Archives de catégorie : Micro-nouvelles et autres récits courts

Le pot de pièces

La conjonction de situations, de présences, de petites idées, de rencontres débouche parfois sur une idée majeure. Il peut s’agir d’une forme d’art ou d’une tournure d’esprit.

Souvent j’ai cette pensée qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que du fouillis, de l’ignorance, du gâchis sorte un trésor. Juste une étincelle.

Je possédais un lot de vieilles pièces de monnaie dont je ne savais que faire depuis des années sans parvenir à m’en séparer. Jusqu’à ce que l’étincelle attendue jaillisse.

En observant le vase que je venais d’habiller d’une mosaïque de ces pièces, j’ai imaginé cette fable.

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Il était une fois une salle de bain qui sifflotait de bonheur tandis que Luigi, un jeune ouvrier, posait sur ses murs de nouveaux carreaux de faïence bleu-vert. Bleu paon plus précisément. Sa huppe royale, sa longue traine comme celle de la plus belle des mariées, son plumage aux nuances éclatantes, elle aimait tout chez ce volatile. Revêtir sa couleur serait sa façon à elle de faire la roue, d’arborer son air majestueux.

Elle rêvait depuis si longtemps de cette nouvelle jeunesse. Elle se voyait belle, belle, belle… Quand le miroir serait suspendu au-dessus du lavabo, elle pourrait s’admirer.

Elle sifflotait plus que jamais sous les caresses de Luigi lissant de l’index le joint entre ses carreaux. Un délice.

Dans la chambre d’à-côté, ça grognait. Ce débord de joie était indécent. La bonbonnière remplit de pièces de monnaie oubliées s’agitait sous le mécontentement de ses occupantes. Les petits soins, c’était toujours pour les autres. À peine, étaient-elles dépoussiérées tous les trente-six du mois par le couple qui habitait les lieux. De temps à autre, une pièce rejoignait le pot. Sur le moment, ça créait un peu de distraction. On faisait connaissance, mais très vite la léthargie saisissait à nouveau toute la colonie. Les vieilles pièces en centimes de francs, percluses d’arthrose, retrouvées au fond d’une vieille boîte ressortie du grenier n’avaient pas grand-chose à raconter. De la vie d’aujourd’hui, elles ne savaient rien. Le passé, elles en avaient par-dessus la tête.

Les plus jeunes, qui provenaient tout droit de pays étrangers, arrivaient souvent en groupe en une avalanche. Elles créaient du désordre, se montraient pétulantes et particulièrement bavardes les premiers jours. Mais peinant à se faire comprendre des autres, elles se lassaient à leur tour.

Recluses dans leur pot, nostalgiques des porte-monnaie et des tiroirs-caisses, elles se morfondaient de concert dans cette petite chambre qui ne servait guère que de débarras. Elles s’y étaient résolues. Mais quand la pièce voisine se mit à jouer la trublionne, l’une des nouvelles arrivées explosa. Qu’est-ce qui la rend si heureuse, celle-là ?

Une autre s’aventura. J’aimerais bien avoir envie de chanter moi aussi.

C’était trop !  

Les plus grosses allièrent leur voix. Hé voisine, tu en fais du bruit !

La salle de bain s’étonna. Qui lui parlait ainsi ?

C’est ainsi qu’un échange s’établit entre la bonbonnière et elle. Voisines depuis des années, elles ignoraient chacune l’existence de l’autre, tout à leur nombril.

Les piécettes se plaignirent de leur situation. Entassées, délaissées, confinées, c’était pas une vie ça !

Pourquoi vous ne disiez rien jusque-là ? s’étonna la salle de bain.

Parce qu’on ne savait pas qu’on pouvait être heureux dans cette maison, pardi !

La salle de bain n’avait pas pensé à ça, elle qui bénéficiait de son petit lot de distractions quotidiennes. Elle était défraichie, fatiguée mais considérée.

L’oubli, c’était terrible. Pourvu qu’elle n’y tombât jamais.

