descend, j’ai dit, t’es d’accord Chouchou ? Peut-être que ça fera venir ton maître. Il a levé sa jolie petite tête vers moi, j’ignore ce qu’il m’a répondu mais j’ai compris qu’il n’était pas opposé à cette perspective. Quand j’ai ouvert la porte, mon rockeur a dévalé les escaliers, suivi non sans mal par Chouchou. Et vous me croirez si vous voulez, en mettant tout juste le pied sur le trottoir à la suite des deux chiens qui vois-je arriver au bout de la rue ? Le sweat rouge tenant une petite silhouette par la main ! Chouchou aboya. Il les avait aperçus lui aussi. La gamine courut vers lui malgré les suppliques de son père.  Chouchou ! Chouchou ! elle criait. Ton plâtre, ne tombe pas ! il répliquait.

La récompense

Pendant que la gamine cajolait maladroitement son chien, d’une seule main, le père vint me remercier. En sortant de la clinique, il avait acheté un sac de croquettes de luxe dans la boutique pour toutous de riches. Johnny allait être content.

Lily-Lou, c’est ainsi que s’appelle la môme, sa mère et lui habitent tout près de la rue du pont. Bizarre qu’on ne se soit pas déjà rencontrés, dit-il.  On s’est peut-être croisés, j’ai répondu, mais on ne s’est pas vus. Maintenant on se verra. Il m’expliqua aussi qu’ils travaillaient beaucoup sa femme et lui et qu’ils n’avaient pas toujours le temps de sortir leur chien avant de quitter la maison, qu’il aimerait bien me confier Chouchou pour que je le promène parce qu’il a bien vu qu’il se plaisait avec Johnny et moi. Réfléchissez-y, on vous paiera pour ça bien sûr ! conclut-il en me remettant une carte de visite.

Paul Dubreuil – Avocat associé – Droit des affaires

Appelez-moi si vous acceptez ! dit-il en me serrant la main. Je vais réfléchir, j’ai répondu par principe. Au revoir monsieur, merci beaucoup d’avoir gardé Chouchou, me dit Lily-Lou de sa voix redevenue toute petite et douce.

En remontant chez nous, j’ai demandé à Johnny s’il voulait bien à l’avenir se promener avec Chouchou de temps en temps. Il n’a pas grogné, j’ai pris ça pour un oui. J’ai posé la carte de visite de monsieur Dubreuil sur la commode de la chambre, là où je dépose mes objets précieux, et j’ai attendu deux jours pour l’appeler.

Promener Chouchou

Désormais nous allons chercher le bichon chez lui tous les matins et nous nous promenons pendant que la famille Dubreuil se prépare pour sa journée de travail. Et quand ils sont absents, ils nous laissent la clé de la porte sous un rebord de jardinière. Ils ont confiance, ils disent, et ça c’est génial. Aussi inattendu que nouveau, comme le fait d’avoir un salaire. Petit, mais un salaire de travail.

Pour Johnny aussi, c’est nouveau d’avoir un copain. Il est un peu moins fou-fou depuis.

Un travail

Ce qui est génial de chez génial, c’est que de fil en aiguille, d’autres propriétaires de chiens du quartier sont venus me voir. Vous promenez le chien de monsieur Dubreuil, accepteriez-vous de promener le mien en même temps ?

Tous les matins, Johnny et moi nous faisons notre tournée de chiens, comme Pierrot avec ses lettres. Nous passons chercher Bianca, Polka, Laïka, Chouchou et Poly. Deux dalmatiens, un boxer, un berger, un bichon et un border Collie, ça fait une jolie troupe ! Et nous nous dirigeons vers la forêt pour une grosse heure de gambades, Johnny en tête. Mon rockeur est devenu mâle Alpha, il a pris du plomb dans la cervelle. Ça ne l’empêche pas de refaire le fou-fou chez Dora l’après-midi.

