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J’aiwinnieme beaucoup cette illustration qui circule sur les réseaux sociaux. J’ignore de quel ouvrage elle
est tirée, mais écrire pour les enfants est un art difficile et là, l’exercice est particulièrement réussi. L’auteur a su dire l’essentiel en 3 lignes de dialogue (moins de 20 mots).

riviere

Lors d’une visite avant-hier soir au musée du quai Branly, j’ai été littéralement conquise par la rivière de mots, ces vagues lumineuses qui semblent couler comme des phrases qu’elles ne sont pas, qui ne disent rien et pourtant disent tout en nous entraînant dans leur mouvement.

Imaginez, pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir cette oeuvre, des milliers de mots étranges, piochés dans les collections du musée, plaqués au sol et animés par de nombreux projecteurs, donnant l’illusion d’une eau en mouvement coulant dans une allée de béton.
Impressionnant !
Une vidéo pour vous aider à imaginer l’impression que procure cette illusion :
Les intentions de l’auteur : CHARLES SANDISON
« Les fleuves constituent le système circulatoire de notre planète. Coulant des points les plus élevés vers les mers et les océans, l’eau joue un rôle essentiel, à la fois comme source de vie et comme véhicule permettant la circulation d’éléments nécessaires à la vie.
Le langage fonctionne de la même façon, à la fois médium et message. Les idées s’écoulent comme les mots dans le temps et l’espace, se matérialisant momentanément enévénements et en objets fugitivement imprégnés d’une signification particulière. Puis, à l’instar de l’eau, cette signification s’efface peu à peu pour venir se fondre à nouveau dans le fleuve de la vie et de la mort.
On peut ainsi observer l’histoire humaine non pas en y recherchant des significations particulières, mais en contemplant plutôt les canaux et les canyons inscrits à sa surface, gravés par le flot du langage.
Une projection de textes générée par différents ordinateurs connectés à des projecteurs informatiques permet de créer un fleuve d’informations remontant et descendant la rampe d’accès principale menant aux collections permanentes. Le programme informatique est exécuté en temps réel, générant des courants de texte constamment renouvelés et en évolution permanente. Les mots interagissent, augmentant et diminuant le flux de données montant et descendant la rampe. L’ensemble représente un « cycle hydrologique » linguistique.
[…]
Un dialogue implicite constant s’instaure entre les visiteurs du musée et l’œuvre d’art. À mesure que le visiteur monte le long de la rampe, les mots s’écoulent sous et autour de ses pieds comme s’il pataugeait dans un ruisseau. À certains endroits, le degré d’immersion augmente, et le promeneur s’enfonce encore plus profondément dans les mots… »

xperia-zu-telephone_optElle monta à Port-Royal, avec quatre autres voyageurs, un léger sourire sur ses lèvres maquillées d’un rouge franc. Je remarquai immédiatement cette belle quinquagénaire chic, son manteau bien coupé, ses cheveux blonds remontés en un chignon flou sur un visage ovale un peu ridé. Elle s’adossa à la barre centrale, tronc d’acier s’évasant vers le plafond en trois branches verticales, et sortit immédiatement un smartphone de son sac à main :

« Allô chéri, tu me manques déjà… [soupir] c’était bien cette nuit…merci… mmm… ». Elle conversait à voix haute, la tête penchée, l’oreille posée sur son téléphone, et son timbre cristallin résonnait dans cet espace clos sans que le chuintement des roues sur les rails ne parvienne à l’étouffer.

« Elle t’a plu ma nouvelle lingerie. Je l’ai achetée exprès pour toi… Oui… »

Je regardai l’homme en trench beige et pantalon à revers qui se tenait près d’elle, lisant son journal. A peine perçus-je un mouvement de sourcil susceptible de montrer son étonnement ou sa désapprobation. J’observai les autres voyageurs autour de nous. Aucun ne semblait faire attention à cette conversation intime.

« J’ai adoré ta façon de… oui, c’est ça [nouveau soupir]. J’ai hâte de recommencer. Quand est-ce qu’on se voit ? Ce soir, je ne peux pas, mon mari rentre. Demain, oh oui ! Chez toi ou à l’hôtel ? Je ne vais pas tenir jusque là… comment veux-tu que je travaille en pensant à notre nuit ? [petit rire] »

« Luxembourg ». Les portes s’ouvrirent. L’homme au journal lui jeta un regard de biais en quittant la rame, deux jeunes filles montèrent. Elle continuait sa conversation, imperturbable. Seuls ses pieds fins chaussés d’escarpins neufs remuaient pour amortir les mouvements du train.

« Tu me manques, tu me manques… Mon mari sera crevé par le décalage horaire ce soir, pas de problème. Et demain il repart. Oh qu’il me tarde ! Une nouvelle nuit dans tes bras à faire des coquineries… mmm…  » Les deux jeunes filles échangèrent un regard de connivence et gloussèrent de conserve en s’avançant dans l’allée vers des sièges libres. Une dame aux cheveux gris pencha le buste et étira le cou hors des banquettes, comme un pigeon en mouvement, pour tenter d’identifier l’indiscrète.

« C’est vrai que tu as de l’imagination ! … Oh, non ! … » poursuivait la  quinquagénaire en plissant les lèvres et le nez comme une adolescente espiègle.