Elle pensa au vase qui végétait depuis des années dans un placard juste à côté, et qu’elle n’entendait même plus geindre. Un temps il avait accueilli des brosses à cheveux mais, très vite tombé en désuétude, il avait été relégué au fond d’un placard. Il était arrivé de Chine dans une valise, un achat impétueux de Céline et Maxou, le jeune couple habitant les lieux. Il avait fait son petit effet avec sa laque rouge aux motifs dorés, mais n’avait pas tardé à déplaire avant même d’apprendre notre langue. La salle de bain avait bien tenté de communiquer quelque temps avec lui à travers la cloison mais comme il ne faisait pas beaucoup d’efforts pour se faire comprendre, elle s’était recentrée sur elle-même.

Hé les filles, y’a des Chinoises parmi vous ?

Je suis la seule, répondit une toute petite voix dans un très bon français.

Il y a un vase en bois laqué, dans le placard de la chambre. Je l’entendais grogner à travers la cloison, je ne l’entends plus. Pourrais-tu l’appeler en mandarin ? Il n’y a plus qu’entendre sa langue natale qui pourra le réveiller.

La piécette de deux cents de yuan hurla à l’attention du vase qui ne l’entendit pas. Sa voix ne portait guère.

Elle recommença. En vain.

Et encore. Jusqu’à ce qu’un shilling vienne à sa rescousse.

Répétons ce que dit Deux cents de yuan tous ensemble et en hurlant, proposa-t-il.

Les pièces s’époumonèrent d’un seul élan vocal et le vase sortit de sa torpeur.

Qu’est-ce qu’il se passe ? bégaya-t-il d’une voix endormie.

Deux cents de yuan traduisit sa question puis souffla au groupe une réponse qui fut criée vers le vieux contenant. La salle de bain n’en perdait pas un mot.

Une conversation s’établit ainsi à travers la cloison entre le vase, les pièces de monnaie et la salle de bain.

Mais très vite la salle de bain eut envie de voir ses nouveaux amis.

Elle se tortura le ciboulot.

Enfin, un matin, après une nuit blanche, elle appela ses copains, rayonnante.

Coucou, les potes ! J’ai une idée !

La monnaie et le vase, après un bref sursaut de joie, se mirent à douter. Quelle était cette idée géniale ?

Quand la salle de bain leur expliqua son plan, ils rigolèrent.

Impossible !

La salle de bain bouda. Elle le trouvait génial son plan, elle. Indéniablement complexe à mettre en œuvre, mais génial.

Impossible ? Elle n’aurait jamais osé revêtir un habit de paon et pourtant son rêve était en train de se réaliser. Pourquoi pas son plan aussi ?

Elle redressa la tête et se mit à regarder Luigi de ses grands yeux de biche blessée. Il était temps, les travaux se terminaient, elle n’allait plus le voir.

La comprit-il ? Elle ne le sut jamais mais, en rangeant tout son fatras de carreleur, il oublia le restant du sachet de poudre à joint bleu paon.

Quand Maxou le trouva après le départ de Luigi, ne se résolvant pas à le jeter, il le déposa sur la commode de la chambre voisine. Il adorait ce bleu-vert profond qui lui rappelait les reflets de l’étang de ses parents.

Quel bazar cette chambre ! dit-il à Céline. On va bientôt en avoir besoin, ajouta-t-il amoureusement, il faudrait qu’on la débarrasse.

Le week-end suivant, le couple se mit à l’ouvrage. Céline plongea la main dans le tas de pièces de monnaie. Elle aimait les soupeser et les faire sonner. Tant de voyages aux doux souvenirs. Tout un passé de petits et grands bonheurs.

Dans le placard, elle retrouva le vase qui lui rappela leur voyage de noces. De lui également elle rechignait à se défaire. Elle aimait les objets, Céline, elle était ainsi. Pas pour leur valeur marchande, mais pour ce qu’ils lui disaient sur elle et sur ses proches, sur ses ancêtres aussi parfois. Quand elle prêtait l’oreille, elle les entendait lui parler. 

Elle ne sut pas répéter à Maxou ce qu’elle entendit d’eux ce samedi-là en rangeant la chambrette, les propos restaient confus. Mais le dimanche soir, quand ils se reposèrent enfin sur le canapé elle posa sa tête sur l’épaule de son mari et lui proposa de revêtir leur vase chinois d’une mosaïque de pièces. Comme ça, ils continueraient d’en profiter, et des pièces et du vase. Et ça tombait bien, il restait du joint bleu paon qui irait à merveille avec les tons argentés et dorés de la monnaie.

On le mettra où ? demanda Maxou.

Céline hésita. Dans la chambre du bébé ?

