Skandar

Frustrantes sagas jeunesse

A Noël 22, j’ai reçu le 1er tome de Skandar, de A.F. Steadman, un roman pour ado – de quelqu’un qui me connait bien !- mais j’ai attendu presque un an pour l’atteindre dans ma Pal et, captivée, j’ai filé jusqu’à ma librairie pour m’offrir le second tome et le lire dans la foulée (in extremis, le dernier exemplaire, celui avec la fiche de lecture collée dessus !). Dès le mois de mai, je devrais pouvoir dévorer le tome 3, mais il me faudra attendre une année supplémentaire pour le tome 4 et une de plus pour le 5. Et pendant tout ce temps, je fais quoi, moi ?, à me demander si Skar va sauver l’île ou non ?

Cela me rappelle bien des sagas jeunesse, Harry Potter, de la célébrissime J.K. Rowling,  dont j’avais englouti les 4 premiers tomes en quelques semaines et dû patienter des années pour parvenir au bout de la série ; Eragon de Christopher Paolini dont la sortie du dernier opus a pris des années-lumière. Par chance, j’ai connu La passe-miroir de Christelle Dabos une fois toute la série publiée. Et ça change tout ! Alors j’en fais le serment – doigts croisés dans le dos – je ne lirai plus que des sagas entièrement publiées, foi de lectrice !

PS : Et mince, en vérifiant l’orthographe du nom de l’auteur, je viens d’apprendre qu’un nouveau Eragon est sorti il y a quelques semaines. Hé les auteurs jeunesse, vous n’avez pas fini de jouer avec mes nerfs !

Une limace dans le panier anti-gaspi

Tu trouves pas qu’il a un goût étrange ce saucisson ? – Non, c’est du saucisson halal.

Et pourquoi on mange des œufs de caille, c’est pas une idée bizarre ? – Les poules se sont fait la malle ce matin.

Deux gâteaux dans le week-end, c’est beaucoup, non ?, on va prendre dix kilos – J’avais des tonnes de fruits mûrs à écouler.

Elle est bonne ta soupe, mais je ne parviens pas à en définir le goût dominant. – Normal, y’a tout un tas de trucs dedans.

Chéri ne se formalise pas, il a l’habitude. La faute aux paniers anti-gaspi, tout ça. On ne sait jamais sur quoi on tombe et c’est justement ce qui m’attire.  Quand je vais en chercher un, bien fermé, dans une boutique voisine, je suis comme une gamine de cinq ans devant son cornet surprise, je n’attends même pas de sortir de la boutique pour fourrer le nez dedans.

Deux sachets de laitue périmés le jour même, c’est beaucoup. Bons pour la soupe.

Des légumes racines et des pommes défraichis ? Frites au four et compote.

Du hachis végétal ? Ca te dit, chéri, un Chili végé ?

Chéri est bon public. Et moi, je dois avoir l’âme d’un chasseur-cueilleur. Plus cueilleur que chasseur, sans la crainte de revenir bredouille et avec un placard bien garni au cas où la cueillette serait décevante. Ca aide sans aucun doute.

Voyons voir de quoi sera constitué notre dîner… C’est devenu un jeu. Quand la routine de la préparation des repas me lasse, je cherche un panier sur ToGoodToGo. Plus cher certainement qu’une grille de loto mais sans risque de perdre et avec, en numéro complémentaire, une bonne conscience écolo assurée par le système.

Une fois cependant, j’ai laissé perdre un article. Honte à moi, je devrais reverser l’équivalent en compensation carbone. Vous auriez vu ma tête lorsque j’ai extirpé d’un panier Naturalia un tuyau noir sous cellophane d’une belle longueur !  Un truc gluant prétendant être une « friandise au goût réglisse ».

La tête d’un chasseur-cueilleur devant une limace !

Illustrations empruntées aux sites Les jardins bleus et Le jardin de Petitou

 

pharmacie

Garantie nuit complète

L’homme entra d’un pas décidé dans la pharmacie et se campa devant le comptoir sur lequel une jeune femme triait des feuillets étalés. Bonjour !

