Archives de catégorie : Micro-nouvelles et autres récits courts

Le reçu d’or

J’ai trouvé ce Certificat de reçu d’or parmi les vieux papiers conservés par ma mère.

Ma grand-mère, sa mère à elle, avait 15 ans en 1916 quand elle est allée remettre 10 francs or à l’Etat pour soutenir l’économie de guerre. Sa seule pièce peut-être, creuset de rêves et d’espoir, maintes fois soupesée, polie sous les doigts. S’en défaire pour des bouts de papier, combien cela avait dû lui coûter, même si la propagande organisée par la Banque de France avait ramolli les résistances, créé des mirages. J’imagine le sentiment qui l’habitait alors, mêlé de fierté et d’incrédulité. D’amertume certainement.

Se sont-ils rendus en famille échanger leur or, le père, la mère, et ses deux frères dont j’ignore s’ils étaient déjà décédés, non pas de la guerre mais de pneumonie je crois, la tête haute, chapeautés et gantés comme on se rendait à la messe alors ?

A-t-elle déposé son Louis dans un coffre ou dans une vulgaire boîte, d’une petite main tremblante ou assurée, les yeux baissés ou recherchant la confiance dans ceux de l’assermenté ?  Peut-être faisait-on la queue pour échanger son or, fier de son acte civique, heureux de se montrer, de partager quelques nouvelles, les enfants dans les jambes.  Certainement ne fallait-il pas afficher ouvertement son incrédulité, voire sa désapprobation. Des opposants qui planquèrent leur or, il y en eu pourtant.

Que se disaient-ils, ces enfants dépossédés de leur or, dans la cour de récréation, à l’abri des oreilles indiscrètes des adultes ? Que savaient-ils d’ailleurs de cette guerre qui ravissait leurs rêves et leur naïveté, et envisageaient-ils alors n’en être qu’à mi-horreur ?

Je ne sais quasiment rien de ma grand-mère, de qui elle était à quinze ans. Encore enfant ou déjà femme, certainement en apprentissage quelque part dans l’atelier d’une modiste parisienne. A moins que la guerre n’ait retardé sa formation.

En échange du métal, elle reçut un billet de banque de dix francs, qui valut à la fin de la guerre bien moins que l’or qu’elle avait donné, ainsi que cet autre bout de papier, à valeur lui de seule reconnaissance de l’Etat. Un certificat d’obéissance en quelque sorte, conservé soigneusement jusqu’encore, depuis plus d’un siècle déjà. Un feuillet qui n’a de prix que celui du sacrifice au nom de l’état d’une fille de quinze ans embarquée malgré elle dans une barbarie. Inestimable et dérisoire.

Le certificat a traversé les décennies, pas le papier monnaie. Qu’en a-t-elle fait à la fin de la guerre de ce billet, son tout premier, comprenant qu’elle ne reverrait jamais son or et constatant que les dix francs de 1916 avaient perdu un tiers de leur valeur en 1918 ? Cette manipulation ruina certains bons citoyens, enrichit les réfractaires inciviques. Ma famille maternelle n’était pas riche, elle le fut encore un peu moins à la sortie de la guerre. Cet argent certainement s’est-elle décidée à le dépenser. Qu’elle fut résignée ou indignée face à cet Etat menteur et spoliateur, à cette guerre qui lui avait tant enlevé, elle ne dut guère avoir le choix.

J’espère, et j’imagine, qu’en 1918 c’est le soulagement qui prit le dessus, l’envie de vivre dans la paix et de laisser derrière soi toute cette souffrance. Que le certificat de don d’or n’a été conservé que comme témoignage de l’Histoire, pour être retrouvé par les générations suivantes.

Il dormait dans un tiroir, et il s’y est rendormi.

Jusqu’au prochain réveil.

 

Croqueuse de croqueur

Je remarquai ce jeune homme dès mon arrivée sur le quai du RER, dans cette gare de banlieue à quelques stations de Paris. Il faut dire que nous n’étions pas nombreux à cette heure tardive, presque minuit autant que je m’en souvienne. Je rentrais d’un dîner chez des amis.

Il entra dans la voiture de queue, tout comme moi, et je le vis balayer du regard l’espace, s’attarder un instant sur chacun des deux passagers, avant de s’asseoir face à moi trois rangs plus loin.

Il croisa un pied sur sa cuisse et déposa sur sa cheville ainsi surélevée un carnet ouvert. Commença à dessiner tout en jetant de brefs coups d’œil vers la personne assise à ma gauche de l’autre côté du couloir.

Je détournai la tête discrètement vers elle, mais je pus m’attarder à l’observer. L’homme regardait fixement ses pieds chaussés de grosses baskets de marque, rouges et blanches comme son blouson. A demi affalé sur la banquette, noir, baraqué, casquette vissée sur la tête, casque audio par-dessus, une grosse chaine en argent lui barrant le torse, le dos des mains entièrement tatoué, il battait la mesure avec ses épaules. Une sacrée dégaine.