C’est notre nouveau rituel. Une longue promenade en forêt le matin avec les chiens de la tournée, une visite chez Dora l’après-midi et, en fin de journée, une sortie dans notre rue pour papoter avec les uns et les autres. On voit beaucoup moins les enfants à la sortie de l’école, seuls ceux qui restent à la garderie, et presque plus Pierrot. C’est ça quand on travaille, qu’on ne traine plus dans la rue.

Salarié

Parce que désormais j’ai un travail. Je suis aide à la personne salarié. Promener Chouchou et les autres chiens, c’est décharger monsieur Dubreuil et les autres maîtres. Ils me paient pour ça. Chaque mois je reçois cinq bulletins de salaire, avec un petit montant, mais additionnés c’est pas mal !

Je ne roule toujours pas sur l’or, mais nous vivons maintenant de notre travail, Johnny et moi. Savoir promener des chiens, ce n’est pas donné à tout le monde. Nous sommes utiles. Et respectés.

Et Dora est la meilleure des amies.

Tout ça, je l’ai obtenu grâce à Johnny, entré dans ma vie un jour d’hiver parce que probablement on s’attendait. Et on s’est trouvés.

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Image : Pixabay

Couverture de roman

La disparition de Stephanie Mailer

Un trajet en train plus long que prévu, un roman à la lecture terminée et un autre malencontreusement resté dans ma valise coincée sous d’autres dans le rack à bagages. C’est là que ma fille me proposa de me prêter le sien pour accompagner le restant de notre voyage : La disparition de Stephanie Mailer de Joël Dicker.

J’ai froncé le nez. Un bestseller, méfiance !Couverture de roman

De Joël Dicker je ne connaissais que le visage et la voix du fait des nombreuses interviews données, ses déclarations sur sa façon de créer, son goût pour les Läckerlis de Bâle, ces biscuits au miel que m’a fait découvrir un ami suisse,  ainsi que les titres de ses romans. Comment y échapper ? Quand il en sort un, la machine à promo littéraire s’emballe.

Je rechignais mais pas longtemps. Faute de grive, on accepte le merle.

J’ai lu une page ou deux pour voir. Le premier chapitre. Le second. J’étais alpaguée. Un page-turner disent certains avec dédain.

Je remarquais au passage certaines lourdeurs, des répétitions, des passages creux, des dialogues plats, des effets de style grossiers… tout ce qu’on cherche à éviter en tant qu’auteur, tout ce qui est censé faire fuir le lecteur et l’éditeur. Mais il est tellement aisé de déceler chez l’autre ce qui ne va pas…, l’histoire de la poutre et de la paille, vous connaissez.

D’ailleurs je passais facilement outre et poursuivais allègrement ma lecture. Mais qui pouvait donc être le meurtrier ? J’avais hâte de le découvrir.

Et puis, j’ai flanché. Aux 2/3 du pavé, agacée par la foultitude de protagonistes qui débarquaient au fil des pages, aussi caricaturaux les uns que les autres et qui n’apportaient pas grand chose à l’intrigue. Et ces explications aussi sèches que des rapports de police assénées par les personnages eux-mêmes, horripilantes !

J’ai tenu bon malgré tout. Je n’avais pas avalé 600 pages pour ne pas connaître le dénouement !

J’ai terminé ma lecture, avec un plaisir moindre qu’au début mais sans renâclement appuyé non plus, hésitant entre amusement et irritation devant les choix « audacieux » pris par l’auteur pour clore l’histoire de ses nombreux, trop nombreux personnages.

Je sais désormais qui est le meurtrier ! Mais naturellement je ne vous dirai rien.😀

Pourquoi avais-je envie de vous parler de ce roman alors qu’habituellement ce sont mes coups de cœur que je partage, voila la bonne question ! C’est peut être cela la magie Dicker, de savoir divertir sans façon !