Bonjour monsieur, répondit la femme, même pas la trentaine, en levant les yeux vers le sexagénaire aux traits tirés.

Je voudrais le nouveau produit pour dormir, demanda-t-il sans attendre qu’elle l’invite à s’exprimer.

La jeune femme haussa un sourcil, rangea ses feuilles d’un geste rapide et regarda l’homme. Quel produit, monsieur, vous pourriez être plus précis ?

Celui qu’on voit à la télé.

Marie, Préparatrice (c’était écrit sur son badge) serra les lèvres en une moue d’ignorance. S’agit-il de gélules ? De gummies ? interrogea-t-elle.

— Vous l’avez pas vu à la télé ?

—Non monsieur. Nous avons des gommes à la mélatonine qui sont efficaces.

—J’en ai déjà de ça. A la télé, ils disent « garantie nuit entière », c’est ça que je veux. Je suis insomniaque.

—Insomniaque comment, monsieur ?

—Insomniaque comme quelqu’un qui dort pas bien. Je me réveille trois ou quatre fois par nuit.

Marie quitta son comptoir pour se diriger vers une étagère pleine à craquer de boîtes et flacons divers. Nous avons des formules à base de mélange de plantes qui limitent les réveils nocturnes, dit-elle en saisissant une boîte bleue. La silhouette famélique s’approcha.

—C’est garanti nuit entière ?

—Garanti, non, mais ça fonctionne bien.

—Y’a quoi là dedans ?

—De la passiflore, de la valériane et…

—J’ai déjà tout ça. Je veux celui de la télé. Vous ne voyez pas de quoi je parle ?

Le visage de l’homme se chargeait de tics nerveux.  Marie fronçait les yeux, visiblement mal à l’aise. Non monsieur, je ne vois pas. Je vais chercher.

Elle s’empressa de repartir à son poste pour pianoter sur son clavier. Hum, c’est peut-être les gélules du Laboratoire Pioncer. Une boîte violette ? suggéra-t-elle en tournant l’écran de son ordinateur vers son interlocuteur.

Elle respirait mieux avec le comptoir entre eux, érigé en rempart.

L’homme fit la moue. Je sais pas, avoua t-il. Y’a écrit « garantie nuit complète ? »

—Non. Mais c’est une formule avec de la mélatonine à forte dose et à libération prolongée, et c’est nouveau. Nous ne l’avons pas encore reçue.

—La mélatonine, ça sert à rien. J’ai lu tout un Que Choisir sur le sujet, un  numéro rien que sur le sommeil, et il est écrit que la mélatonine ça sert à rien. Vous l’avez lu ?

—Non monsieur, je ne l’ai pas lu.

—Vous devriez.

—Assurément, monsieur, mais pour le moment je ne vois pas de quelle préparation vous me parlez, répondit Marie en jetant un regard vers l’entrée alors que des bruits de pas se faisaient entendre.

Certainement s’attendait-elle à ce que le pharmacien en titre revienne de sa course « je m’absente cinq minutes » et la sorte de ce pétrin, mais c’est un autre patient qui entrait dans l’officine.

—La mélatonine c’est de l’arnaque, poursuivait le sexagénaire à l’air fatigué. De l’ar-na-que ! Ils le disent.

—La mélatonine c’est pas utile et les antibiotiques pas automatiques ! clama le nouveau client qui venait de se coller lui aussi devant le comptoir, épaule contre épaule avec le mauvais dormeur. Mauvais coucheur aussi.

—C’est à la télé qu’ils disent ça ? interrogea ce dernier.

—Non, c’est moi qui le dis, répondit l’intrus en bombant le torse qu’il avait déjà rond comme une tarte soufflée.

—Heu… vous êtes ensemble ? s’enquit Marie après s’être interrogée un quart de seconde sur la justesse de la supposée rime.

—Vous dormez mal vous aussi ? demanda l’efflanqué en l’ignorant et sans paraitre le moins du monde indisposé par cette cohabitation forcée.