Je ramenai mon regard vers le jeune homme et l’observai tandis qu’il poursuivait son œuvre à coups d’œil et de crayon. La trentaine, un style quelconque en combo pull-jeans, aucun sac, rien qui ne lui permit de transporter la moindre affaire. Il était entré dans le train son carnet au bout des doigts, le crayon certainement glissé dans la reliure à spirales. A la recherche d’un proie tel un criminel. En vue d’un acte prémédité.

Si concentré sur son travail qu’il ne me voyait pas, je pus l’observer jusqu’à ce qu’il quitte sa place d’un mouvement brusque alors que le train, déjà arrêté en gare depuis un moment, semblait prêt à repartir. Je n’eus que le temps de l’apercevoir par la fenêtre dans la lumière blafarde du quai. Il regarda à droite, à gauche, comme s’il cherchait la sortie.

Quand le train bougea, je m’aperçus, en retournant la tête, que le rappeur aussi s’était éclipsé.

J’avais été celle qui observait l’homme qui observait l’homme noir. Un trio, deux voyeurs, comme une histoire d’hommes qui avaient vu l’ours.

Il ne me restait qu’à croquer le croqueur. Il avait un crayon, j’avais une plume.

Image par Ben Kerckx de Pixabay

 

bonbon ou écran

Une jeune femme monta dans la rame de métro, tenant sa fille par la main. La gamine, trois ou  quatre ans au plus, frétillait comme la queue d’un chiot fou de joie, emmêlait ses pieds à ceux des passagers assis, percuta quelques genoux. Un homme se leva, proposa son siège à la mère qui le gratifia d’un pauvre merci sans saveur, s’assit et tira vers elle sa gamine.

A peine l’enfant fut-elle installée sur les genoux de sa mère après avoir donné à leur malheureux voisin de siège quelques coups de coude qu’elle se mit à brailler, sans sommation, sans se débattre. Juste elle hurla, une vraie sirène à se planquer dans un abri anti-aérien.

Sans moufter, dans la seconde, la femme confia son téléphone à son enfant qui s’en saisit aussitôt et se mit à y regarder des images. Arrêt net de l’alerte.

Autrefois on donnait un bonbon, me confia ma voisine de siège sur un ton de connivence, qui elle non plus n’avait rien perdu de la scène. Entre perdre ses dents ou ses neurones, je ne saurais dire ce qui est préférable, raillai-je.

La petite peste, je ne peux croire qu’elle nous entendit, peut-être perçut-elle nos œillades insistantes, se tordit le cou pour nous jeter un regard mauvais. Nous tira la langue. Une vraie vipère. Et replongea fissa ses yeux dans les abîmes de ce fichu écran.

Finalement c’est certainement une bonne claque qui fait le moins de dégât à long terme, commenta ma voisine. Mais c’est prohibé, je sais bien.

La mère n’avait toujours pas ouvert la bouche depuis le merci machinal, à peine regardé son rejeton. Des yeux cernés, une peau terne trahissaient sa fatigue.

La mère est épuisée, je dis. Elle a peut-être d’autres problèmes que sa fille.

Ma compagne de transport acquiesça d’un mouvement d’épaules et ajouta : Ce n’est peut-être même pas sa fille.

Ma station fut annoncée, je quittai la rame, les laissant toutes les trois à leurs vies.

image Freepik

L’homme universel

Il était installé dans le train quand je pris place à son côté, après l’avoir fait lever pour gagner le côté fenêtre.

La conversation s’engagea quasiment instantanément, je le sentais stressé. Il sortit une feuille de sa poche, pliée en quatre. Son billet de train. Me montra le numéro de siège et l’heure de départ écrits dessus. Je lui fis remarquer qu’il était à la bonne place mais pas dans le bon train. Je sais, il a répondu, le contrôleur m’a dit de m’installer là quand même.

Il se rendait quelque part dans le centre de la France, dans une ville dont je n’ai pas retenu le nom, interviewer une vieille tante pour reconstituer l’histoire de sa famille. 95 ans, la sœur de sa mère décédée trois ans plus tôt. C’est important de savoir d’où l’on vient, il insista.

Il avait dû quitter son hôtel à six heures ce matin-là, sans consommer le petit-déjeuner qu’il avait pourtant réglé pour rejoindre la gare à temps. Pour s’apercevoir en y arrivant que son train de 7h28 pour Vierzon avait été annulé. Il se rabattit sur ce train, le mien, une heure plus tard. Mais tout son programme prenait l’eau.

Il interpella le contrôleur qui remontait le couloir, lui tendit son billet. Je vous l’ai déjà dit, monsieur, répondit ce dernier, vous devez descendre à Vierzon, prendre la correspondance pour Bourges, puis celle pour Auxerre.

Mais pour les réservations ? s’inquiéta mon voisin de siège.

Vous verrez cela avec mes collègues, je ne peux répondre que pour ce train-ci, dit l’agent avant de s’éloigner sur un sourire poli.

Je ne vais arriver chez ma tante qu’en fin de matinée. On n’aura pas beaucoup de temps pour discuter, déplora-t-il.

Elle est compliquée alors votre histoire de famille ? lui demandai-je.

