Elle tourne et retourne dans son lit. A chaque mouvement le bruissement de la couette neuve, comme celui d’une longue jupe en taffetas qui ondule sous les pas.
Le sommeil se refuse à elle. Une question la taraude, qu’elle ne parvient à laisser filer, à laquelle elle refuse de réfléchir pourtant. C’est dormir qu’il lui faut.
Coup d’œil au réveil posé sur sa table de nuit. 02 : 40.
Elle écoute la respiration régulière, légèrement sifflante, de son compagnon. Avec cet agaçant petit claquement sec clôturant chaque expiration. Pfuiiii-clac. Pfuiiii-clac. Pfuiiii-clac. Elle imagine une membrane en caoutchouc posée sur la glotte qui se soulève et retombe sèchement quand le flux d’air se tarit.
A l’écouter, elle cale dessus sa propre respiration jusqu’à s’en trouver oppressée.
Elle se concentre sur ses pensées pour retrouver son propre rythme. Et retourne inévitablement vers sa question. Pas elle, pas elle. Demain elle y verra plus clair, elle trouvera une idée, enfin peut-être.
03:22.
Sa respiration s’apaise, mais tant qu’elle n’aura pas de réponse, sa nuit restera jour. Méditer, c’est ce qu’il lui faudrait.
Elle se force à écouter la rue pour apaiser son esprit. Entend le roulis d’une voiture sur la voie pavée. Depuis que les places de parking le long des trottoirs ont été remplacées par des arbustes, la voie est devenue moins passante. Désormais elle identifie chaque passage. Un autre bruit de moteur.
Une moto cette fois. Avec un coup d’accélérateur juste sous la fenêtre. Ce besoin toujours de faire vrombir un moteur, même dans la nuit. Pour se sentir puissant certainement, se rassurer, ça l’étonne toujours.
Des voix maintenant. D’hommes. Des cris plutôt. Une conversation, rien d’autre, animée, comme en plein jour. Elle peine à comprendre cet attrait pour le bruit, cette abstraction de la nuit, des riverains qui dorment.
Qui dorment presque tous. Parce qu’elle, elle ne dort toujours pas. 04: 09
C’est long une nuit quand l’esprit refuse de rendre les armes.
Une valise roule sur le trottoir. Elle connait bien ce petit bruit entêtant si caractéristique.
Elle en a même écrit une histoire, celle qu’elle a justement soumise au concours de l’année précédente. Et si elle ne lui a rapporté aucune récompense, elle en était satisfaite. C’est ce qui l’a poussé à se réinscrire.
Voilà ce qu’elle recherche, un sujet aussi intéressant. Non, non, elle ne veut pas se torturer les méninges, pas maintenant. C’est attendre la fin de la nuit qu’elle veut, il faut qu’elle dorme !
Comment l’avait-elle trouvé, ce sujet ?
Son pouls s’accélère tandis qu’elle réalise ce qui se passe. Elle vient d’arriver très précisément au point qu’elle cherche à éviter depuis son coucher. Se questionner !
Plus exactement se creuser la tête pour trouver le sujet de la nouvelle qu’elle doit déposer d’ici deux jours au concours de sa ville. Parce qu’elle s’y est engagée et que l’inspiration la fuit depuis.
Elle inspire profondément. Jette un œil désespéré au réveil. 05:12. Sa nuit est fichue. A éviter de penser, elle a perdu le sommeil et son temps. Et maintenant que son cerveau s’échauffe en vain, comment trouver cette fichue idée dans cette nuit noire et calme ?
C’est étrange une nuit quand on y pense. Parce qu’il ne se passe rien ou si peu en apparence. Mais c’est quand on n’attend plus rien qu’il arrive ce qui doit arriver.
Voilà l’idée qu’elle cherchait, c’est sa nuit qu’elle va raconter, en faire une nouvelle. Une nuit blanche pour que sa feuille ne le soit pas avec, à l’aube seulement, l’idée de la nuit blanche et de la feuille qui ne le sera pas.
Alors seulement elle s’endort.
05:54
Photo Pixabay par AJS1
1 réflexion sur « Une nuit aussi blanche qu’une feuille »