Tous les articles par Fabienne Vincent-Galtié - Auteure

Pentothal

Eric Neuhoff  a la critique caustique. Quand il s’en prend à un auteur, cela peut me mettre mal à l’aise. J’ai souffert pour Christine Angot, l’une de ses victimes favorites que pourtant je n’apprécie guère. Certainement parce que je sens indirectement attaquée ma plume maladroite, et c’est idiot.

Le sujet de son dernier livre m’a touchée, le récit autobiographique d’un accident de vie, d’un séjour à l’hôpital… évidemment cela me parle. Et quelle claque en lisant ce récit ! Un verbe élégant et touchant, des mots pesés. Juste assez pour que le lecteur ressente. Un humour juste ébauché et un certain détachement en bouclier. C’est magistral !

Au cours de cette lecture, j’ai découvert les racines lotoises de cet auteur. Cerise sur le pastis ! (et là je me sens obligée de mettre un lien d’explication 😂)

 

Rature

Rature est le surnom dont le héros était affublé enfant, c’est celui qu’il a donné à son bateau.

Ce court roman de Philippe Claudel nous embarque sur un bateau de pêche pour une aventure poétique et introspective où il est question de perte, de mémoire, de solitude, de quête de sens, de tristesse mais aussi de force des liens, d’amour, de transmission, de complicité.  Grâce aux superbes illustrations de Lucille Clerc, une plongée en mots et images.

 

Merci à mon amie Nicole pour ce délicat présent.

boutons

Le chant des boutons

                                                           Court récit

Certains bruits marquent l’enfance, à l’instar d’odeurs ou d’images.

Jeune enfant je plongeais la main dans la boîte à boutons de ma grand-mère qui sentait la poussière et le vieux tissu, avec la convoitise du gourmand dans un bocal à bonbons.

Une boîte à merveilles qui ne payait pas de mine

Un coffret de la taille d’une boîte à chaussures, en carton recouvert d’une cretonne fleurie dont on ne pouvait plus guère discerner les couleurs originelles. Remplie à craquer de boutons. Mon grand-père ironisait, disait qu’un jour prochain, inévitablement, aucun bouton supplémentaire ne voudrait y tenir, même minuscule. Qu’aucun contenant, et pas plus celui-ci, ne se remplissait à l’infini. Ce jour-là pourtant ne semble jamais être arrivé : autant que je m’en souvienne, ma grand-mère n’utilisa jamais d’autre boîte à boutons que celle-ci.

Le couvercle tenait on ne sait comment, en équilibre précaire sur le dôme de boutons, maintenu par un élastique gris de crasse.

Se sentir riche de rien du tout

En malaxant les boutons, je me sentais Harpagon, « de l’or, de l’or ». Un vrai trésor ! Tellement différents par la forme, la couleur, la matière, ils donnaient envie d’en composer des tableaux et c’est que je faisais en les alignant sur la table. Ils me fascinaient. Ma préférence allait aux plus anciens, ceux en plâtre émaillé, en métal coloré ou en verre de jais. Pas une fois, je n’ai séjourné chez ma grand-mère sans sortir du placard l’obèse boîte. « Qu’est-ce qu’elle fabrique encore avec cette saleté ? »

Une transmission patrimoniale et culturelle loin du magot

Après le décès de mon aïeule, ma mère récupéra ce trésor et le compléta de ses propres pièces comme on enrichit une collection. Un écrin plus valorisant leur fut trouvé sous la forme d’un petit meuble de mercerie « DMC », chiné je ne sais où, muni de cinq tiroirs à l’origine prévus pour des écheveaux de fils à broder.

Les boutons y furent classés par couleurs, les exemplaires similaires liés ensemble d’un simple fil à coudre ou encore d’un brin de laine. J’imagine que ma mère durant mes journées de classe y consacra quelques heures, certainement parce qu’elle les vénérait, elle aussi. Ou plus prosaïquement parce qu’en couturière régulière elle trouvait plus facile de dénicher ainsi le bouton qui convenait le mieux à son ouvrage en cours.

Des points de vue générationnels

Craignant toujours d’en manquer, de ne pas posséder la bonne combinaison – diamètre, couleur, style et nombre – pour terminer ses vêtements ou remplacer ceux qui s’échappaient de nos tenues, elle décousait et attachait soigneusement ensemble les boutons des vêtements usagés qu’elle donnait à des proches ou des associations. Ce qui, sans qu’elle veuille l’admettre, oblitérait sérieusement l’adoptabilité de ces effets. Quand je lui objectais que la probabilité qu’elle réutilise ces boutons-là était plus faible que celle que le vêtement ainsi dépourvu finisse sous peu à la poubelle, plus personne ne prenant le soin de se procurer de nouveaux boutons et de les coudre pour remettre en service un vêtement, elle montait sur ses grands chevaux favoris. Les femmes de notre époque ne savaient plus coudre, pas même un bouton ! Pour elle, les hommes étaient hors sujet, donc absous. A travers son prisme d’ancienne élève de l’Ecole ménagère, la couture constituait une politesse élémentaire. « Mais enfin qu’est-ce qu’elles font ces femmes quand elles perdent un bouton sur un manteau, elles le jettent ? » J’avais beau lui opposer qu’un bouton manquant n’était pas la fin du monde, que des retoucheries existaient un peu partout, que les jeunes avaient d’autres priorités… aucun argument n’infléchissait sa pensée. Le bouton manquant portait à lui seul le poids de la décadence contemporaine.