Il me dit que ses grands-parents étaient esclaves en Louisiane. Que lui est Français mais né en Côte-d’Ivoire. J’allais lui demander ce qui avait mené sa famille en France, quand son téléphona sonna et je l’entendis répondre en allemand. Une langue que je me surpris à bien comprendre dans sa bouche. L’allemand d’un étranger.

Immédiatement après avoir raccroché, il jugea nécessaire de me fournir une explication. Et ce n’était peut-être pas seulement pour justifier son accroc en matière de bienséance. C’est Heidi, ma femme, elle s’inquiète, elle me croyait déjà arrivé, dit-il en me montrant sur son téléphone la photo d’une femme plantureuse et souriante arborant de belles boucles grises.

Heidi, c’est un joli prénom, je lui dis. Il m’expliqua qu’elle s’appelait Haydée mais qu’en Allemagne on l’appelait Heidi, c’était plus simple. Qu’ils étaient mariés depuis trente-sept ans.

Haydée, c’est un prénom hispanique, je lui fis remarquer. Ca vient de ses parents, confirma-t-il. Vous vivez en Allemagne, c’est ça ? demandai-je. Depuis quarante-deux ans. J’y ai fait mes études, j’y ai travaillé et j’ai rencontré Heidi. Il ajouta qu’il avait soixante-sept ans et qu’il vivait à Berlin avec sa famille. Trois appartements dans le même immeuble. On est soudés, il dit, c’est important la famille.

Il me tendit à nouveau son téléphone pour me montrer sur l’écran une tribu métissée. Ma fille, ses deux garçons… Lui là, c’est Mickaël, il joue au foot au PSG en junior.

Ils n’habitent pas avec vous, eux alors… Je commençais à m’y perdre.

Ma fille habite à Argenteuil. Je viens la voir deux ou trois fois par an. Les autres habitent à Berlin, précisa-t-il en ressortant son téléphone pour me montrer la photo d’un tout jeune garçon dont le sourire s’ouvrait largement sur des dents blanches. C’est Ousmane, dit-il, mon plus jeune. Il a dix ans. Je l’ai adopté au Mali, je ne pouvais pas l’y laisser, c’était un gamin des rues. J’en ai adopté un autre, au Mali aussi, dix ans plus tôt. Moussa.

Vous avez combien d’enfants alors ? Moi, quatre dont deux adoptés.

Une belle famille multiculturelle, vous en êtes fier, n’est-ce-pas ?

Je le vis sourire. Alors je m’aventurai : Vous vous sentez de quelle nationalité finalement ?

Universelle, répondit-il du tac au tac. Je suis Français, mais je vis depuis tellement longtemps en Allemagne que je rêve et pense en allemand, alors je suis peut-être plus Allemand. Mais ni ma fille ainée ni ses enfants ne parlent cette langue, et mes autres enfants ne parlent pas bien français. Il faut que je leur explique d’où l’on vient, c’est essentiel.

Il s’était déjà rendu une fois chez sa tante pour l’interroger mais il avait encore besoin d’explications. Il devrait certainement revenir par manque de temps cette fois-ci encore, fichu train annulé. Ça lui coûtait du temps et de l’argent, mais c’était important de savoir avant qu’elle parte elle aussi.

Il me dit qu’il était à la retraite mais qu’il travaillait encore, « un mini-job comme on dit en Allemagne » d’agent de sécurité. Quarante-cinq heures par mois pour environ six cents euros. Lever à quatre heures pour prendre le poste à six heures. Boulot jusqu’à midi, deux ou trois jours par semaine. Cela lui convient bien de rester actif et d’arrondir sa pension.

Il est Statist aussi dans des films deux ou trois fois par an. Figurant, je lui soufflai. C’est ça, confirma-t-il. C’est facile, je suis inscrit dans un book et on m’appelle. Je vous montre, dit-il, en ressortant son téléphone. Je le vis alors se tenant droit sur une scène de théâtre, vêtu d’une cape rouge, coiffé d’une toque en astrakan. Vous n’êtes pas figurant là, m’étonnai-je. Non, je joue au théâtre aussi, on a joué Aïda à Berlin, Munich, Stuttgart, Francfort et Bonn.

Il embrayait sur des questions politiques – les jeunes qui ne veulent plus travailler, les prestations sociales trop proches du salaire minimum, le coût de l’accueil des immigrés… – quand notre arrivée à Vierzon fut annoncée. Il rassembla ses quelques affaires et descendit son sac du porte-bagage. Au revoir, me dit-il.

Je vous souhaite une bonne poursuite de votre voyage, je lui répondis, et une conversation enrichissante avec votre tante. J’espère qu’elle saura vous apporter toutes les réponses que vous souhaitez.

Des questions le concernant, lui et sa famille, j’en avais désormais moi aussi,  tout un éventail. Je le regardai à regret s’éloigner déplorant que les miennes restent à jamais sans réponse.

Fin de saison

Et si on allait passer trois jours à la montagne ?

Une envie impérieuse d’air sain et vivifiant, de neige et de nature, de sentir ses muscles… comment résister ?

Nous avons nos habitudes à Neige1800, il suffit de le décider et c’est parti !