Mais une évidence jaillit. Dans la salle de bain !

C’était précisément là qu’il fallait le poser, dans la salle-de-bain, en un rappel de bleu et face au miroir pour que les éclats métalliques des pièces de monnaie rayonnent dans cette petite pièce comme sur la surface de l’étang des parents de Maxou. Au bord duquel il lui avait proposé de l’épouser et où ils emmèneraient leur enfant.

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J’aime donner une âme aux objets. Dans Lignes et lames, l’une des nouvelles de Point à la ligne, c’est le couteau fétiche de l’héroïne qui en est le narrateur. Une façon d’entrer sans voyeurisme dans l’intimité de cette femme trompée. Si vous n’êtes pas encore inscrit.e à ma newsletter, ne tardez pas et vous obtiendrez ce récit en cadeau de bienvenue dans le cercle de mes lecteurs privilégiés.

 

Jeune fille en pleurs

La jeune fille triste

Elle est assise sur le rebord de ciment devant la porte du garage. Je l’observe depuis ma fenêtre.

J’ai l’habitude de regarder les jeunes se rassembler à cet endroit, abrités des regards (sauf du mien qu’ils ne soupçonnent pas), pour fumer, téléphoner, s’amuser, bavarder, déjeuner, attendre le cours suivant. Des jeunes du lycée voisin ou de l’école de danse à une encablure de là.
D’ordinaire ils évoluent en grappe, c’est pour cela que je l’ai remarquée, elle. Seule. Sans téléphone, sans livre ni sandwich. Juste elle et ses pensées.

Un rictus. Un mouvement de la tête. Je n’ai entendu ni aperçu le sanglot et le nez qui renifle mais ils y étaient, j’en suis certaine.
Elle a relâché le  cou comme si le fil invisible qui tenait droit son buste venait de rompre. J’ai craint un instant que le poids de sa tête entraîne tout son corps avec elle, qu’elle s’enroule comme une feuille brûlée par le soleil. Il n’en est rien.

Elle ferme les yeux, prend une longue inspiration. Alors je vois une larme rouler sur sa joue. Tout son visage se crispe. Et d’autres larmes suivent qu’elle essuie d’un revers de manche.

Quel malheur la frappe ?

Impossible à imaginer tant il y en a d’envisageables, de ces pépins qui s’abattent sur chaque vie. Certains tuent, d’autres assomment ou juste affaiblissent. On s’en remet plus ou moins bien, plus ou moins vite. Parfois on en évite un, on se dit qu’on a de la chance, ou l’on trouve ça normal, mais un autre arrivera inévitablement. La vie est ainsi, constituée de dépressions et de sommets, elle est rarement un plat pays.

Qu’est-ce qui peut bien bouleverser cette jeune fille ?

Des amours impossibles, une amitié bafouée, un avenir compromis, un deuil récent… J’abandonne ma fenêtre, impuissante et troublée.

Et quand je reviens, quelques minutes plus tard, elle n’est plus là. Partie dans sa tristesse vers un bonheur à venir.

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Le hall de la gare d'Austerlitz

L’homme de la gare

Je prends souvent le train Gare d’Austerlitz pour me rendre à Cahors, toujours le même, celui de 6h et quelque.

Il me faut une vraie bonne raison de le prendre ce train – rendre visite à ma mère – pour endurer ce parcours matinal. Lever peu après 5h, quelques stations de RER ou de métro jusqu’à la gare de Lyon, traversée à pied du pont Charles de Gaulles en trainant ma petite valise à roulettes.

C’est certainement le moment que je préfère, ma récompense, découvrir Paris depuis la Seine au petit matin, avec ses péniches amarrées, ses lumières ou le jour naissant selon la saison. Sous la pluie, le vent, la neige ou dans la douceur estivale, c’est toujours un régal.

Au bout du pont, la gare d’Austerlitz, enfin.

Quand j’ai le temps, comme lors de mon dernier voyage, je m’arrête acheter de quoi me restaurer au premier kiosque déjà ouvert. C’est là que j’ai aperçu un homme, agacé, agité, allant de personne en personne en tenant haut un billet à la main. Il s’est approché du stand de viennoiseries pendant que la vendeuse me servait.

Dans le train, j’en ai écrit cette histoire et mon trajet a pris fin sans que j’aie vu le temps passer.   

