Extraits de lecture

Avec le cahier des citations, dans la chambre de mon enfance se trouvait le cahier des extraits de lectures. J’y copiais, là encore avec application, les passages marquants de mes lectures. Sans soupçonner un instant écrire un jour mes propres phrases.

A l’époque, je lisais beaucoup. Beaucoup. Je possédais aussi, je m’en souviens sans l’avoir retrouvé, un carnet noir à tranche rouge dans lequel je consignais soigneusement les références des livres qui me passaient entre les mains. Ma satisfaction augmentait proportionnellement au nombre de pages noircies, comme s’il s’agissait de paliers à atteindre.  A chacun ses collections.

Allez, je parie que vous êtes aussi nombreux à noter les références de vos  lectures qu’à relever citations et passages. Je me trompe ?

Donnez à lire

Ce roman est celui que j’ai choisi, après quelques hésitations, pour répondre à Donnez à lire, une opération annuelle organisée par le Secours Populaire. Et que je viens juste de découvrir alors que c’est sa 10e édition (shame on me!).

Il s’agit d’acheter un livre jeunesse – tous âges – dans une librairie participante et de le confier à la caisse. Il sera remis par les soins des bénévoles du Secours Populaire à un enfant qui n’a que peu accès aux livres.

J’ignore celui ou celle qui recevra ce roman mais j’espère qu’il/elle aura plaisir à le lire et le relire, et le confiera à un copain, un frère ou une sœur qui le confiera à son tour à un autre. Que ce livre voyage de mains en mains et fasse voyager les esprits !

Avis aux lecteurs et lectrices passionnés, l’opération dure encore quelques jours.

Maître en satin

HISTOIRE COURTE

J’agite mes orteils pour délasser mes pieds, conduire pieds nus est une torture. Et observe mon visage dans le rétroviseur intérieur. Ma nuit blanche y a imprimé quantité d’ombres mais, aucun participant au stage ne me connaissant, au pire je passerai pour dix ans plus âgée. J’enfile mes chaussures en sortant du véhicule, tire sur ma robe, enfile mon trench. Par chance oublié dans la voiture.

M’y voilà ! Trois heures à parler succession à un club d’entrepreneurs, et plus d’échappatoire ! J’ai le palpitant qui tambourine, bien qu’il s’agisse de ma vingt-deuxième prestation dans ce domaine. Ce qui m’inquiète n’est pas de ne pas maitriser le sujet, c’est moi. L’habit fait le moine, dit-on. Il fait aussi la notaire.

Entrée dans l’arène

En montant les quelques marches qui mènent à la salle, je trébuche sur mes stilettos. Pas un magasin d’ouvert ce matin sur ma route pour acheter des ballerines. Altitude douze centimètres ou plante des pieds à même la moquette. Même en arguant épine calcanéenne ou allergie au cuir de bovin, les arrivées pieds nus c’est bon pour les artistes. Et je n’en suis pas une.

Je salue l’assemblée en la balayant du regard, huit hommes, deux femmes. « Je suis Maître Sophie Acte, dis-je, un nom aptonyme facile à retenir. » En général, les zygomatiques se relâchent, certains relèvent le terme qu’il découvre. Aptonyme, vraiment ? Absolument, comme monsieur Viandard, boucher, et madame Sauveur, médecin.

Ce matin-ci, personne ne moufte. Les yeux sont braqués sur mes chevilles. J’aurais dû ceinturer ma robe pour la relever. Avec un peu de chance j’aurais trouvé un bout de ficelle dans ma voiture. Trop tard.

Mauvaise tenue

Je lance le diaporama. « Alors, pour commencer, les abattements. Il faut les connaitre pour les faire jouer au maximum » annoncé-je.

Je déroule mes slides dans un silence de chambre mortuaire.  Heu les gars vous êtes avec moi ? ai-je envie de leur dire. A moins que je hurle un grand coup pour les réveiller. Encore faudrait-il que j’en aie la force. Je reste pro. Demande « Qui peut rappeler les cinq abattements les plus connus que nous venons de voir ? » Un jeune barbu se lance. Je rectifie un point. « C’est bon pour tous ? » Un mâchouilli de  « oui » me revient pour réponse.

Il fait une chaleur à cuire des œufs au plat à même le bureau. « On pourrait ouvrir les fenêtres » proposé-je. Un grand baraqué se lance dans la manœuvre. « Non, elles sont bloquées » il dit.