—Je fais de l’apnée du sommeil. Si vous saviez…

Marie coula un regard tendu vers la porte de la boutique qui venait à nouveau de s’ouvrir, et reprit courage à la vue de deux silhouettes, dont la blanche du pharmacien.

— Maintenant c’est réglé, je suis appareillé.

—Vous faites des nuits complètes ?

—Quasiment. Pendant longtemps j’ai bouffé du cacheton mais désormais je porte un masque la nuit et ça me change la vie. Des dodos de bébé mais sans doudou ni couche, ironisa le petit bonhomme rond sous le regard conquis de l’échalas.

— Vous avez regardé sur Doctissimo s’il y a des risques ?

—Messieurs, j’ai un autre patient à servir, s’interposa la préparatrice en adressant un sourire engageant au fond de la boutique, est-ce que je peux vous fournir quelque chose ? Ou alors je vous invite à poursuivre cette conversation à l’extérieur et à revenir nous voir une fois que vous vous serez mutuellement éclairés.

Tandis que les deux hommes se détournaient du comptoir tout en poursuivant leur conversation, elle échangea, avec son patron, un regard de connivence chargé de la fierté d’avoir bien mené son affaire avec les deux relous.

T’as rencontré Laurel et Hardy ? pouffa-t-il.

Elle lui rendit un sourire jusqu’aux oreilles tout en se demandant où elle avait bien pu entendre ces deux noms, elle ne voyait pas. Des personnages de BD peut-être…

Photo : Pixabay

Urgence au poste de travail principal

Je l’ai entendue dès mon entrée dans la station de métro. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

A nouveau lors du passage du tourniquet. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

Dans l’escalier qui mène au quai. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

Sur le quai où le train est annoncé dans six minutes. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

En boucle. Un agent d’exploitation est prié de re…

Dans une minute, la rame allait arriver. Un agent d’exploi…

– Qu’est-ce que ça peut bien être comme urgence ? interrogea la voyageuse qui se tenait tout près de moi.

– Je ne sais pas, mais j’espère qu’il n’y a pas péril. A ce rythme, il y a déjà des morts, lui répondit son compagnon.

–  Ils sont partis où les agents d’exploitation, y’en a pas un dans les parages ?

Un agent d’exploitation est prié de…

– Ils semblent que non ou alors ils ont autre chose à faire, rétorqua l’homme.

– Il est midi deux, ils sont certainement partis déjeuner, ironisai-je en n’hésitant pas à fourguer dans le même sac la RATP et la SNCF.

Cette absence de réaction à l’heure du déjeuner me rappelait quelque chose que voulez-vous…

Un agent d’exploitation est prié de…

– Je pensais qu’il y avait un roulement, il faut choisir son heure pour avoir un problème, poursuivit mon voisin de quai alors que la rame entrait dans la station. Il ne faudrait pas que le conducteur parte au secours du poste de travail principal.

– A mon avis, aucun risque, ils connaissent le truc entre agents, ce doit être un code de rassemblement pour aller déjeuner. Mais ils avaient tellement la dalle qu’ils en ont oublié de couper l’annonce et le stagiaire qui fait le planton en leur absence n’a pas le code pour accéder à la platine.

– On peut imaginer bien des scénarios en effet, s’amusa le voyageur tandis que nous montions dans la rame.

– et en écrire une histoire, ajoutai-je.

Image Pixabay (Dan Novac)

 

 

Bonne année 2024 !

Avec des actualités géopolitiques, sociétales et écologiques plombantes, souhaiter que l’année soit belle et joyeuse est très certainement illusoire, mais je souhaite à chacun de nous de trouver la force et les raisons de s’enthousiasmer, se passionner, s’indigner, s’engager, rêver, se projeter dans un ailleurs meilleur, de faire les bons choix, de conserver un regard bienveillant et optimiste sur ce et ceux qui l’entourent et de donner le meilleur de lui-même aux autres. Chaque jour apporte sa pépite, qu’elle soit microscopique ou opulente, sachons la reconnaitre et nous en féliciter. Et puisque 2024 est une année à 366 jours, réjouissons-nous de ce jour bonus !