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L’homme de la gare

6h du matin, la Gare d’Austerlitz parait agitée, comme si elle n’avait pas fermé l’œil.

Tandis que je règle mon pain au chocolat, un homme s’approche des deux jeunes clientes qui m’ont précédée en agitant un billet de cinquante euros. Elles secouent la tête, lui suggèrent de s’adresser à la caissière de la petite boutique. Il cherche son attention, son billet bien en vue, sans rien en attendre, cela se voit, peut-être a-t-il déjà tenté sa chance auprès d’elle. Elle lui lance un regard mauvais, un geste à peine esquissé comme s’il s’agissait de chasser une mouche qui se serait déjà envolée. Peut-être redoute-t-elle tout simplement qu’il effraie ses clients. Il maugrée.

Billet, distributeur, c’est tout ce que je comprends. L’Africain, d’origine du moins, parle mal le français. Je l’appelle, Monsieur, de quoi avez-vous besoin ? Il se tourne vers moi, son papier-monnaie orange toujours au bout des doigts. Je le sens fébrile et ne suis pas franchement rassurée. Je n’aime pas les gares, je m’y sens perdue, j’ai peur des gens que j’y croise comme s’ils n’étaient pas de mon monde.

L’homme ne me répond pas ou je ne m’en souviens plus. Je lui dis, je vais regarder, je ne vous garantis rien, et ressors mon porte-monnaie de mon sac avec précaution, en m’y agrippant. J’ai retiré la veille cent euros en petites coupures à la banque, j’ai ce qu’il faut, je le sais. Viennoiserie dans la main gauche, porte-monnaie dans la droite, je peine à en extraire deux billets de vingt euros et un de dix sous le regard tourmenté de l’homme. Il s’en empare tout en me remettant son dû. En sentant contre la pulpe de mes doigts la raideur d’un papier neuf, l’idée d’un faux billet m’effleure. Je suis en train de me faire arnaquer, c’est la police que l’homme craint. 

Il s’est déjà éloigné de quelques mètres, j’ignore s’il m’a même remercié, agitant le billet de dix euros sous le nez du marchand de macarons. Qui lui aussi le rabroue. Il se retourne, les épaules basses, vers la grande salle à la recherche d’un soutien, de quelqu’un à qui s’adresser, tout en tenant bien en évidence sa petite fortune. Je le trouve bien imprudent. J’ai repris mon chemin vers la voie, nos regards se croisent. Le sien est triste. Il réfrène un mouvement vers moi en me reconnaissant, j’ai envie d’aller vers lui à nouveau, de lui demander de combien de monnaie il aurait besoin, mais je l’ai déjà dépassé et ne me retourne pas.

Quelques mètres plus loin, à l’abri d’un recoin, j’ouvre mon porte-monnaie pour vérifier le billet qu’il m’a donné. Avers, revers. Je n’y connais pas grand-chose mais il semble authentique.

En montant dans le train, un regret me saisit, celui de ne pas avoir pris plus de temps avec cet homme. La peur, communicative, m’a encore trompée. Je suis idiote.

Idiote ou toujours aussi naïve. Je saurai lors d’un prochain achat si le billet est officiel, mais les motivations de l’homme je ne les connaitrai jamais. 

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montage meuble

La commode en kit

Monter un meuble en kit, on en a tous fait l’expérience, c’est galère ! Et ce n’est pas Gad Elmaleh qui nous dira le contraire. On a tous ri devant son sketch IKEA parce qu’évidemment on s’y reconnait. “Tu la connais cette pièce qui te reste à la fin ?”. On les connait bien en effet ces pièces qu’on garde précieusement pour ne rien en faire. 😂

Durant les confinements successifs, comme vous certainement, j’ai rangé, réparé, remplacé, j’en ai parlé, mais aussi acheté un meuble destiné à améliorer les conditions de télétravail. Les difficultés de montage, et pourtant il ne venait pas d’Ikea, et la promiscuité familiale m’ont inspiré cette histoire. 

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La commode

On l’a choisi ensemble cette armoire et enfin elle est là ! Enfin, c’est plutôt moi qui ai passé des heures sur Internet à chercher le meuble qui convient. Ni trop grand ni trop petit, assez profond mais pas trop, blanc comme les autres meubles de la pièce, de bonne facture à ce qu’il parait, fabriqué en UE, ça on y tient tous – je veux dire mon mari aussi –, et pas trop cher. Bref la perle rare !