Enfin presque. Plus de train direct, il nous faut ruser via un petit détour de deux cents kilomètres. Pas de bus non plus en gare pour nous acheminer jusqu’à la station, nous commandons un taxi. On fera l’impasse sur les cours de ski. Quand on veut, on peut.

– Plus de navette depuis la semaine dernière, confirme notre conductrice de taxi, c’est la fin de saison. Je ne transporte plus que des propriétaires.

– Parce que les propriétaires, eux, ils ne prennent pas le bus ?

-Trop riches et pas assez nombreux !

-Nous ne sommes pas propriétaires, nous, ça vous change, nous avons réservé une chambre au Toutschuss.

-Je croyais qu’ils avaient déjà fermé, c’est la fin de saison, vous savez !

-Ils sont bien ouverts, il fait beau, y’a de la neige, ski, raclette et tartiflette au programme, on va bien en profiter. A dimanche, madame !

De la neige, pas tant que cela. Il faut se rendre à l’évidence, la rue principale de Neige1800 ressemble plus à une coulée de boue qu’à une piste de ski. Pas grave, il y en a sur les hauteurs.

– Bonjour ! nous accueille l’hôtelier. On vous a préparé la chambre plein sud, avec la meilleure vue. L’hôtel est loin d’être complet, c’est la fin de saison, que voulez-vous… D’ailleurs je n’ai plus de bagagiste, mais je peux vous aider à monter vos sacs.

-Ça va aller, merci. On n’est pas très chargés. Pour le petit-déjeuner, c’est toujours 7h-10h ?

-Hum, non. On a resserré la plage horaire, c’est 7h-9h, parce qu’on a moins de personnel. Il faut faire les chambres après le service du petit-déjeuner.

-Fin de saison oblige.

-C’est ça.

Nous montons nos sacs, ouvrons la fenêtre en grand – quel paysage ! quel temps ! Génial, on va s’éclater ! – enfilons nos après-skis et courrons chez le loueur de matériel.

-Vous n’avez plus de ski à louer ? je ne comprends pas, j’ai appelé en début de semaine pour réserver, vous m’avez demandé de nous présenter ici dès notre arrivée.

-En effet, pour voir justement ce qu’on pourrait faire. Des pistes ont fermé cette semaine. La neige est devenue difficile, on a eu de la casse. On vient de décider de stopper la location et on reste ouvert juste pour récupérer le matériel. Dimanche on ferme et on part dans le sud jusqu’à décembre prochain.

-Donc ni skis, ni raquettes…

-Y’a de belles balades à faire. Avec ce beau soleil, vous allez vous régaler. Une superbe fin de saison !

-Mais une fin de saison.

Nous poussons la porte de l’Office du tourisme. Trois jeunes s’amusent derrière le comptoir. L’un d’eux répond à notre bonjour. Des circuits de promenade, oui, on en a. Photographiez le flash code là, dit-il en nous tendant un feuillet tandis que ses collègues se bidonnent comme des baleines. Le temps que la documentation se charge sur mon antique téléphone, je l’interroge. Quel circuit vous nous recommandez pour demain ?

Il tarde à retourner son visage vers nous. On sent combien il lui coûte de délaisser à nouveau la fort instructive conversation professionnelle de ses collègues, et hilarante. Vous avez tous les circuits sur la doc, répond-t-il. Comprenant que nous n’obtiendrons rien de plus, nous tournons les talons.

Ils sont en fin de contrat certainement, commente mon compagnon.

En mode roue libre, renchéris-je.

Dépités mais toujours pleins d’entrain, nous arpentons le bas des pistes. Pas fringantes, les voies blanches qui ne le sont plus guère. L’herbe est en train de gagner le combat, bientôt elle s’imposera. Un hélicoptère rouge et jaune tourne bruyamment au-dessus d’un sommet. Cela sent l’accident. Pas étonnant avec cette soupe. Les sauveteurs, eux au moins, ils bossent encore !

Nous poursuivons nos pas pour choisir notre resto. Débandade, la moitié des établissements a déjà baissé le rideau. Il nous reste La grole, une valeur sûre !

-On n’a plus de charcuterie, je préfère vous prévenir avant que vous fassiez votre choix, nous dit le serveur en nous remettant les cartes.

-Pas de raclette donc…

-Ben non, désolé.

-Deux tartiflettes alors.

-Non plus. On la sert d’habitude avec du jambon, et de toute façon sans lardons, elle n’aurait pas toute sa saveur.

-Salade César ? Crevettes thaî ? Thon à l’unilatérale ?

-C’est pas très local, tout ça… vous les pêchez où les crevettes et le thon ?

-Dans le congel. Et encore y’en a plus beaucoup… ceux qui resteront, demain soir on les remettra à la mer.

-Alors ce sera deux soupes à l’oignon. Et des œufs mayo, si les poules ne sont pas, elles aussi, déjà en mode relâche.

Le lendemain matin, nous sommes réveillés par le soleil qui perce les rideaux. Vite, le petit-déj, avant que les serveurs n’enfilent leurs blouses de femmes de chambre !

Vous avez bien dormi ? nous accueille l’hôtelier. Je préfère vous prévenir, pas de plat chaud ce matin, le dernier appareil thermostaté vient de tomber en panne.