Image par Nicholas_Demetriades de Pixabay

Le train qui n’aimait pas les feuilles mortes

La ligne de train Paris-Toulouse par Orléans-Limoges, Polt, c’est tout un poème. J’ai connu la période des trains 100% Eco qui promettaient le meilleur comme le pire, la série des défaillances en tout genre et désormais nous sommes dans l’ère Double effet Kisscool, raréfaction des trains et retards systématiques ! En gros, sois heureuse d’avoir réussi à trouver une réservation, tu ne vas pas te plaindre pour un peu de retard !

Un peu ? Jusque-là entre une demi-heure et deux heures de retard à tous les coups ou presque. Avec un tel traitement, les voyageurs réguliers engrangent les bons de compensation. Bien que cachée au fin fond des catacombes de l’appli SNCF Connect, la fonction Indemnisation G30, je la trouve désormais en 3 secondes chrono. Même les yeux fermés, je crois que j’y arriverais. Payer le plein tarif ne m’est pas arrivé depuis des années-lumière et comme les retards s’accentuent, la Sncf va finir par me payer pour voyager !

Et me nourrir aussi. Ah le panier collation avec sa sucette au caramel, je me damnerai pour ! En ouvrant la boîte la première fois, j’ai cru que la Sncf y avait assemblé à la va vite des victuailles pour nous faire patienter. Mais que nenni, au fil des retards, voyant toujours la même boîte m’être proposée, j’ai compris qu’elle avait été pensée pour être ainsi. Une conserve de taboulé, une biscotte, une gourde de compote, deux biscuits secs et une sucette. Au caramel, toujours la même.

Quelques calculs, j’ai le temps. Je suis bloquée à Argenton.

580 kms séparent Cahors de Paris. Grâce aux compensations financières, je dois payer moins de 25 euros par trajet en moyenne, ce qui nous fait un tarif de 4 centimes le kilomètre. Imbattable ! Restauration incluse certains jours. Le bon plan ! A se demander pourquoi Le Petit Futé n’en parle pas.

580 kms pour une moyenne de 7 heures de trajet, ça fait du 80 kms heure. Même avec un tacot on irait aussi vite ! En 7 heures, je pourrais être à New-York. Eh bien, non, je ne vais qu’à Cahors !

Et encore si la Sncf est d’accord, parce qu’aujourd’hui elle a décidé qu’Argenton-sur-Creuse avait assez de charme pour qu’on y stationne un certain temps. Un temps certain.

Je ne connais cette gare que depuis, récemment ajoutée au programme des réjouissances. Avant, on filait, si l’on peut dire, devant son nez sans y prêter garde (y prêter gare ?), maintenant on s’y arrête. Une gare de plus sur le trajet, quelques minutes supplémentaires. Tandis que Bordeaux devient la banlieue parisienne, Cahors se fait Vom, ville d’Outre-Mer.

Cependant comme les Parisiens face aux problèmes de métro, les voyageurs POLT subissent sans broncher. Aujourd’hui c’est le summum. 15 minutes de retard avant Orléans pour « défaillance technique d’un train devant nous », 40 mn en arrivant à Argenton. « Le train de marchandises devant nous ne peut avancer à cause des feuilles mortes sur les rails ». Personne pour balayer ? « Nous allons stationner pour une durée indéterminée » Le balayage des feuilles mortes, ça me connait ! Je vais aller me proposer. « Retard estimé à 1h 30 ». Encore une demi-heure et j’obtiendrai 50% de compensation et une sucette au caramel, faut toujours apprécier le bon côté des choses.

« Notre train va faire une manœuvre dans quelques minutes pour pousser le train de marchandises et dégager la voie. Nous allons faire tampon. » Le coup du tampon, on me l’avait pas encore fait celui-là. Pourvu qu’on ne nous fasse pas descendre pour pousser !