Je déboutonne mon trench. A peine ai-je retiré la première manche que je le regrette aussitôt. Putain, je m’étais juré de rester coincée dans ce pardessus cache-honte. Trop tard, je suis à nu.

Pas nue. En tenue de soirée.

Doutes et questions

Les yeux remontent le long de mes jambes. S’élargissent en découvrant que le bout de satin lie-de-vin qui dépassait de mon trench, surplombait mes escarpins, se prolonge sur tout mon corps. Qu’est-ce qu’elle fout en pareille tenue, en pleine journée, dans un séminaire pour entrepreneurs ?  Elle sort de boîte ? Elle n’est pas rentrée chez elle après une mission d’escort ? Je perçois leurs doutes qui viennent d’enfler à en crever. Est-elle bien la notaire qu’on nous avait annoncée au moins ? Elle semble maitriser son sujet mais allez savoir…

Dois-je me lancer dans des explications ? Leur raconter ma soirée à l’Opéra pour une prestigieuse opération caritative organisé par mon époux, qui a pris fin vers trois heures du matin, juste avant que notre voisine du dessus, Reine Happe, n’ait choisi de se défenestrer et ne manque nous tomber sur le capot.

Notre voiture fut épargnée mais pas madame Happe. Morte sur le coup. Notre nuit aussi.

Up or down

Nous avons appelé le Samu, la police, répondu aux questions d’usage et réveillé le concierge qui, dans sa semi-conscience, mis deux siècles pour trouver la bonne clé. La police fut à peine plus rapide pour exiger de nous une déposition au poste. Dans l’appartement de notre voisine, ils avaient trouvé la télé allumée et, sur la table de la cuisine, trois tablettes de psychotrope ainsi qu’une bouteille de Cognac, vides. Et sur son réfrigérateur, un post-it avec mon numéro de téléphone sous les mots En cas de problème.

Cette révélation m’a étourdie comme si je venais de percuter une porte vitrée (et je sais de quoi je parle). Durant la soirée, mon téléphone était en mode avion. Et si j’avais manqué son appel de détresse ? J’ai vérifié, aucune notification. Une pulsion suicidaire ne devait pas être un problème pour elle.

Connaissait-on bien madame Happe ? Avait-on décelé ses tendances suicidaires ? Savions-nous si elle avait de la famille, était suivie par un médecin ? On ne confie pas son numéro de téléphone à n’importe qui.

Nous avons confirmé, nous connaissions madame Happe. Bien ? C’est une autre histoire. On se croisait dans l’ascenseur, dans le local à poubelles, à la boulangerie du quartier… Aucune intimité qui pousse à quelques confidences. « Nous ne sommes pas psychiatres monsieur l’agent, je suis notaire et mon mari commissaire-priseur. Je lui ai donné ce post-it l’année dernière quand notre concierge a été hospitalisé. Son absence l’angoissait, elle me l’a dit dans le hall, parce qu’elle attendait un colis. Alors je lui ai proposé de me rendre pour elle à la poste si elle rencontrait des difficultés pour récupérer son paquet. C’est tout. »

Et c’était tout, hélas. Je n’avais certainement pas assez prêté attention à elle et les remords me mordillaient la conscience depuis le petit jour. Elle n’allait pas fort, cela je le savais, et je ne m’en suis pas préoccupée. Happe, un contraptonyme, elle aurait dû s’appeler Down.

Un fond toujours plus profond

Je sens que je m’égare, que j’ai de plus en plus chaud. Il me faut rester concentrée et  boucler au plus vite cet exposé, surmonter mon épuisement, alors pas d’explications superfétatoires. De toute façon, le mal est fait, ma crédibilité s’est perdue dans le satin, ratatinée sur le sol. «Madame ? » m’interpelle le plus âgé. Il devrait savoir, lui, que l’usage est de dire Maître. J’ai envie de lui rappeler la règle, le faire payer pour les autres, mais mes talons vertigineux et mon déficit abyssal de confiance du jour m’en dissuadent. Je réponds à sa question personnelle. Aucun autre participant ne rebondit dessus. Leur confiance dans mes compétences est restée coincée au niveau de mes chevilles. Si au moins ils me mettaient sur le grill pour me tester, cela pourrait devenir amusant. Et puis non, je n’ai pas envie de jouer aujourd’hui. Service minimum. Je cherche de la compréhension, un éclat de compassion sur les visages des deux entrepreneures. Je ne rencontre que des traits aussi fermés que l’esprit de mon beau-père.