Il fait doux. La piste de randonnée est une flaque verte. Dans nos après-skis et nos blousons épais, nous nous sentons très vite submergés par une moiteur désagréable. Le sac à dos étant trop petit pour contenir nos deux blousons, j’attache le mien autour de la taille. Je ressemble à un burger qui perd sa garniture. Nous croisons des promeneurs en tee-shirt et baskets, effectivement les raquettes ne sont plus de la partie. Les rares skieurs qui se concentrent sur un étroit couloir blanc semblent partagés entre allégresse et déception, en un condensé de l’humanité, les heureux de peu et les malheureux de tout. Le soleil brûlant sur nos peaux d’hibernatus, nos vêtements et chaussures inappropriés à la météo et plus encore le dénivelé qui malmène nos mollets de citadins, nous épuisent rapidement. Nous redescendons vers la station sans atteindre notre objectif de marche et nous installons à une terrasse de café.

Le jeune serveur est une tige, au moins trois mètres de haut pour cinquante kilos, vêtu d’un short et d’un maillot de football.

-Tu crois que c’est sa tenue réglementaire ? demandé-je à mon compagnon.

-Je crois surtout qu’il n’a plus rien de correct à se mettre sur le dos. Demain il repart chez ses parents avec son ballot de linge sale.

Pour notre dernier jour entier, nous optons pour un tour dans la vallée. Le téléphérique central, du cœur de la station au centre-ville ne fonctionnant plus, il nous faut passer par celui des pistes. Le sol est glissant en baskets, j’évite de peu la chute. En bas, à Neigeville, c’est aussi la déroute. Réouverture en juin placardé sur bien des vitrines. Trois mots qui sonnent la délivrance. Enfin avril, on a bossé comme des dingues ces quatre mois, maintenant on se tire au soleil, ou au fond d’un pâturage, jusqu’à l’été. Salut tout le monde, à plus !

Quelques commerçants, pâlots et yeux tirés, font de la résistance. Nous déjeunons fort copieusement dans un restaurant sans prétention et nous attardons en terrasse avant de nous rendre au bar pour y régler directement l’addition. Quand nous retournons sur la terrasse, un panneau y figure en bonne place : Ce soir, soirée de fermeture avec DJ Manu et cocktails inédits.

Ceci explique peut-être pourquoi c’était si copieux, on a vidé les placards, commente mon compagnon.

En remontant à Neige1800, nous décidons de passer par la boulangerie nous approvisionner en vue de notre retour en train du lendemain. Le sol de la boutique est trempé, un filet d’eau s’écoule dans la rue.

-Qu’est-ce qui se passe, vous avez un problème ? m’enquis-je.

-Non, non, c’est sous contrôle, me rassure la vendeuse. Nous dégelons les frigos, on ferme demain midi. Pour vous ce sera baguette ou… baguette ?

-Laissez-moi réfléchir… Baguette !

Les rayonnages de la supérette voisine en revanche restent chargés. Le jambon est au prix de l’or et le fromage de l’argent, les biscuits coûtent un bras et les fruits leur poids en diamants. On va les déposer dans notre coffre-fort à nous, le mini-bar de notre chambre.

T’as vérifié s’il n’a pas été débranché pour gagner du temps lors de la débâcle ? m’inquiété-je.

Le lendemain, nous quittons le Toutschuss et Neige1800 sous un ciel gris et bas. Même le soleil semble s’être fait la malle. Vous avez bénéficié d’un temps magnifique, commente la chauffeure de taxi. Mais quelques dizaines de minutes plus tard, dans la vallée, peu avant notre arrivée à la gare, un orage de grêle s’abat sur nous. Voilà autre chose, peste-t-elle. Y’a vraiment plus de saison !

Je regarde mon compagnon. Il me fait un clin d’œil.

Bien sûr que si, il y a encore des saisons, même que c’est la fin. La fin de la saison !

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Je dédie amicalement cette nouvelle à Odile et Hervé, et à toute l’équipe du Mil8 d’Avoriaz, qui nous ont si chaleureusement accueillis et chouchoutés, en fin de saison !, ainsi qu’à Valérie et Bernard qui ont partagé avec nous cette escapade.

Photos personnelles prises à Avoriaz en avril 24.

 

Les soeurs Poubelle

Ce matin, en petit-déjeunant dans ma cuisine, j’observe la sororie Poubelle. Elles ont chacune leur caractère.

La plus constante est Verre, une vraie force tranquille qui ne paie pas de mine.

La petite dernière Déchets Organiques est déjà goulue. Comme dans bien des famille il a fallu pousser les murs pour l’accueillir mais elle a rapidement trouvé sa place. Je dois l’avouer, elle est ma préférée.

Déchets Ménagers, qui la laisse allègrement lui piquer sa pitance a considérablement minci. Elle flotte dans son manteau qu’il va falloir retailler sans tarder. Elle est ainsi Déchets Ménagers, toujours prête à se serrer la ceinture. Il y a trois ans déjà, elle a décidé de se mettre au régime sec et de laisser cette folle de Recyclable s’en mettre plein la panse.