— Chéri, elle t’irait celle-là ? Tu pourrais y ranger toutes les affaires que tu as rapportées pour télétravailler, hein ?
Coup
d’œil du chéri qui regarde un match de foot.
— Blanc, t’es sûre ? 
— Ben
 oui, comme le bureau.
— D’accord alors.

Pas embêtant le mari. Un clic pour mettre l’article dans le panier. Y’a plus qu’à dégainer la carte bleue, passer les deux barrières de sécurité de la banque – où c’est que j’ai mis mon mobile, m… pour récupérer le code ? – et attendre que la merveille arrive. Soulagement. Une bonne chose de faite.

Avoir choisi c’est le premier pas, un pas capital qui amorce le processus. On va enfin pouvoir remplacer l’immonde commode offerte par tante Louise il y a plus de vingt ans, déjà bancale à l’époque c’est dire, ne plus devoir recoller régulièrement les fonds de tiroirs qui s’affaissent et ne plus avoir tout simplement cette horreur dans son champ de vision ! Elle a bien servie, nous a rendu service quand on était fauchés, mais il est temps de passer à un meuble fonctionnel et moderne. Dans quelques jours une petite armoire aussi neuve qu’immaculée viendra la remplacer.

Que faire de la commode ? Essaie de la donner via l’un de tes sites, propose Chéri. Par l’un de tes sites, il veut parler de Freecycle, de Geev et d’un groupe Facebook dédié aux dons dans notre ville. Il en sait quelque chose, je le mets parfois à contribution pour aller remettre un objet ou en récupérer un.

— Va devant le café de la place à 11h, le gars s’appelle Ludovic et il portera une parka jaune. Je l’ai prévenu que c’est toi qui viendras au rendez-vous.
— Et je fais quoi ?
— Tu lui dis bonjour, tu lui fais un sourire, tu lui remets le sac et tu lui dis au revoir. C’est dans tes cordes ?
— C’est malin !

Pour ne pas prendre le risque d’être encombré par le vieux meuble trop longtemps, pour laisser place à des travaux de peinture dans un mois, commandé avec l’accord de Chéri évidemment, je prends rendez-vous en ligne avec le service des encombrants. J’en étais sûre, trois semaines de délai !

— Qu’est-ce qui est sûr ? demande Chéri.
— Ça va aller, je réponds. Les encombrants emporteront la commode juste avant l’arrivée du peintre si je n’ai pas trouvé à la donner rapidement. Et si je trouve preneur, je décommanderai le service.
— Ce serait mieux de la donner, dit Chéri, que de le jeter.

Une semaine plus tard, le livreur sonne.

— Troisième étage ! je clame dans l’interphone.
— Vous pouvez pas descendre ? il répond. Je ne monte pas les paquets à l’étage et si vous pouvez vous faire aider, ce serait mieux, y’a deux paquets très lourds.

Chéri est au bureau, je n’ai aucun être vivant sous la main, pas même pas un poisson rouge. Peut-être un voisin qui aura la bonne idée de se pointer dans le hall à cet instant là justement…

Les deux colis sont aussi énormes que lourds ! Le livreur consent à les tracter jusqu’au hall de l’immeuble plutôt que de les abandonner sur le trottoir, c’est déjà ça. Un coup d’œil à leur intégrité, pas de pet semble-t-il. Je signe le bon de livraison et respire un grand coup. Allez ma vieille un peu de punch ! Evidemment pas un voisin ne songe à prendre l’air à ce moment là…

L’un après l’autre je pousse les deux pachydermes jusqu’à l’ascenseur, les ressors sur le palier et les pousse à nouveau jusqu’à notre appartement. Au niveau de la barre de seuil, ça bloque comme toujours. Il faut faire contre poids pour la passer, j’ai l’habitude.

— C’est quoi ces cartons ? s’étonne Chéri en découvrant les deux mastodontes à son retour du boulot. Ah oui ! Tu l’as commandée alors.
— C’est bien ce qu’on avait décidé, non ? Y’a plus qu’à la monter.

Trois jours à me narguer, les deux baleines. Le dimanche, en début d’après-midi, je me décide. Allez courage !

