xperia-zu-telephone_optElle monta à Port-Royal, avec quatre autres voyageurs, un léger sourire sur ses lèvres maquillées d’un rouge franc. Je remarquai immédiatement cette belle quinquagénaire chic, son manteau bien coupé, ses cheveux blonds remontés en un chignon flou sur un visage ovale un peu ridé. Elle s’adossa à la barre centrale, tronc d’acier s’évasant vers le plafond en trois branches verticales, et sortit immédiatement un smartphone de son sac à main :

« Allô chéri, tu me manques déjà… [soupir] c’était bien cette nuit…merci… mmm… ». Elle conversait à voix haute, la tête penchée, l’oreille posée sur son téléphone, et son timbre cristallin résonnait dans cet espace clos sans que le chuintement des roues sur les rails ne parvienne à l’étouffer.

« Elle t’a plu ma nouvelle lingerie. Je l’ai achetée exprès pour toi… Oui… »

Je regardai l’homme en trench beige et pantalon à revers qui se tenait près d’elle, lisant son journal. A peine perçus-je un mouvement de sourcil susceptible de montrer son étonnement ou sa désapprobation. J’observai les autres voyageurs autour de nous. Aucun ne semblait faire attention à cette conversation intime.

« J’ai adoré ta façon de… oui, c’est ça [nouveau soupir]. J’ai hâte de recommencer. Quand est-ce qu’on se voit ? Ce soir, je ne peux pas, mon mari rentre. Demain, oh oui ! Chez toi ou à l’hôtel ? Je ne vais pas tenir jusque là… comment veux-tu que je travaille en pensant à notre nuit ? [petit rire] »

« Luxembourg ». Les portes s’ouvrirent. L’homme au journal lui jeta un regard de biais en quittant la rame, deux jeunes filles montèrent. Elle continuait sa conversation, imperturbable. Seuls ses pieds fins chaussés d’escarpins neufs remuaient pour amortir les mouvements du train.

« Tu me manques, tu me manques… Mon mari sera crevé par le décalage horaire ce soir, pas de problème. Et demain il repart. Oh qu’il me tarde ! Une nouvelle nuit dans tes bras à faire des coquineries… mmm…  » Les deux jeunes filles échangèrent un regard de connivence et gloussèrent de conserve en s’avançant dans l’allée vers des sièges libres. Une dame aux cheveux gris pencha le buste et étira le cou hors des banquettes, comme un pigeon en mouvement, pour tenter d’identifier l’indiscrète.

« C’est vrai que tu as de l’imagination ! … Oh, non ! … » poursuivait la  quinquagénaire en plissant les lèvres et le nez comme une adolescente espiègle.

Alors que le train redémarrait, un jeune enfant hurla à l’autre bout du compartiment, déchirant les tympans des voyageurs : « Nan, veux pas ! » La blonde redressa la tête et, la tournant vers l’origine du cri, se confronta à des regards animés de curiosité. Qui la fixaient. Elle. 

Elle baissa les yeux, sa mâchoire se crispa et son visage entier se ternit comme si la moitié des néons de la rame venait d’expirer.

« Hum… Hum… oui, je t’écoute. » Sa voix aussi flanchait.

Elle se décolla brusquement de la barre, se raidit dans une dignité aristocratique, fit deux petits pas en oscillant sur ses hauts talons, colla sa main sur la porte pour se stabiliser et fixa le mur du tunnel qui défilait derrière les vitres reflétant les lueurs des plafonniers.

« Je dois raccrocher ; tu comprends, là, je suis dans le RER ; je peux pas te parler. »

Petite histoire proposée, ce mois-ci, au concours de nouvelles du RER B.

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