Elle m’inquiète celle-là. Je perçois sa souffrance et ses efforts à tenter de cacher sa boulimie derrière un sourire enjôleur. Je ne sais pas encore où elle va vomir en cachette mais, franchement, il va falloir s’attaquer au problème. Ca ne peut pas durer !

Mon petit déjeuner est terminé, à ce soir les Poubelle !

Image : Pixabay

 

Wabi-sabi

Je me suis lancée, enfin !

J’ai participé à un atelier de kintsugi, depuis un moment cela me titillait, je vous en avais parlé. J’ai lu pas mal de romans (dont La patience des traces) et d’articles sur cet art japonais ancestral de la réparation de céramiques, qui consiste à souligner les défauts, à les sublimer, au lieu de les cacher. Un art qui demande du temps, de la patience où il est question de wabi-sabi et dont je voulais mieux appréhender la philosophie.

A l’hôpital des céramiques

Deux heures au chevet de mon pot cassé, à le recoudre, le panser, le perfuser avec de l’urushi, cette sève naturelle au coeur de la technique. L’observer et apprendre à connaitre son grain, sa blessure pour la magnifier sous la poudre d’or.

En soignant ma céramique, je pensai à mes propres cicatrices, à ces dessins que, devant le miroir de ma chambre, j’avais parfois tracés par-dessus, au stylo bille, avant de m’habiller. Une longue tige sur la balafre abdominale se ramifiant en autant de roses que de marques laissées par le passage de drains. Et un papillon sous l’omoplate droite, sur la couture qui enferme encore la chambre d’injection. Mes cicatrices ont blanchi, à n’être désormais qu’à peine visibles. Plus jeune, plus marquée, j’aurais, je pense, envisagé de prêter mon corps à un kintsugi de tatouages. Les analogies que je découvrais dans ces deux techniques me troublaient, mais la suite ne fit que m’ébranler encore un peu plus.

Quand l’incident surgit

Je quittai l’atelier ma céramique ornée d’or insuffisamment sèche, calée dans un sac à fond plat. Bousculade sur le quai du métro, sac serré contre moi dans une rame bondée. Je sentais vaciller la santé du pot. Quand je le déballai enfin sur la table de ma cuisine, je ne pus que constater ses nouveaux stigmates. Des filets d’urushi dorés dégorgeant de rouge, comme autant de sutures exhalant un pus sanguinolant. Il n’y avait rien d’autre à espérer que d’attendre la fin complète du séchage et imaginer comment composer un nouveau dessin en intégrant ses nouvelles imperfections. Dans un tatouage, dans un kintsugi, comme dans l’existence, aucun retour possible en arrière.

Que la patine triomphe

Quelques années plus tôt, j’aurais pesté contre cet accident, englobant dans mon courroux l’animatrice de l’atelier, les usagers du métro, la RATP et ma petite personne qui n’avait su gérer ce transport. Et certainement, bougonne, aurais-je remisé dans un coin sombre le pot mal foutu.

Je déposai ma céramique blessée sur une étagère de mon salon, bien en vue. Posai à ses côtés un chevalet de papier. Ne pas toucher, en séchage long, le temps de la résilience. Plusieurs fois je passais devant, je la regardais, me demandant si j’allais la retoucher ou bien laisser à nu les marques de son histoire. Mais l’évidence ne tarda pas à s’imposer, c’est ainsi que je l’aimais avec son rouge bavant sous son or, avec la patine et les cicatrices de son parcours de vie, avec sa beauté dans l’imperfection que les  japonais nomment le Wabi-Sabi.

Il n’était plus question de retouche.

draps froissés

Une nuit aussi blanche qu’une feuille

draps froissésElle tourne et retourne dans son lit. A chaque mouvement le bruissement de la couette neuve, comme celui d’une longue jupe en taffetas qui ondule sous les pas.

Le sommeil se refuse à elle. Une question la taraude, qu’elle ne parvient à laisser filer, à laquelle elle refuse de réfléchir pourtant. C’est dormir qu’il lui faut.

Coup d’œil au réveil posé sur sa table de nuit. 02 : 40.

Elle écoute la respiration régulière, légèrement sifflante, de son compagnon. Avec cet agaçant petit claquement sec clôturant chaque expiration.  Pfuiiii-clac. Pfuiiii-clac. Pfuiiii-clac. Elle imagine une membrane en caoutchouc posée sur la glotte qui se soulève et retombe sèchement quand le flux d’air se tarit.

A l’écouter, elle cale dessus sa propre respiration jusqu’à s’en trouver oppressée.

Elle se concentre sur ses pensées pour retrouver son propre rythme. Et retourne inévitablement vers sa question. Pas elle, pas elle. Demain elle y verra plus clair, elle trouvera une idée, enfin peut-être.

03:22.

Sa respiration s’apaise, mais tant qu’elle n’aura pas de réponse, sa nuit restera jour. Méditer, c’est ce qu’il lui faudrait.