Les minutes passent sans que notre train ne bouge d’un iota. « Retard de 2 heures à l’arrivée à Cahors. Motif : incident de circulation. » Nous y voilà.

Alors on tamponne ou on tamponne pas ? Un voyageur s’est levé, a interpellé un contrôleur. Le coup des feuilles mortes, c’est prévisible quand même, non ? Les feuilles tombent à l’automne depuis la nuit des temps, vous n’allez pas mettre ce phénomène sur le compte du dérèglement climatique ! Vous supprimez des trains et pour ceux qui roulent, ça va de mal en pis. C’est quoi ce bazar ?

Il fallait qu’il exprime, il n’attendait pas d’explication. Il n’en a pas eue. « Faites une réclamation et une demande de dédommagement » a répondu le contrôleur. J’ai failli lever le doigt « je vais vous montrer ! ».

Le train ne bouge toujours pas. « Votre gare ne sera pas desservie. Motif : panne de matériel ». On nous loge en plus dans ce cas-là, dans le meilleur hôtel d’Argenton-sur-Creuse ? Je suis curieuse de tester.

« Je vous informe de la situation, nous attendons une décision pour pousser le train. Je vous tiendrai au courant. »

Si la direction part déjeuner, on est cuit.

De nombreuses grosses minutes plus tard : « Nous vous demandons d’évacuer le train afin qu’il soit vide pour tenter de déplacer le train de marchandise devant nous. Un autre train est attendu pour la poursuite de votre voyage. Prenez bien toutes vos affaires, n’oubliez rien, vous avez le temps. Rendez-vous dans la gare pour d’autres informations. »

Du temps, j’ignore si on en a tous mais ce qui est certain c’est qu’on va en prendre, qu’on le veuille ou non.

Les gens se lèvent, les manteaux s’enfilent, les valises se redressent, le train se vide sans grognements ni précipitation. Des dizaines de voyageurs se pressent vers la petite gare, autant restent sur le quai.

Je suis de ceux qui optent pour la gare, bêtement j’obtempère. Mais les informations restent dans le train. Du moins c’est ce que je me dis après un bon moment d’attente sans que le moindre agent Sncf ne pointe son nez dans l’exigu local. Les gens s’informent entre eux, vont à la pêche aux infos plutôt.

« Il faut aller sur le quai 1 » assène une femme. Des voyageurs la questionnent, « qui a dit ça ? pourquoi ? » Je n’entends pas ce qu’elle répond, mais comme d’autres je la suis. Le quai est bondé. Une voix faiblarde retentit dans le haut-parleur. Des oreilles se tendent. Train… retard de 1h30…  Toulouse… « Le train pour Toulouse doit passer à quelle heure ? » je demande. « Aucune idée, je n’ai pas compris », déplore un quadragénaire vêtu de noir. « J’allais à des obsèques à Limoges à 11 h. » « Ah oui… c’est mort », j’ai failli lui répondre mais je me reprends à temps, « l’heure est passée ». « Je n’ai plus qu’à repartir », il dit.

Quelques personnes quittent le quai en trainant leurs valises.

Un groupe se forme autour d’une femme en blouson rouge. Je l’entends parler de train, de car… elle parle fort, sûre d’elle. Ma voisine de quai part aux nouvelles en me confiant sa valise. « C’est une employée de la Sncf, elle dit qu’il va y avoir un train pour Toulouse mais qu’on pourra pas tous monter dedans. Que des bus vont arriver aussi » m’explique t-elle à son retour.

La femme en rouge arpente le quai. « Des personnes voudraient remonter à Paris ? » hurle t-elle. Des voix s’élèvent. « Moi ! » « Moi ! » « Rassemblez-vous, j’ai besoin de monde pour demander un train ». Et dans son téléphone, elle hurle plus encore « Mais enfin, y’a quelqu’un ? Y’a quel-qun ? »

« Ils s’en tamponnent » je dis. Ma voisine sourit. « Midi, c’est pas la bonne heure. La pauvre, elle a été envoyée au charbon et elle se démène, mais elle est bien seule ! »

A ce moment-là un train lancé à toute vitesse vers Paris traverse la gare en klaxonnant. « En plus, ses collègues la provoquent » ironise ma voisine.