Voyons, j’en suis où de ma présentation ? « Passons au démembrement ! »  D’habitude, j’ajoute « démembrement de propriété, on n’est pas dans un thriller » mais aujourd’hui l’image du corps sanguinolent de ma voisine m’en coupe toute envie. Je prends une inspiration. Me tourne vers le tableau blanc pour saisir un marqueur comme on doit attraper un débris flottant quand on est sur le point de se noyer, et c’est là que je me suis enfoncée encore plus. Comme si on pouvait se tuer deux fois.

Sous le nez des chefs d’entreprise, maintenant, mon dos nu jusqu’à la taille. Je peine à trouver le courage de me retourner et affronter la mine des participants. Leurs mâchoires décrochées ne m’évoquent rien de moins que celle de Pierre Richard devant la chute de rein de Mireille Darc dans Le grand blond avec une chaussure noire. Et merde ! Pourtant je me l’étais gravé dans le ciboulot : Ne pas se retourner avant de remettre le trench ! Mes joues sentent le roussi à force de cuire.

Coming out

J’en perds ma retenue, perdue pour perdue, je me lance. « Désolée, vraiment, soyez en certains, de vous imposer une tenue pareille pour vous parler succession entrepreneuriale, j’ai dû participer à une soirée de gala hier soir et un accident grave m’a retenue jusqu’à ce matin. J’ai préféré venir dans cette tenue plutôt que d’arriver en retard et perturber le programme de votre journée. J’aurais dû vous apporter cette précision dès mon arrivée, cela aurait évité les malentendus. L’absence de sommeil est de mauvais conseil, je vous prie de m’en excuser. »

Je suis fière de moi d’avoir réussi à ficeler une explication sobre sans bafouiller. Face à moi, les yeux se froncent. J’y lis Mais qu’est-ce qu’elle nous raconte là ? C’est quoi cette justification aussi douteuse que tardive ? Deux petits sourires narquois et aucun commentaire. Effet manqué. Je poursuis sur ma lancée. « Passons aux frais de succession »

Délivrance

« Des questions ? » Jamais, de ma vie de formatrice, je n’ai été aussi peu sollicitée. Auditoire anesthésié. Et moi, sur le point de m’écrouler. Je leur affiche la dernière slide avec mes coordonnées. « Si des questions vous reviennent, contactez-moi ».

Je vois le barbu et le rondouillard échanger quelques mots et un sourire égrillard. «Messieurs, une question avant qu’on se sépare ? ». « Non, non » répond le poilu avec la mine réjouie de celui qui vient de faire une blague graveleuse. Les deux participantes se sont déjà levées, pour soulager leur vessie j’imagine, avant l’arrivée du prochain intervenant.

Je me hâte de remettre mon trench avant que l’expert-comptable ne pointe son nez justement. Et débranche mon ordinateur. Quand je me relève, la plus jeune des participantes se tient devant moi. « J’étais au gala de la Fondation moi aussi hier soir, mon mari est biologiste. Une très belle soirée. Je vous avais remarquée, votre robe est superbe. » Son sourire est une liqueur au miel. « Et vous me croyez quand je vous dis que je n’ai pas pu rentrer chez moi ensuite ? » Elle sonde mes yeux comme si elle y cherchait le symptôme d’un trouble quelconque. « Quelle importance ? Vous devriez aller vous reposer. »

Je n’ai plus un atome de force. Mon corps et mon esprit rampent comme un camembert oublié au soleil. Je m’effondre sur la banquette de ma voiture. Juste avant de sombrer dans un semi coma, je réalise que je suis allongée dans ma voiture, à une heure où le soleil est au zénith, décomposée, en robe de soirée froissée, à la vue des passants. Que l’un d’entre eux pourrait me remarquer, craindre le pire et appeler la police.

Il ne manquerait plus que ça…

Photos empruntées aux sites Vila.com et mondialtissus.fr

Le cahier des citations

Nostalgie, quand tu nous attrapes avec un petit rien… En vidant la maison de mon enfance, j’ai retrouvé ce cahier au fond d’un tiroir de ma chambre. J’y inscrivais avec application, de mon écriture ronde d’alors, des phrases relevées lors de lectures ou piochées dans des journaux. J’enfilais ces citations au fil des pages pour le plus beau des colliers de mots. Et me sentais riche comme s’il était serti de diamants.