Alors que le train redémarrait, un jeune enfant hurla à l’autre bout du compartiment, déchirant les tympans des voyageurs : « Nan, veux pas ! » La blonde redressa la tête et, la tournant vers l’origine du cri, se confronta à des regards animés de curiosité. Qui la fixaient. Elle. 

Elle baissa les yeux, sa mâchoire se crispa et son visage entier se ternit comme si la moitié des néons de la rame venait d’expirer.

« Hum… Hum… oui, je t’écoute. » Sa voix aussi flanchait.

Elle se décolla brusquement de la barre, se raidit dans une dignité aristocratique, fit deux petits pas en oscillant sur ses hauts talons, colla sa main sur la porte pour se stabiliser et fixa le mur du tunnel qui défilait derrière les vitres reflétant les lueurs des plafonniers.

« Je dois raccrocher ; tu comprends, là, je suis dans le RER ; je peux pas te parler. »

Petite histoire proposée, ce mois-ci, au concours de nouvelles du RER B.

tenir-la-mainIl la tenait par l’épaule. Ils étaient quasiment de la même taille. Nous étions proches, eux et moi, dans cette rame chargée de fin de journée de travail.

Elle caressait son visage tandis que son autre main était agrippée à la barre. « Ca te va bien un peu de barbe » lui dit-elle en lissant du bout des doigts les quelques poils blonds de ce visage adolescent. « Tu fais moins jeune. Ma tante m’a dit que je t’avais choisi trop jeune ». Il la regarda en souriant, ses yeux bleus pétillaient de malice. Avec son polo porté sous un bomber et sa mèche rebelle, il avait un air de Tintin.   « Comment ça trop jeune ? Pourtant elle était présente à notre mariage ; je faisais pas homme dans mon costume ? » Elle le regarda avec amour.

La rame de métro ralentit. Il la serra plus fort contre lui. Leurs joues se touchèrent. Il déposa un léger baiser au coin de ses lèvres. Elle ferma les yeux un instant. Elle était aussi pâle que lui mais on devinait que sa carnation à elle devait beaucoup à un fond de teint. Ses cils étaient allongés et collés en petits paquets par une couche de mascara noir. Sa bouche était rouge carmin.Elle  n’avait pas d’âge.

Je réalisai alors qu’on ne voyait pas ses cheveux, cachés sous un foulard gris fer bien ajusté sous le cou et qui retombait en cascade sur son blouson en jeans.Ils firent un pas vers la porte et quand ils quittèrent la rame je remarquai sa longue jupe noire informe qui descendait à terre masquant même ses chaussures.

Je regardai songeuse leurs silhouettes s’éloigner sur le quai, main dans la main.

 

118169_couverture_Hres_0Ce livre de Marcello Fois explore les relations entre deux jumelles. Ses propos tout en nuances et suggestions nous révèlent deux femmes tiraillées entre complicité et rivalité, tels des animaux sauvages.

À propos de l’une : « Soudain, elle prenait cet aspect de prédateur qui digère à l’ombre, après avoir nettoyé une carcasse. Fier, indolent, les pattes croisées. »

Au sujet de l’autre : « Elle était furieuse, mais envers elle-même, parce qu’elle savait qu’elle retomberait dans le piège. Qu’elle tenterait encore une fois d’avoir raison. »

Angela et Natacha, les deux jumelles héroïnes de mon premier roman, inabouti, sont ainsi, toujours prêtes à sortir les griffes mais inséparables. J’ai hâte de les retrouver…

Présentation de l’éditeur :

http://www.seuil.com/ouvrage/cris-murmures-et-rugissements-marcello-fois/9782021181692

Ligne 9, ma 13899607833_ac4b9ae863_bligne 5 jours sur 7. Deux femmes viennent s’asseoir à côté de moi tout en poursuivant leur conversation, une aubaine pour elles ces deux places face à face.

Elles parlent fort. « Antony s’est cassé le bras en faisant du skate… »

« République » annonce la sono du train.

« Une méchante fracture ». Je ferme mon livre. « Il ne s’est pas déjà cassé la clavicule l’année dernière ? »- « Oui, c’est un vrai casse-cou, sa mère n’arrive pas à le faire tenir tranquille… »

« Strasbourg-St Denis »

« Il a quel âge maintenant ton petit-fils ? » – « Tout juste dix ans. » – « Mon fils, il s’est cassé pas mal de choses aussi quand il était gamin. Entre le ski et le foot, il avait toujours quelque chose de travers, et aujourd’hui il n’a aucune séquelle.  » – « Mais là c’est différent. Il a fait des examens complémentaires… »

« Bonne Nouvelle »

« … on lui a diagnostiqué un cancer des os. »

 

 

 

Visite au cimetière marin de Saint-Paul à la Réunion, connu pour sa situation remarquable en bord d’océan et les tombes de quelques personnages célèbres : des pirates, des artistes, des esclaves affranchis…  Dans ses allées bordées de cocoCimetière_Marintiers, il faisait bon se promener et lire les plaques. Des épitaphes, des vers, des prénoms, des noms… Et parmi eux, Elixene et Ariste, des prénoms oubliés qui portent en eux une puissance littéraire attrayante. 

Il ne reste plus qu’à inventer à ce couple une vie pleine de rebondissements.