Un drôle d’épidémie dans mon entourage

Il était donc écrit que j’apprendrais à coudre au sortir des langes, que je coudrais des boutons comme aujourd’hui les gamins vont sur Tiktok. Question d’époque. De mère aussi.

Elève docile dépassant le maître par l’ambition créative, j’en enfilais comme des perles, en piquais partout. Vêtements et accessoires, entre mes mains, attrapaient la scarlatine. Viralité sans précédent. Je jouais avec les couleurs, avec les formes, avec les matières bien avant la mode de la customisation et du Do It Yourself.

L’épidémie marqua un pas avec les années sans que le virus du bouton ne soit totalement éradiqué.  Encore récemment, quand il manquait un bouton à une chemise, j’attendais qu’une visite chez mes parents me donne l’occasion de puiser avec délice dans le meuble à tiroirs. Pas une fois il ne m’a déçu ; je n’ai, j’en suis à peu près certaine, jamais acheté le moindre bouton. Je laissais goulûment filer les boutons entre mes doigts comme on joue avec du sable, jusqu’à trouver LE bon élément. A ce jeu-là, un autre bouton attirait immanquablement mon attention. Il me le fallait. Comme une voleuse, mais absoute de ce vice à vie par ma mère, j’embarquais la pépite et la détournais quelque temps plus tard en bague, en broche. Je ne tardais guère en général à lui trouver une utilité ornementale uniquement motivée par l’envie impérieuse d’utiliser ledit bouton.

Le bocal d’où s’élève un chant d’enfance

Ma mère est partie dans un pays qui n’a ni nom ni contours, abandonnant ses boutons. Un crève-cœur de les donner, une impossibilité de les conserver. Entre-deux obligatoire, compromis exigé.

J’ai rempli un bocal avec les plus « beaux », en les sélectionnant avec soin, tiroir après tiroir, patiemment, comme on ramasse les coquillages en déambulant sur la plage quand l’œil est attiré par une forme, par une nacre. J’ai laissé de l’espace dans le récipient pour y ajouter ceux que je conservais de mon côté, parce que forcément j’en aurais besoin un jour ou parce qu’ils se révélaient trop jolis pour être négligés – atavisme quand tu nous tiens !

Ce bocal est mon doudou d’adulte. Quand j’y plonge la main, mes doigts éprouvent la dureté du verre, la froideur du métal, le poli de la résine, ils fouillent et farfouillent avec gourmandise. Alors s’élève le chant des boutons.

Ma madeleine de Proust, mon anxiolytique naturel.

Des nuages et des oiseaux

Découvert dans une boîte à livres, La cité des nuages et des oiseaux d’Anthony Doerr.

Un roman inclassable – monument de 800 pages, imagé et d’une complexe richesse, qui offre au lecteur plus qu’un voyage, une véritable épopée qui l’entraîne du XVe siècle à un futur lointain, de Constantinople à un vaisseau spatial , en passant par l’Amérique contemporaine. Comme fil conducteur, un texte de la Grèce antique qui célèbre le pouvoir de l’écrit et de l’imaginaire.

Cet ouvrage a été couronné du Grand Prix de littérature américaine 2022.

Editeur de cette version : Livre de Poche 

C’est la rentrée !

Le numérique offre le privilège de pouvoir faire sa rentrée en étant encore en vacances. J’ai toujours les pieds dans l’eau mais il est  temps pour moi de reprendre la main.

Et pour ce premier post de rentrée, je vous signale Tintin au frigo, un article publié, il y a quelques semaines maintenant par Pascal Perrat, sur son blog Entre2lettres dont je suis une fidèle lectrice (cf cet autre article) qui relance le débat ouvert depuis quelques années et déjà évoqué sur ce blog. Faut-il éliminer des œuvres littéraires anciennes ce qu’elles recèlent de choquant aujourd’hui à l’instar des Dix petits nègres d’Agatha Christie récemment renommé Ils étaient dix ?

Les James bond, Tintin, Harry Potter, l’oeuvre de Roald Dahl… ont été passés au crible des Sensitivity readers. Cette volonté d’aseptisation m’évoque certaines dystopies et m’inquiète je dois l’avouer. Jusqu’où ira-t-on dans ce « nettoyage » qui aveugle le lecteur alors que les explications et la contextualisation l’éclaireraient ?