De gare en gare

Touchant, délicat, optimiste, ce roman choral de Hiro Arikawa, Au prochain arrêt, qui porte un regard tendre et intimiste sur le Japon d’aujourd’hui.
Sur une ligne de train, des passagers montent et descendent, chacun avec son histoire, ses envies, ses peurs, ses désillusions. Ils se croisent, s’observent, parfois se parlent, se lient même.
Des histoires de rencontres comme je les aime, en tant que lectrice et auteure, de ces rencontres qui bousculent les existences si on les laisse venir à soi. Pour le meilleur.

Un roman dont j’ai dégusté les histoires, l’une après l’autre, au rythme des gares, de celles du roman et de mon Cahors-Paris à moi 😘

Merci à mon amie Nicole de m’avoir offert ce livre dont je ne peux que vous suggérer la lecture à mon tour.

sourire

Rencontre

Je vous ai dit que j’adore les smileys, les sourires aussi bien sûr.

sourireCelui-ci, je l’ai rencontré en Auvergne cet été, peint sur un poteau en bord d’une route. De son air moqueur, il m’a interpellée : Tu te sens bien là, hein ?, à te promener au soleil au milieu de cette nature accueillante. Eh bien, profites-en parce que les vacances n’ont qu’un temps. Dans quelques jours tu auras retrouvé la pollution, le bruit et l’agitation alors que moi, je serai toujours là à écouter les cloches des vaches, le braiment de l’âne et le souffle du vent.

De son poteau, il doit rigoler encore et toujours.

Max et Johnny, l’amie

Deuxième partie de ce récit inédit

Rappel Partie 1

Comme tous les matins, j’entends tapoter à la porte d’entrée. Je sais que c’est Johnny qui frappe le battant intérieur de sa patte droite, juste assez fort pour que le bruit des griffes me réveille. C’est l’heure de sortir ! il me dit.

Ni dormeur ni chanceux

Je n’ai jamais dormi profondément, ou alors quand j’étais tout gamin, je ne me souviens plus mais normalement les enfants, ça dort. La mort de mes parents, la vie en foyer, puis dans la rue, c’est ça qui a dû casser mon sommeil, sans que je m’en rende compte. Et pour le recoller je n’ai pas encore trouvé la solution. Je ne suis ni magicien ni sorcier ni génie, ni particulièrement chanceux, je le sais depuis longtemps. Il y a quelques années j’ai trouvé un billet de cinq euros dans le caniveau, roulé comme une cigarette. Il m’a fait penser à Gainsbourg, pour la clope et l’argent. J’ai eu envie de l’allumer, ce rouleau de bifton, et de le regarder brûler, comme il l’a fait lui. Peut-être même de faire semblant de le fumer en le portant à mes lèvres d’un geste large et nonchalant. Pour le plaisir de me dire je suis riche, que je m’en fous de ce fric. Sauf que je ne suis pas riche du tout, et que je ne dédaigne pas l’argent, loin de là. Pas au point de voler pourtant. Si j’avais su à qui le rendre ce billet, je ne m’en serais pas privé.

Au fastfood

À défaut, je me suis offert un repas au Mc Do. Un menu Best Of avec des frites bien chaudes et de la sauce dégoulinante sur mon steak. En mastiquant, je regardais les gens, attablés comme moi, des familles avec des enfants excités ainsi que des adultes seuls qui semblaient concentrés sur leur seul hamburger. Il est vrai qu’il n’est pas facile à manger le building de pain mais il y a quand même moyen de regarder autour de soi il me semble ! Comme s’ils étaient gênés de manger. Ou de se trouver dans un fastfood. Ou d’être seul. Manger c’est la vie, c’est ne pas pouvoir manger qui est pénible ; s’asseoir dans un resto quel qu’il soit est un privilège, et se trouver seul, c’est ainsi. Il n’y a rien d’honteux.

Matinal et baladeur

D’un nouveau coup de patte, Johnny me signifie son impatience. Avec lui, j’ai trouvé plus matinal que moi. J’arrive ! je lui dis. Je le préviens pour qu’il ne fonce pas sur mon pieu. Pas très patient, mon chien. Jamais plus d’un rappel. Après, il saute sur mon lit et me pousse du museau jusqu’à ce que j’en tombe. La promenade du petit matin, elle est sacrée pour lui. Celle de la fin de la matinée aussi. Celle du milieu de l’après-midi tout autant et celle de la soirée, peut-être plus encore. Un chien baladeur, et c’est moi qui suis tombé dessus !