Elle se force à écouter la rue pour apaiser son esprit. Entend le roulis d’une voiture sur la voie pavée. Depuis que les places de parking le long des trottoirs ont été remplacées par des arbustes, la voie est devenue moins passante. Désormais elle identifie chaque passage. Un autre bruit de moteur.

Une moto cette fois. Avec un coup d’accélérateur juste sous la fenêtre. Ce besoin toujours de faire vrombir un moteur, même dans la nuit. Pour se sentir puissant certainement, se rassurer, ça l’étonne toujours.

Des voix maintenant. D’hommes. Des cris plutôt. Une conversation, rien d’autre, animée, comme en plein jour. Elle peine à comprendre cet attrait pour le bruit, cette abstraction de la nuit, des riverains qui dorment.

Qui dorment presque tous. Parce qu’elle, elle ne dort toujours pas.  04: 09

C’est long une nuit quand l’esprit refuse de rendre les armes.

Une valise roule sur le trottoir. Elle connait bien ce petit bruit entêtant si caractéristique.

Elle en a même écrit une histoire, celle qu’elle a justement soumise au concours de l’année précédente. Et si elle ne lui a rapporté aucune récompense, elle en était satisfaite. C’est ce qui l’a poussé à se réinscrire.

Voilà ce qu’elle recherche, un sujet aussi intéressant. Non, non, elle ne veut pas se torturer les méninges, pas maintenant. C’est attendre la fin de la nuit qu’elle veut, il faut qu’elle dorme !

Comment l’avait-elle trouvé, ce sujet ?

Son pouls s’accélère tandis qu’elle réalise ce qui se passe. Elle vient d’arriver très précisément au point qu’elle cherche à éviter depuis son coucher. Se questionner !

Plus exactement se creuser la tête pour trouver le sujet de la nouvelle qu’elle doit déposer d’ici deux jours au concours de sa ville. Parce qu’elle s’y est engagée et que l’inspiration la fuit depuis.

Elle inspire profondément. Jette un œil désespéré au réveil. 05:12. Sa nuit est fichue. A éviter de penser, elle a perdu le sommeil et son temps. Et maintenant que son cerveau s’échauffe en vain, comment trouver cette fichue idée dans cette nuit noire et calme ?

C’est étrange une nuit quand on y pense. Parce qu’il ne se passe rien ou si peu en apparence. Mais c’est quand on n’attend plus rien qu’il arrive ce qui doit arriver.

Voilà l’idée qu’elle cherchait, c’est sa nuit qu’elle va raconter, en faire une nouvelle. Une nuit blanche pour que sa feuille ne le soit pas avec, à l’aube seulement, l’idée de la nuit blanche et de la feuille qui ne le sera pas.

Alors seulement elle s’endort.

05:54

 

Photo Pixabay par AJS1

pharmacie

Garantie nuit complète

L’homme entra d’un pas décidé dans la pharmacie et se campa devant le comptoir sur lequel une jeune femme triait des feuillets étalés. Bonjour !

Bonjour monsieur, répondit la femme, même pas la trentaine, en levant les yeux vers le sexagénaire aux traits tirés.

Je voudrais le nouveau produit pour dormir, demanda-t-il sans attendre qu’elle l’invite à s’exprimer.

La jeune femme haussa un sourcil, rangea ses feuilles d’un geste rapide et regarda l’homme. Quel produit, monsieur, vous pourriez être plus précis ?

Celui qu’on voit à la télé.

Marie, Préparatrice (c’était écrit sur son badge) serra les lèvres en une moue d’ignorance. S’agit-il de gélules ? De gummies ? interrogea-t-elle.

— Vous l’avez pas vu à la télé ?

—Non monsieur. Nous avons des gommes à la mélatonine qui sont efficaces.

—J’en ai déjà de ça. A la télé, ils disent « garantie nuit entière », c’est ça que je veux. Je suis insomniaque.

—Insomniaque comment, monsieur ?

—Insomniaque comme quelqu’un qui dort pas bien. Je me réveille trois ou quatre fois par nuit.

Marie quitta son comptoir pour se diriger vers une étagère pleine à craquer de boîtes et flacons divers. Nous avons des formules à base de mélange de plantes qui limitent les réveils nocturnes, dit-elle en saisissant une boîte bleue. La silhouette famélique s’approcha.

—C’est garanti nuit entière ?

—Garanti, non, mais ça fonctionne bien.

—Y’a quoi là dedans ?

—De la passiflore, de la valériane et…

—J’ai déjà tout ça. Je veux celui de la télé. Vous ne voyez pas de quoi je parle ?

Le visage de l’homme se chargeait de tics nerveux.  Marie fronçait les yeux, visiblement mal à l’aise. Non monsieur, je ne vois pas. Je vais chercher.

Elle s’empressa de repartir à son poste pour pianoter sur son clavier. Hum, c’est peut-être les gélules du Laboratoire Pioncer. Une boîte violette ? suggéra-t-elle en tournant l’écran de son ordinateur vers son interlocuteur.

Elle respirait mieux avec le comptoir entre eux, érigé en rempart.

L’homme fit la moue. Je sais pas, avoua t-il. Y’a écrit « garantie nuit complète ? »

—Non. Mais c’est une formule avec de la mélatonine à forte dose et à libération prolongée, et c’est nouveau. Nous ne l’avons pas encore reçue.