J’espère que vous avez passé un bel été. Belle rentrée à toutes et tous !

Photos :  personnelle et Pixabay

Pac-(Wo)Man

Pac-woman j’étais depuis le 16 décembre 2020, Pac-Woman je ne suis plus depuis quelques jours.

Un PAC, en termes médicaux, ça vous dit quelque chose ? Rien, j’espère.

PAC comme Port à cathéter. En gros, il s’agit d’un petit boîtier, positionné sous la peau et relié à un tube dont l’extrémité se situe dans la veine cave, à l’entrée du cœur, utilisé, entre autres (et trop souvent), pour administrer un traitement par chimiothérapie.

C’est le chirurgien qui me l’a posé le jour où il m’a débarrassé de la tumeur qui m’envahissait la tête du pancréas (me délestant de quelques bouts d’organes au passage mais je ne lui en veux pas 😇), en vue de la chimio qui allait suivre.

J’attends cet évènement depuis quatre ans et demi 🤞! Le retrait du PAC signifie que le risque de récidive s’est éloigné, que je vais être considérée comme guérie sous peu. Un miracle en somme.

Je devrais sauter comme un cabri, chanter I’m alive à tue-tête (au risque que Céline Dion me fasse un procès pour massacre vocal), me sentir Reine des Neiges (Libérée Me voilà, Libérée, délivrée, Délivrée). Mais ce n’est pas si simple.

N’empêche que c’est une super nouvelle ! ❤️❤️❤️❤️❤️❤️❤️

Et la preuve qu’il ne faut pas baisser les bras même devant l’évidence des statistiques. Dites-le à vos proches malades 🙏.

Illustration : montage à partir d’images Pixabay

 

 

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La maison qui se déshabille

UN RECIT COURT qui suit Le jardin abandonné

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La maison a été vendue. Il lui faut se dénuder avant de revêtir ses nouveaux atours. Les acquéreurs ont leur propre histoire à écrire. Et déjà des pages et des pages de souvenirs qu’ils vont apporter avec eux et déposer dans ce nouveau lieu.

Déshabillez-moi

La maison est coquette, se déshabille avec lenteur comme une stripteaseuse. Ah ça, elle en a des effets ! En plus de cinquante ans, elle a accumulé des jupons, des brassières, des bijoux en quantité , des accessoires à foison. Conservatrice par nature, elle a tout gardé, ou presque, de ses jeunes années aux plus récentes.

Mouvements de bras et déhanchements ne sont plus pour elle, c’est avec des sourires engageants et des éclats bienveillants dans les yeux qu’elle accorde un fauteuil à Charles, un tapis à Béatrice, un service de vaisselle à Pétra.

Mais pas trop vite

Elle résiste un peu aussi. Chaque meuble retiré laisse des traces comme des sparadraps arrachés.

Se montre facétieuse, dévoilant une photo coincée derrière une étagère, une inscription au dos d’un tableau. La coquine gardait certains menus secrets.

Quelques tours de scène et elle est nue dans son manteau de verdure bruissant et gazouillant. Ah ce jardin ! Avec lui, elle n’est ni seule ni vraiment dévêtue. Les chats et les écureuils veillent sur elle ; les chants des oiseaux et les ramures d’été, chargées à bloc de feuilles et de bourgeons, l’habillent d’un voile de pudeur. Ainsi parée, elle n’a pas froid, même la nuit.

Pour la prochaine danse

C’est une vieille dame couverte de rides, de cicatrices, de tâches. Elle ne serait pas belle à voir en tenue d’Eve sans le jardin qui fait d’elle une reine en toute circonstance. Et bientôt elle dansera dans ses nouveaux habits, et peu importe qu’elle souffre d’un peu d’arthrose.

On laisse un peu de soi

« Comment allez-vous faire, mes filles, pour vider cette grande maison ? »

« On y est arrivés, Maman, on a vidé la maison, emmagasiné des tas de souvenirs, confié des fragments de ta mémoire et de celle de Papa à vos proches et laissé un peu de notre âme à tous entre les pierres. Cette maison est prête pour une autre histoire, maman, tu n’avais pas à t’inquiéter, on te l’avait dit. »

Ainsi passent le temps, la mémoire et les Hommes.

 

Disco

Disco, I’m coming out, une expo à la Philarmonie de Paris qui rappelle aux plus tout jeunes 😧, et présente aux autres, les origines et l’expression de ce mouvement né juste avant l’apparition du Sida.  La revendication de l’inclusion, de la liberté, du droit à l’expression artistique pour tous était le maître mot. Une lutte qui résonne sinistrement à l’ère Trump.

Merci à mon amie Valérie de m’y avoir invitée.