On n’obtient que…, on obtient ce que

À l’orphelinat, le plus vache des surveillants nous rabâchait de sa voix aussi perchée que le corbeau de la Fontaine sur son arbre : « on n’obtient que ce qu’on mérite. » Il voulait dire : une petite bêtise, une gifle ; une moyenne bêtise, une corvée ; une grosse bêtise, des privations. On obtenait ce qu’on méritait toujours dans ce sens-là. Le sien. Quand le « on n’obtient que… » arrivait, on savait à quoi s’en tenir.

Peut-être que j’ai mérité Johnny. Matinal et baladeur. Parce que je suis matinal et baladeur moi-même. Un chien perdu parce que je l’étais sans lui, perdu. Un amour de chien parce que j’en manquais, de l’amour. Et que grâce à lui, le monde est plus doux.

Caresses et mots gentils

Désormais les gens s’attardent à nos côtés. Un petit mot gentil. Une caresse à Johnny. Surtout ceux qui possèdent un chien eux-mêmes, et les enfants. Certains parents tiquent un peu au début. Ne caresse pas le chien ! Ne t’approche pas trop ! Pour ne pas paraitre impolis, ils m’expliquent qu’ils n’ont rien après mon chien, mais qu’ils ne veulent pas donner à leurs rejetons l’habitude de caresser n’importe quel animal même domestique ; ils demandent son nom. Et puis au fil des rencontres, ils laissent l’enfant s’approcher et caresser le chien. Avec certains, c’est même devenu un rituel. Quand ils rentrent de l’école, main dans la main avec leur enfant, ils cherchent Johnny des yeux en m’apercevant dans la rue. Ou l’inverse. Nous sommes devenus un couple indissociable comme Les Chéris. Presque les stars de la rue. Tout ça grâce à mon pirate des Caraïbes.

Des friandises

Jusqu’alors je paraissais invisible pour ces familles-là. Je les voyais bien, moi, pourtant. Théo, le gamin au cartable rouge avec son père toujours la clope au bec. Les deux jumelles et leur nounou collée au téléphone. Le petit Arthur et son sourire polisson, avec sa mère en jean basket. Je les connaissais déjà, je les connais encore mieux parce que désormais ils s’arrêtent et nous adressent quelques mots. Le Bonjour Johnny et les dix secondes que passe l’enfant à tenter d’amadouer mon monstre sont la friandise du chemin entre leur maison et l’école. Sans danger pour les dents de lait. Pour moi aussi ces rencontres sont des bonbons qui adoucissent mes journées.

Le collier

Pressé ou pas, Pierrot, le postier, s’arrête systématiquement pour discuter. Ça aussi c’est nouveau. Un bonjour, une caresse à Johnny et quelques mots. C’est lui qui a émis l’idée d’un collier. Un chien sans collier, c’est un chien errant, il a dit. J’ai eu beau expliquer que je ne me tenais jamais bien loin de mon cabot, il a maintenu qu’il lui fallait un collier. Je n’ai pas insisté, les chiens il doit en fréquenter plus que moi lors de sa tournée.

Je n’avais pas la moindre idée de la façon de me procurer un collier pour mon Johnny à part dans la boutique pour toutous de riches du centre-ville. Plusieurs fois je suis allé fouiner des yeux dans la vitrine à la recherche d’un collier à ma portée, financière je veux dire, mais en vain. Un animal, ça ne compte pas dans le calcul des prestations sociales. Pourtant désormais on est deux à se nourrir. Quand y’en a pour un, y’en a pour deux, ce n’est pas toujours vrai, mais je ne me plains pas, je me débrouille.

Je m’étais fait une raison, Johnny ne porterait pas de collier. Pas pour contrarier Pierrot, bien sûr, mais parce que le collier faisait partie des choses, nombreuses, que je n’avais pas les moyens d’obtenir et c’était ainsi.