Surprise en ouvrant le plus gros carton, des pièces, des pièces et encore des pièces ! My God, un puzzle de 1000 pièces en 3D. Un coup d’œil à la commande – quatre tiroirs et deux portes, rien que de plus normal – et un autre à la notice : dix-huit pages de schémas ésotériques. Aïe, aïe, aïe.

Je bavais, petite, devant les Mécano (réservés à l’époque aux garçons), il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves.

Un peu de méthode, que diable ! Je dispose au fur et à mesure du déballage, les petites pièces sur un plateau, les grosses en métal dans un coin et les planches dans un autre. Mince, l’une des planches est abîmée. Deux grosses écailles de bois viennent enlaidir la surface blanche. Nouvel appel à la notice. Il doit s’agir du plateau supérieur. Pas de chance.

Vérification du second colis. Il s’agit des portes vitrées. De ce côté-là, tout va bien.

— Chéri, qu’est-ce que tu en penses, on tente le coup, ça se verra peut-être pas, ou je le signale ?
— On le signale. Si on peut se faire rembourser, c’est mieux.
— Et après ?
— Après… tant pis. T’as vu tout ce bazar ? Tu peux pas me demander de monter ce truc-là.
— Je ne t’ai jamais rien demandé de tel. Au mieux, tu m’aides, comme tu dis.

Il abuse le Chéri ! Je fais la tête mais il ne s’en rend même pas compte, perdu qu’il est dans ses tableaux Excel.

Le lendemain matin, j’inspire un bon coup en saisissant mon téléphone. Depuis dix minutes, j’agite mes neurones en tentant de faire remonter à la surface quelques bribes d’allemand.

— Hallo, ich habe meine Bestellung erhalten, aber…
— Que puis-je faire pour vous ?

À peine l’ombre d’un accent germanique. Réponse en deux secondes chrono dans un français quasi-parfait. Stupéfiants ces Allemands !

Ils me renvoient la pièce défectueuse. Une heure à remettre toutes les pièces dans le carton, un vrai jeu de Tétris ! Voilà pourquoi il pèse une tonne le colis, il n’y a pas un centimètre cube d’air à l’intérieur !

Deux jours plus tard, le livreur (le même) sonne.

— Vous pouvez descendre ? C’est un peu lourd.
— Comment ça lourd ? C’est juste une planche.
— Non, c’est un gros colis.

Un gros colis en effet, exactement le même que le précédent, le plus lourd. Tout aussi difficile à pousser jusqu’à l’ascenseur. Pas très écolos les teutons !

Tout le restant de la semaine, je lorgne vers les cartons. Cette fois-ci pas d’échappatoire.

— Tu t’es pas fait rembourser finalement ? tente Chéri.
— Ben non, on la veut cette armoire ou on la veut pas ?

Dimanche matin. Certains se poussent du col pour faire du sport, d’autres pour aller chez la vieille tante et moi pour monter un meuble. Chéri ne peut pas m’aider, il a des dossiers en retard.

Rebelote. La quincaillerie sur le plateau. Jamais vu autant de bouts de ferraille différents ! Les planches dans le coin, les parties de piètement dans l’autre. Un grand carton étalé au centre et c’est parti ! La notice s’apprivoise plus facilement que redouté, je dois reconnaitre que ses schémas fort détaillés compensent bien la complexité du montage. Tout le contraire des kits Ikea !

Deux heures plus tard, la structure est montée. Manque plus que les tiroirs et les portes.

— Pas mal, finalement, commente Chéri qui lève la tête de son ordi. T’as prévu un truc pour le déjeuner ?

En milieu d’après-midi, l’armoire est prête. Je la contemple quelques instants fièrement.

— T’as vu ? Nickel pour ranger tes affaires.
— Pas mal. On va pas l’installer maintenant ?

Le ton est inquiet.

— Non, pas avant de s’être débarrassé de la commode. On la déposera aux encombrants mercredi si je ne parviens pas à la donner d’ici là. Tu m’aideras ?
— Comme toujours, répond-il avec un sourire charmeur.

Encore une grosse demi-heure à trier les pièces restantes. Avec une armoire (même sans portes) en plus, je n’en manque pas. Les planches empilées contre un mur avec les grosses pièces métalliques en attente des encombrants, les petites dans le bac du recyclage, les vis qui peuvent servir dans la mallette à outils. Les cartons dûment aplatis et liés déposés dans le local à poubelles. Ouf ! On peut sortir, chéri !