Si vous avez ou avez eu un cahier de la sorte, dites le moi en commentaire.

Pentothal

Eric Neuhoff  a la critique caustique. Quand il s’en prend à un auteur, cela peut me mettre mal à l’aise. J’ai souffert pour Christine Angot, l’une de ses victimes favorites que pourtant je n’apprécie guère. Certainement parce que je sens indirectement attaquée ma plume maladroite, et c’est idiot.

Le sujet de son dernier livre m’a touchée, le récit autobiographique d’un accident de vie, d’un séjour à l’hôpital… évidemment cela me parle. Et quelle claque en lisant ce récit ! Un verbe élégant et touchant, des mots pesés. Juste assez pour que le lecteur ressente. Un humour juste ébauché et un certain détachement en bouclier. C’est magistral !

Au cours de cette lecture, j’ai découvert les racines lotoises de cet auteur. Cerise sur le pastis ! (et là je me sens obligée de mettre un lien d’explication 😂)

 

Rature

Rature est le surnom dont le héros était affublé enfant, c’est celui qu’il a donné à son bateau.

Ce court roman de Philippe Claudel nous embarque sur un bateau de pêche pour une aventure poétique et introspective où il est question de perte, de mémoire, de solitude, de quête de sens, de tristesse mais aussi de force des liens, d’amour, de transmission, de complicité.  Grâce aux superbes illustrations de Lucille Clerc, une plongée en mots et images.

 

Merci à mon amie Nicole pour ce délicat présent.

boutons

Le chant des boutons

                                                           Court récit

Certains bruits marquent l’enfance, à l’instar d’odeurs ou d’images.

Jeune enfant je plongeais la main dans la boîte à boutons de ma grand-mère qui sentait la poussière et le vieux tissu, avec la convoitise du gourmand dans un bocal à bonbons.

Une boîte à merveilles qui ne payait pas de mine

Un coffret de la taille d’une boîte à chaussures, en carton recouvert d’une cretonne fleurie dont on ne pouvait plus guère discerner les couleurs originelles. Remplie à craquer de boutons. Mon grand-père ironisait, disait qu’un jour prochain, inévitablement, aucun bouton supplémentaire ne voudrait y tenir, même minuscule. Qu’aucun contenant, et pas plus celui-ci, ne se remplissait à l’infini. Ce jour-là pourtant ne semble jamais être arrivé : autant que je m’en souvienne, ma grand-mère n’utilisa jamais d’autre boîte à boutons que celle-ci.

Le couvercle tenait on ne sait comment, en équilibre précaire sur le dôme de boutons, maintenu par un élastique gris de crasse.

Se sentir riche de rien du tout

En malaxant les boutons, je me sentais Harpagon, « de l’or, de l’or ». Un vrai trésor ! Tellement différents par la forme, la couleur, la matière, ils donnaient envie d’en composer des tableaux et c’est que je faisais en les alignant sur la table. Ils me fascinaient. Ma préférence allait aux plus anciens, ceux en plâtre émaillé, en métal coloré ou en verre de jais. Pas une fois, je n’ai séjourné chez ma grand-mère sans sortir du placard l’obèse boîte. « Qu’est-ce qu’elle fabrique encore avec cette saleté ? »

Une transmission patrimoniale et culturelle loin du magot

Après le décès de mon aïeule, ma mère récupéra ce trésor et le compléta de ses propres pièces comme on enrichit une collection. Un écrin plus valorisant leur fut trouvé sous la forme d’un petit meuble de mercerie « DMC », chiné je ne sais où, muni de cinq tiroirs à l’origine prévus pour des écheveaux de fils à broder.

Les boutons y furent classés par couleurs, les exemplaires similaires liés ensemble d’un simple fil à coudre ou encore d’un brin de laine. J’imagine que ma mère durant mes journées de classe y consacra quelques heures, certainement parce qu’elle les vénérait, elle aussi. Ou plus prosaïquement parce qu’en couturière régulière elle trouvait plus facile de dénicher ainsi le bouton qui convenait le mieux à son ouvrage en cours.