La dame

Un matin, Pierrot nous a dit qu’il avait parlé de nous à une dame ayant perdu son chien quelques semaines plus tôt. Peut-être qu’elle viendrait nous voir, que ça lui ferait du bien de voir Johnny qui ressemblait vaguement à son toutou. Madame Péraud, elle s’appelle, a-t-il ajouté en partant. Perro, comme le chien en espagnol, tu devrais t’en souvenir. Perro, perro, a-t-il lancé en s’éloignant, en s’appliquant à rouler les r.

Quelques jours plus tard, j’ai vu une femme s’engouffrer dans notre rue. J’ai su que c’était elle à ses yeux qui nous cherchaient dans un regard qui enveloppait toute la rue. Certainement aussi parce qu’elle était comme je me la représentais. La soixantaine passée, bien mise mais sans atours particuliers, une allure, des expressions, aussi difficiles à décrire qu’une odeur délicate, qui suggéraient la femme seule, abandonnée plutôt, veuve de son compagnon.

On s’est souri. Vous êtes Max, n’est-ce pas ? Et ce joli Border Collie est Johnny évidemment.

Mon chien qui jusque-là courait en tous sens dans la rue pour se défouler selon son habitude a tendu les oreilles, comme s’il réagissait à son nom, et s’est approché de la dame pour lui renifler les mollets. J’ai eu l’impression qu’ils se souriaient eux aussi.

Border Collie

On s’est mis à papoter. De fil en aiguille, notre première conversation a duré une plombe et j’étais bien ennuyé de laisser cette dame debout, sans siège à lui offrir, pas même un rebord de fenêtre à sa portée. Je ne pouvais pas plus envisager de l’inviter chez moi. Ça ne se fait pas avec une dame. Et puis franchement ce serait un peu la honte de montrer mon intérieur assez peu reluisant.

Elle s’appelle Dora Péraud et habite à quelques pâtés de maison. J’ai dû la rencontrer plusieurs fois lors de mes errances sans faire attention à elle. Son chien s’appelait Ploum, c’était un Berger australien. Il y a six mois il s’est fait renverser par une voiture, il a fallu l’euthanasier. Elle a du mal à s’en remettre, je la comprends.

Elle s’y connait drôlement en canins. Les Bergers australiens et les Borders Collie se ressemblent, même gabarit, même tête fine. C’est au niveau des oreilles qu’on les distingue, m’a-t-elle expliqué. Je suis ravi de connaitre la race de mon chien. Un Border Collie, ça sonne classe en plus ! Si vous saviez le nombre de fois qu’on m’a interrogé à ce sujet, mais qu’est-ce que j’en savais, moi ? Désormais je serai fier de répondre.

Le collier et la panière

Elle m’a dit aussi qu’elle n’aurait plus jamais d’autre chien, que Ploum était son troisième. Et dernier. Trop douloureux quand ils partent. Qu’elle songeait à donner ses affaires à un refuge canin mais qu’elle les apporterait à Johnny. Un collier en cuir rouge avec sa laisse, une panière en tissu rembourré et une gamelle en inox. Un os à mâcher aussi. Ça lui faisait vraiment plaisir de savoir que Johnny s’en servirait.

On a encore parlé de nos compagnons à pattes et un peu de moi aussi. Elle voulait savoir depuis quand j’habitais là, ce que j’aimais. Pour la première fois depuis bien longtemps j’ai eu l’impression de parler à une amie.

L’amie

Et puis, elle a dit : On papote, on papote, mais j’ai des trucs à faire, moi. Et elle a ri avant d’ajouter : La prochaine fois, on ira boire un verre au troquet de la place, on sera mieux installés. Parce qu’il y aura une prochaine fois, elle l’a promis. Et pas dans mille ans, dans deux ou trois jours, quand elle m’apportera les affaires de son Ploum.