Une voix dans le haut-parleur : « Un autocar est mis à disposition pour Limoges, un autre pour La Souterraine puis Souillac et Gourdon » Deux jeunes ricanent. « C’est joli Gourdon, mais c’est un trou. On fera quoi une fois là-bas ? » « Je vais à Brive, dit ma voisine, ca ne m’arrange guère. »

Un bout de banc se libère, j’y pose une fesse et me met à lire.

« L’intercité 36… Toulouse est attendu avec … 30 de retard ». « Un train pour Toulouse va arriver ? » s’interroge ma voisine de banc. « Il faut croire, je lui répond, ils ont peut-être sauté le dessert. »

A ce moment, on entend « Le train 3619 va entrer en gare, merci de vous éloigner du quai. »

« Le voici enfin », je dis en rangeant mon roman.

Mais je le reprends au bout de quelques minutes ne voyant rien venir, telle la sœur Anne du conte.

« Il va entrer en gare mais on ne sait pas quand » commente ma voisine.

« Le dessert devait être trop appétissant, z’ont pas pu résister . » Mais un klaxon retentit ma réplique à peine formulée, et un train vient s’arrêter devant nous.

Miracle.

J’ai l’impression que tout le monde parvient à y trouver de la place sans difficulté. Double miracle. Le Dieu de la Sncf est avec nous, enfin !

« Pour les voyageurs qui viennent de monter en gare d’Argenton, des boîtes repas ont été déposées sur les plates-formes de chaque voiture. »

« Et on n’a droit à rien, nous ! » raille un vieux monsieur.

« Ca se mérite, monsieur, je lui réponds. Pour la boîte en carton, il faut s’être levé à 5 h du matin et avoir patienté 3 heures à Argenton ! »

« On a quand même 1h30 de retard, nous »

« Pas assez ! Recalé ! »

Il rit. « Et qui a-t-il dans votre boîte ? Que je sache ce que je perds. »

« Alors… du taboulé… de la compote… une biscotte… un biscuit… et la fameuse sucette ! » je clame en la brandissant.

« En effet ! s’amuse t-il. Je regrette de ne pas subir plus de retard ».

« Je vous l’offre bien volontiers. »

« Merci, j’ai les dents fragiles à mon âge. On arrive à quelle heure à Brive ? » demande t-il en se tournant vers un autre voyageur.

« Je ne sais pas, je descends à La souterraine. »

« Vous n’allez pas à des obsèques ? »

« Si, à La souterraine. »

« Les obsèques à Brive, c’est moi » dit son voisin.

« Alors c’est pas les mêmes du coup » commente le vieux monsieur.

« Non, on n’est pas ensemble. »

« Ah… je croyais. Ce qu’il y a comme obsèques… »

J’ai failli lui parler de l’homme en noir.

Le jeune homme métis face à moi, que je reconnais comme un naufragé d’Argenton, arrête le contrôleur qui remontait le couloir en mode flèche. Pas assez rapide le mec pour réussir à ne pas se faire alpaguer.  « Je vais arriver trop tard à ma formation à Montauban. Vous pouvez me changer mon billet de retour ? » demande t-il en brandissant son téléphone. « C’est à vous de le faire, Monsieur, par l’application. »

« J’ai un billet non échangeable » insiste le jeune homme.