Des points de vue générationnels

Craignant toujours d’en manquer, de ne pas posséder la bonne combinaison – diamètre, couleur, style et nombre – pour terminer ses vêtements ou remplacer ceux qui s’échappaient de nos tenues, elle décousait et attachait soigneusement ensemble les boutons des vêtements usagés qu’elle donnait à des proches ou des associations. Ce qui, sans qu’elle veuille l’admettre, oblitérait sérieusement l’adoptabilité de ces effets. Quand je lui objectais que la probabilité qu’elle réutilise ces boutons-là était plus faible que celle que le vêtement ainsi dépourvu finisse sous peu à la poubelle, plus personne ne prenant le soin de se procurer de nouveaux boutons et de les coudre pour remettre en service un vêtement, elle montait sur ses grands chevaux favoris. Les femmes de notre époque ne savaient plus coudre, pas même un bouton ! Pour elle, les hommes étaient hors sujet, donc absous. A travers son prisme d’ancienne élève de l’Ecole ménagère, la couture constituait une politesse élémentaire. « Mais enfin qu’est-ce qu’elles font ces femmes quand elles perdent un bouton sur un manteau, elles le jettent ? » J’avais beau lui opposer qu’un bouton manquant n’était pas la fin du monde, que des retoucheries existaient un peu partout, que les jeunes avaient d’autres priorités… aucun argument n’infléchissait sa pensée. Le bouton manquant portait à lui seul le poids de la décadence contemporaine.

Un drôle d’épidémie dans mon entourage

Il était donc écrit que j’apprendrais à coudre au sortir des langes, que je coudrais des boutons comme aujourd’hui les gamins vont sur Tiktok. Question d’époque. De mère aussi.

Elève docile dépassant le maître par l’ambition créative, j’en enfilais comme des perles, en piquais partout. Vêtements et accessoires, entre mes mains, attrapaient la scarlatine. Viralité sans précédent. Je jouais avec les couleurs, avec les formes, avec les matières bien avant la mode de la customisation et du Do It Yourself.

L’épidémie marqua un pas avec les années sans que le virus du bouton ne soit totalement éradiqué.  Encore récemment, quand il manquait un bouton à une chemise, j’attendais qu’une visite chez mes parents me donne l’occasion de puiser avec délice dans le meuble à tiroirs. Pas une fois il ne m’a déçu ; je n’ai, j’en suis à peu près certaine, jamais acheté le moindre bouton. Je laissais goulûment filer les boutons entre mes doigts comme on joue avec du sable, jusqu’à trouver LE bon élément. A ce jeu-là, un autre bouton attirait immanquablement mon attention. Il me le fallait. Comme une voleuse, mais absoute de ce vice à vie par ma mère, j’embarquais la pépite et la détournais quelque temps plus tard en bague, en broche. Je ne tardais guère en général à lui trouver une utilité ornementale uniquement motivée par l’envie impérieuse d’utiliser ledit bouton.

Le bocal d’où s’élève un chant d’enfance

Ma mère est partie dans un pays qui n’a ni nom ni contours, abandonnant ses boutons. Un crève-cœur de les donner, une impossibilité de les conserver. Entre-deux obligatoire, compromis exigé.

J’ai rempli un bocal avec les plus « beaux », en les sélectionnant avec soin, tiroir après tiroir, patiemment, comme on ramasse les coquillages en déambulant sur la plage quand l’œil est attiré par une forme, par une nacre. J’ai laissé de l’espace dans le récipient pour y ajouter ceux que je conservais de mon côté, parce que forcément j’en aurais besoin un jour ou parce qu’ils se révélaient trop jolis pour être négligés – atavisme quand tu nous tiens !

Ce bocal est mon doudou d’adulte. Quand j’y plonge la main, mes doigts éprouvent la dureté du verre, la froideur du métal, le poli de la résine, ils fouillent et farfouillent avec gourmandise. Alors s’élève le chant des boutons.

Ma madeleine de Proust, mon anxiolytique naturel.

Des nuages et des oiseaux

Découvert dans une boîte à livres, La cité des nuages et des oiseaux d’Anthony Doerr.

Un roman inclassable – monument de 800 pages, imagé et d’une complexe richesse, qui offre au lecteur plus qu’un voyage, une véritable épopée qui l’entraîne du XVe siècle à un futur lointain, de Constantinople à un vaisseau spatial , en passant par l’Amérique contemporaine. Comme fil conducteur, un texte de la Grèce antique qui célèbre le pouvoir de l’écrit et de l’imaginaire.

Cet ouvrage a été couronné du Grand Prix de littérature américaine 2022.

Editeur de cette version : Livre de Poche