Je ne connais pas grand-chose d’elle. Peut-être que j’oserai lui poser des questions alors. En attendant, je vais réfléchir à tout ce que j’aimerais savoir de ses chiens et d’elle aussi. Mais déjà je sens que mon cœur est devenu encore un peu plus moelleux.

Grâce à Johnny, je ne déambule plus. Je parle aux passants sans les effrayer, c’est même eux qui viennent à nous avec leurs enfants. Et bientôt j’aurai une amie.

Tout ça grâce à mon rockeur.

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Une amie et peut-être pas seulement, c’est ce que vous découvrirez dans la troisième et dernière partie de ce récit. En attendant, patience ! Pour recevoir ces nouvelles ainsi que des confidences sur leur genèse directement dans votre boîte mail, abonnez-vous à ma newsletter.

 

Barbara Kingsolver, je l’adore !

Je l’adore Barbara Kingsolver, pas en tant que personne, notez que si je la connaissais personnellement je l’apprécierais très certainement, mais comme ce n’est nullement le cas, je me contente de l’adorer en tant que romancière.

Je l’ai découvert il y a des années avec L’arbre aux haricots et Les cochons au paradis et  affectionné ces sagas sociales. Il y a quelques mois, un jour de pillage compulsif dans ma librairie préférée, j’ai naturellement embarqué Des vies à découvert, son roman publié à l’automne 2020 (le dernier, je crois) et l’avais relégué dans ma Pile à lire. J’ai profité de la période estivale pour l’en extraire et, comme attendu, ce fut un délice. D’autant qu’il se consomme à la petite cuillère, ce pavé de près de 600 pages.

Les personnages d’abord, humanistes et attachants. Des femmes libres, charismatiques, cabossées, résilientes et volontaires, dans une fresque construite en miroir entre XIXe et XXIe siècles. Un regard sans concession sur le monde d’aujourd’hui, fracassé socialement, économiquement et écologiquement parlant. Avec pour assaisonnement, une bonne dose d’humour et d’optimisme.

Le style ensuite (qui me rend jalouse, je dois l’avouer). La bonne remarque, la bonne image. Un vrai talent, il n’y a rien à redire.

Je n’ai pas su choisir d’extrait à vous livrer, alors laissez-moi vous proposer quelques phrases glanées par ci-par là comme on ramasse des coquillages sur la plage.

roman de Barbara KingsolverExtraits

Zeke s’était joint à eux et communiquait. Ses yeux creusés et son accablement avaient fait place à son niveau habituel d’aisance sociale : un trait de caractère qu’il avait forcément hérité de Iano. Ou alors cela venait du fait d’être né magnifique, pour le père comme pour le fils. Les gens beaux se plaisaient à dire que la beauté n’avait pas d’importance, tout en dispersant cette monnaie aux quatre vents comme des voleurs de banque amateurs.

« Mesdames, aimables voisins, calmez-vous ! » C’était Landis, sorti d’un coup de son fauteuil, un bras levé tel un baptiste, sans surprise. Son territoire n’était que fracas, et son génie consistait à trouver l’équilibre précis de terreur et de cajolerie nécessaire à ce que le public continue de téter sa mamelle. Ils se pacifièrent sous sa bénédiction.

Willa n’arrivait toujours pas à mettre le doigt sur la réticence de Iano à l’histoire Tig-Jorge. Ce n’était évidemment pas la personne de Jorge qui posait problème ; pour ce qui était de faire ses preuves, la cause était largement entendue. Peut-être était-ce juste un devoir de père de résister en voyant sa fille dériver vers un autre homme.

Rose et Aurelia débattaient de Mr. Dunwiddie comme s’il s’agissait d’une pièce de viande qui manquait de piment. Thatcher savait ce que les femmes avaient en tête quand elles parlaient d’améliorer un homme. Il se laissa aller à imaginer une autre vie. (…) Les ambitions frustrées d’une mère pèsent très lourd sur les épaules de ses filles.

Si je m’étais écoutée, c’est bien tout le roman que je vous aurais copié !

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