Mercredi soir, Chéri rentre tardivement du travail. Ça me donne le temps de vider tranquillement les tiroirs de la commode dans deux cartons récupérés au marché le week-end précédent.

— Tu m’aides à descendre la commode sur le trottoir ?
— T’as pas réussi à le donner ?
— Non, trop décatie.
— C’est dommage. Y’a des tas de gens qui ne savent pas où ranger leurs affaires, ne serait-ce que dans un garage. T’as tout essayé ?

Il n’insiste pas. Il a capté mon regard agacé.

La commode ne passe pas dans l’ascenseur.

— Ne me dis pas qu’il faut la démonter ? s’irrite Chéri. On l’y a bien fait entrer à l’époque pour la monter jusqu’à chez nous.

Mais rien à faire.

Heureusement Dieu est avec nous. Les montants cèdent à peine tentons-nous de basculer le meuble pour chercher comment procéder. Quand je le disais branlant…

Deux allers-retours en ascenseur et la commode trône sur le trottoir. Il ne manque plus qu’à y ajouter les planches et grosses ferrailles en excédent. Chéri s’impatiente, je le sens. Il doit avoir des trucs à faire.

En scotchant en haut de l’amoncellement l’étiquette portant la référence de l’enlèvement, je suis fière.

— Une affaire qui roule !
— Super organisation, bravo.

Il est reconnaissant le Chéri.

— Il nous reste à mettre la nouvelle armoire à sa place, j’ajoute.

Regard noir de Chéri. Je sens comme un coup de vent qui envoie au loin la reconnaissance à peine exprimée.

Un dernier effort et le meuble est en place.

— Tu seras bien là pour travailler, hein ?
— Oui c’est vrai. On a bien fait d’insister.
— Je remets tout dans les tiroirs et on dîne, d’accord ?
— OK, j’appelle ma mère en attendant.

Le lendemain en rentrant du travail, je remarque les planches sur le trottoir. Toutes les planches, les ferrailles aussi. Ainsi qu’un gros meuble et un long miroir. La commode est partie, l’étiquette aussi. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? J’avais pourtant bien déclaré tout ce fatras lors de la demande d’enlèvement.

Soit il y a eu une erreur dans la prestation, soit la personne qui a déposé le meuble en a déposé un autre que les exécutants ont privilégié par rapport aux planches, soit le dépôt du miroir a été rédhibitoire, soit quelqu’un a emporté la commode et l’étiquette avant l’enlèvement, soit le mètre-cube déclaré a été dépassé à cause du dépôt additionnel… je n’aurais jamais la réponse. Et quoi qu’il en soit, je ne peux laisser ce bazar sur la voie publique.

Mon manteau encore sur le dos, je prends à nouveau rendez-vous avec les encombrants. Mince trois semaines de plus !

Chéri est en déplacement. Je vais chercher un diable, charge tout le rebus et le descends à la cave en trois allers-retours. J’ai mal au dos. Des courbatures dues au montage de la commode certainement.

Trois semaines plus tard, la veille du passage des encombrants, je sollicite Chéri.

— Tu viens m’aider à remonter les planches de la cave ?
— C’est quoi ça encore ?
— Je t’ai raconté, les planches qui n’ont pas été emportées.
— Ah oui, t’en est encore là ?
— Eh oui ! Je ne suis pas magicienne comme toi. Quand je claque des doigts, il ne se passe rien avec moi. Tu n’as pas conscience de la chance que tu as d’avoir ce don, Chéri !

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Il s’agit d’une fiction, on est bien d’accord ?

Toute similitude avec des faits ou des personnages existants ou ayant existé serait une pure coïncidence. Mon chéri n’est pas du tout comme ça, il adore les puzzles de meuble et moi je le regarde manier le tournevis en sifflotant tandis que je bois mon thé.😂😂😂 

Les meubles en kit et vous, ça donne quoi ? Témoignez en commentaire pour nous faire rire… ou nous rendre jaloux !

(Illustration reprise du site « Lulu dans ma rue« )

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Techno-inaptitudes

Image par cafepampas de Pixabay

Ma tête n’est qu’une nappe de brouillard. Pas aussi jolie que sur la photo. Non, plutôt du genre à vous faire paniquer parce qu’on s’y perd dedans.