« Vous êtes en première et vous avez un billet de seconde, vous devez changer de compartiment. »

« Mais enfin monsieur… » interviens-je indignée. Mais le contrôleur est déjà reparti, encore plus vite qu’en arrivant j’en suis certaine. « N’importe quoi ! » commente le jeune homme en haussant les épaules. « La Sncf a certainement lancé un concours interne, genre Trophée de l’aberration, dont on fait les frais, je ne vois que ça. Il en en bonne place pour gagner celui-là… »

En riposte, je saisis une demande de compensation sur mon téléphone. Train en retard ou train annulé ? J’hésite. Puisqu’il faut un billet et un numéro de train, ce sera Train en retard. Mais évidemment le retard est incalculable pour l’application. « Votre situation va être examinée par nos services » affiche la réponse automatique. Examinez, examinez, j’espère que des feuilles mortes ne vont pas venir bloquer vos neurones…

Nous arrivons finalement à Cahors avec 3h40 de retard. En attendant que la porte du wagon se déverrouille, je me dis qu’à l’heure où l’humain veut coloniser la Lune, se rendre sur Mars, quand quelques feuilles mortes bloquent un train de marchandises et ralentissent le trafic ferroviaire de tout un axe, l’aventure finalement n’est pas là où on la croit.

Image par Aleksejs Ivanovs de Pixabay

Les pépites

Chaque journée contient sa pépite, j’en suis convaincue, mais parfois il faut attendre le soir pour tomber dessus, parfois encore il faut se creuser les méninges pour identifier quel est ce moment qui a illuminé, ne serait-ce qu’un instant, sa journée.

Et parfois, la grâce vous tombe dessus dès le matin et de façon criante, et votre journée est ensoleillée pour de bon.

Il y a quelques jours, pour me rendre au boulot, je circulais dans un couloir de la station Nation. Dans l’escalier qui mène à la ligne 6, je remarquai un jeune homme qui s’était arrêté et disait à une femme coiffée d’un étrange chapeau mou : « Vous n’avez plus qu’à grimper ces trois marches et vous y serez. Ca ira ? » La femme lui répondit, sans que je comprenne ses propos, d’une voix de petite fille niaise qui dénotait avec sa large carrure.

J’étais installée dans une voiture de la ligne 6 quand j’entendis cette même voix de gamine. Je quittai des yeux mon bouquin pour apercevoir le chapeau de laine avachi. « Y’a quelqu’un qui descend à Nationale ? Parce que j’ai besoin d’être accompagnée. » Je lui fis signe que non, les autres voyageurs de notre petit groupe la regardèrent sans répondre. J’allais lui suggérer d’interroger l’autre extrémité de la voiture quand une femme élégante lui proposa de s’asseoir à côté d’elle. « Je vais plus loin que vous mais je descendrai pour vous aider. » La chapeautée la remercia vivement de sa gentillesse après lui avoir expliqué qu’elle avait des vertiges et qu’elle risquait, sans aide, de tomber dans les escaliers. « C’est tout à fait normal, madame, lui répondit l’élégante, dans la vie il faut se soutenir ».

Je quittai la rame avant elles, heureuse d’avoir assisté à cette scène. Ma journée commençait bien !

Quelques jours plus tard, je piétinai sur le quai à Nation, en rentrant après le travail, quand j’entendis à nouveau cette voix flûtée si reconnaissable. « C’est gentil, madame. » La femme au chapeau informe était accrochée au bras d’ une jeune fille qui semblait la guider jusqu’à l’escalier.

Je souris et les remerciai toutes les deux en pensée pour cette pépite du soir.

Depuis plus de 1000 jours

Il y a trois ans un cancer du pancréas m’était diagnostiqué. Taux de survie à 5 ans, 11%, ça fiche un coup sur la tête. Pourtant jamais au cours de ces plus de 1000 jours je n’ai cessé de croire en ma bonne étoile.

Aujourd’hui je vais bien. Le petit renflement sous ma clavicule droite, là où a été implantée une chambre d’injection, me rappelle quotidiennement qu’une récidive est encore probable, c’est mon Memori à moi. Je me souviens, mais la vie est la plus forte.

Plus que jamais, je suis reconnaissante envers le corps médical qui m’accompagne, le système de prise en charge français, mes amis et ma famille qui m’entourent. Merci à tous !  Et à mon étoile aussi, merci.

Image par Florian Pircher de Pixabay