—La mélatonine, ça sert à rien. J’ai lu tout un Que Choisir sur le sujet, un  numéro rien que sur le sommeil, et il est écrit que la mélatonine ça sert à rien. Vous l’avez lu ?

—Non monsieur, je ne l’ai pas lu.

—Vous devriez.

—Assurément, monsieur, mais pour le moment je ne vois pas de quelle préparation vous me parlez, répondit Marie en jetant un regard vers l’entrée alors que des bruits de pas se faisaient entendre.

Certainement s’attendait-elle à ce que le pharmacien en titre revienne de sa course « je m’absente cinq minutes » et la sorte de ce pétrin, mais c’est un autre patient qui entrait dans l’officine.

—La mélatonine c’est de l’arnaque, poursuivait le sexagénaire à l’air fatigué. De l’ar-na-que ! Ils le disent.

—La mélatonine c’est pas utile et les antibiotiques pas automatiques ! clama le nouveau client qui venait de se coller lui aussi devant le comptoir, épaule contre épaule avec le mauvais dormeur. Mauvais coucheur aussi.

—C’est à la télé qu’ils disent ça ? interrogea ce dernier.

—Non, c’est moi qui le dis, répondit l’intrus en bombant le torse qu’il avait déjà rond comme une tarte soufflée.

—Heu… vous êtes ensemble ? s’enquit Marie après s’être interrogée un quart de seconde sur la justesse de la supposée rime.

—Vous dormez mal vous aussi ? demanda l’efflanqué en l’ignorant et sans paraitre le moins du monde indisposé par cette cohabitation forcée.

—Je fais de l’apnée du sommeil. Si vous saviez…

Marie coula un regard tendu vers la porte de la boutique qui venait à nouveau de s’ouvrir, et reprit courage à la vue de deux silhouettes, dont la blanche du pharmacien.

— Maintenant c’est réglé, je suis appareillé.

—Vous faites des nuits complètes ?

—Quasiment. Pendant longtemps j’ai bouffé du cacheton mais désormais je porte un masque la nuit et ça me change la vie. Des dodos de bébé mais sans doudou ni couche, ironisa le petit bonhomme rond sous le regard conquis de l’échalas.

— Vous avez regardé sur Doctissimo s’il y a des risques ?

—Messieurs, j’ai un autre patient à servir, s’interposa la préparatrice en adressant un sourire engageant au fond de la boutique, est-ce que je peux vous fournir quelque chose ? Ou alors je vous invite à poursuivre cette conversation à l’extérieur et à revenir nous voir une fois que vous vous serez mutuellement éclairés.

Tandis que les deux hommes se détournaient du comptoir tout en poursuivant leur conversation, elle échangea, avec son patron, un regard de connivence chargé de la fierté d’avoir bien mené son affaire avec les deux relous.

T’as rencontré Laurel et Hardy ? pouffa-t-il.

Elle lui rendit un sourire jusqu’aux oreilles tout en se demandant où elle avait bien pu entendre ces deux noms, elle ne voyait pas. Des personnages de BD peut-être…

Photo : Pixabay

Urgence au poste de travail principal

Je l’ai entendue dès mon entrée dans la station de métro. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

A nouveau lors du passage du tourniquet. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

Dans l’escalier qui mène au quai. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

Sur le quai où le train est annoncé dans six minutes. Un agent d’exploitation est prié de rejoindre d’urgence le poste de travail principal.

En boucle. Un agent d’exploitation est prié de re…

Dans une minute, la rame allait arriver. Un agent d’exploi…

– Qu’est-ce que ça peut bien être comme urgence ? interrogea la voyageuse qui se tenait tout près de moi.

– Je ne sais pas, mais j’espère qu’il n’y a pas péril. A ce rythme, il y a déjà des morts, lui répondit son compagnon.

–  Ils sont partis où les agents d’exploitation, y’en a pas un dans les parages ?

Un agent d’exploitation est prié de…

– Ils semblent que non ou alors ils ont autre chose à faire, rétorqua l’homme.

– Il est midi deux, ils sont certainement partis déjeuner, ironisai-je en n’hésitant pas à fourguer dans le même sac la RATP et la SNCF.

Cette absence de réaction à l’heure du déjeuner me rappelait quelque chose que voulez-vous…

Un agent d’exploitation est prié de…

– Je pensais qu’il y avait un roulement, il faut choisir son heure pour avoir un problème, poursuivit mon voisin de quai alors que la rame entrait dans la station. Il ne faudrait pas que le conducteur parte au secours du poste de travail principal.

– A mon avis, aucun risque, ils connaissent le truc entre agents, ce doit être un code de rassemblement pour aller déjeuner. Mais ils avaient tellement la dalle qu’ils en ont oublié de couper l’annonce et le stagiaire qui fait le planton en leur absence n’a pas le code pour accéder à la platine.

– On peut imaginer bien des scénarios en effet, s’amusa le voyageur tandis que nous montions dans la rame.

– et en écrire une histoire, ajoutai-je.

Image Pixabay (Dan Novac)