Je profite de mon temps libre (encore quelques jours de congé maladie) pour améliorer ma présence sur les réseaux sociaux et ma communication sur ce blog. Pour m’y aider, j’ai fait appel à Jérôme*, un vieux routard du personal branding des auteurs auto-édités. Rien que de l’écrire, ça en jette !

Le vieux routard étant bien plus jeune que moi, avec un cerveau encore souple, il ne montre aucune difficulté à manier les interfaces, les opt-in, les widgets, les formulaires,  les backlinks, les pop-up… et tous les trucs dont je n’ai même pas enregistré les noms et qui me filent des boutons. Et pas des boutons sur lesquels on peut cliquer hélas. Je me trouvais méritante d’oser m’aventurer dans ce dédale digital, c’est plutôt de l’inconscience. Je suis dans le brouillard, je vous l’ai dit.

J’ai fait transférer mon blog vers un autre hébergeur ainsi que son interface habituelle. Vous avez pu remarquer qu’il a une nouvelle apparence. Le blog version 2022. Un tour de passe-passe que ne renieraient pas les marketeurs, mais rien de bien fondamentalement différent en apparence. Sauf pour celui (moi !) qui est aux manettes dans le back-office. Je ne m’y retrouve plus ! (Je compte sur votre indulgence dans les semaines à venir, mais n’hésitez pas à me suggérer des améliorations en commentaire.)

Quant à la création de formulaires pour vous envoyer des news, c’est MayDay, MayDay ! Même en suivant à la lettre les conseils du geek Jérôme, ça bugue. De partout. Je n’ose pas l’appeler pour lui avouer combien je suis nulle. Je navigue dans ma nappe de brouillard entre culpabilité et honte. Que diable suis-je allée faire dans cette galère? Je ne songeais pas à ce qui allait arriver.

Encore et toujours cette fichue naïveté. Si d’autres y arrivent, j’y arriverai aussi. Mais ça ne fonctionne pas toujours aussi, il faudrait que je finisse par l’accepter à mon âge.

Pourtant j’ai l’habitude. « Petit chéri, comment je fais pour sauvegarder mes données sur mon téléphone ? »,  » Loulou, le wifi est planté ! », « Chouchou, je trouve plus NetFlix ! », « Poupette, tu crois que je peux supprimer les notifications sur mon ordi ? ». Pas douée, la mother, ils l’ont compris, mes chéris.

Ils arrivent, sans précipitation, quand ils ont deux minutes à perdre seulement, pour sauver leur mère en perdition. Ils procèdent à la manip en silence, en dix secondes chrono (dans les deux minutes, ils se prépareront un café ou piqueront un truc à grignoter dans le réfrigérateur), stoïques, sans souffler d’exaspération, sans regard du style tu abuses !, sans explications non plus (à quoi ça servirait ? Je te l’ai déjà dit vingt fois et tu ne t’en souviens toujours pas !).

Exactement comme je m’y prends avec ma mère quand elle me demande pour la centième fois la façon d’effacer les messages de son Doro (le téléphone le plus simple du marché !) ou de changer les piles de sa télécommande.

L’autre jour, en me regardant saisir un SMS, elle m’a dit, avec une lueur de fierté et d’envie dans les yeux, que je tapais vite, qu’elle aimerait bien savoir faire, elle aussi. Alors que mes enfants se moquent, gentiment, de ma façon de taper à un doigt sur mon mini I-Phone d’un autre siècle. Comme quoi…

Comme quoi on a tous des inaptitudes, des envies et des regrets, on rend jaloux les uns, on est la risée des autres. L’humanité est ainsi constituée. On est tous la mère, le père, le fils, la fille de quelqu’un. Même sans lien de sang.

« Allô Jérôme ? Heu, j’ai pas réussi à tout faire…, je suis dans un brouillard de dingue, je ne comprends pas comment… »

*Jérôme Vialleton, auteur et coach

Bise, bise, bise

bisouBise, bise, bise est le titre de ma dernière nouvelle postée sur le site Short Edition.  Elle est en lice pour la saison Hiver 2020 du Grand Prix du Court. Un prix pour le plaisir et les encouragements, rien de plus, alors lisez-la et si elle vous plaît, votez pour elle et laissez-moi un commentaire ! Bises à vous.

Nouvelle Bise, bise, bise

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