Tous les articles par Fabienne Vincent-Galtié - Auteure

A la gendarmerie

Si vous possédez de vieilles armes, voici ce qui vous attend !

A la gendarmerie constitue la dernière partie du polyptique intitulé  Les vieux fusils. Retrouvez la première nouvelle éponyme en guise d’introduction et Chez l’armurier, la première partie.


A la gendarmerie

La gendarmerie ressemblait à un pavillon des années 60 avec son allure sans charme, son accès direct au premier étage par un escalier bétonné donnant sur une large terrasse, le garage au rez-de-chaussée et le jardinet engazonné tout autour.

Restez-là, j’y vais, intimai-je à mère et mari.

J’entrai dans un minuscule hall qui aurait pu être celui de n’importe quelle administration hors d’âge. Carreaux blancs au sol, murs blanc sale, quelques affichettes mal collées, huisseries en alu. Et un étroit comptoir d’accueil derrière lequel se tient une jeune gendarme en conversation avec une femme mûre.

Quelques minutes et je suis à vous, me dit-elle.

De complaints en plaintes

Derrière l’un des murs, entièrement vitré mais opacifié, je perçus quelques mouvements. La représentante de loi n’était pas seule.

Pour unique meuble un guéridon sur lequel traînaient quelques prospectus. Pas moyen de s’asseoir.

Dans un anglais de bon niveau, la gendarme expliquait à son interlocutrice son incapacité à rédiger une plainte contre un chien sans savoir à qui il appartenait. La sexagénaire insistait, ne pouvaient-ils rechercher le propriétaire ? La conversation semblait s’enliser, la gendarme y perdre son vocabulaire. We can’t do that, …, try to ask to the Maire, yes the Maire. … He must know, him. And then, you’ll go back for the plainte, complain sorry.

J’ignorais quel délit avait bien pu commettre le clébard. Un vol de saucisse ? Un déplumage de poule ? L’affaire ne semblait pas tragique non plus.

Excuse me, dit la gendarme en décrochant le téléphone. À qui ai-je l’honneur ? Joli, me dis-je, formule un peu plus élégante que T’es qui, toi ? Certains pourraient en prendre de la graine. Oui, monsieur Lamblin. Vous avez déjà appelé, je me souviens parfaitement. Que fait la dame, elle vous menace ? … Elle menace des passants ? … Elle parle toute seule, mais ce n’est pas un délit ça monsieur. Votre femme a peur d’elle et n’ose plus sortir, je comprends monsieur, mais elle se trouve où cette personne, dans votre jardin ? … Si elle est sur la voie publique, on ne peut pas intervenir. À part lui demander de ramasser les deux frites qu’elle aurait fait tomber… Oui, monsieur Lamblin, je vais contacter mes collègues de la patrouille pour voir s’ils auraient le temps de passer, mais je ne vous garantis rien, il y a beaucoup d’appels en ce moment.

L’anglaise écoutait d’un air distrait, la gendarme leva les épaules comme pour nous faire part de son impuissance à régler de tel litige. Mon tour arrivait, je le sentais. À travers la porte vitrée, je fis signe à chéri, en contrebas, de patienter un peu.

Je préparais mentalement ma demande. C’est pour un abandon d’armes. La formule consacrée, selon l’armurier. Abandon d’armes. J’aurais dit Donner, Remettre, Me débarrasser, pas Abandonner. Il y avait quelque chose de culpabilisant dans ce terme. Mais il n’était pas l’heure de chipoter, le principal étant de se défaire de cet arsenal une fois pour toute.

See with le Maire, certainly he knows the owner, insista la gendarme à bout d’argument. L’anglaise lâcha l’affaire, résignée.

Je fis un pas en avant, tandis que le téléphone sonnait à nouveau. La gendarme me lança un regard agacé. Depuis ce matin c’est comme ça, chuchota-t-elle.

Yes. I know. I can’t do anything else. I’ve informed my collegues, they’ll come soon. They are on an urgency before. I can’t say how long… I’m sorry. Yes… sure.

Je croyais que le Brexit avait dépeuplé le sud-ouest, mais les Anglais semblaient encore bien ancrés dans les parages.

Abandon d’armes

La gendarme me fit signe d’approcher, enfin. C’est pourquoi ?

— Pour un abandon d’armes.

— Hum, il faut que je voie avec mon supérieur, il a plus l’habitude que moi. De quel type sont vos armes et vous en avez combien ?

— Quatre fusils de chasse. Je vais les chercher.

J’appelai Chéri depuis la terrasse. Apporte le bazar !

Le temps que Chéri peste dans l’escalier, les bras chargés des encombrants fusils – C’est lourd ces machins ! – et les dépose sur le comptoir, le gradé avait fait son apparition. Venez avec moi, dit-il.

Je m’en occupe, assurai-je à mon mari. Reste avec ma mère. Ça va être rapide, ajouta le gendarme.

La jeune gendarme était repartie à son téléphone et je l’entendais se débattre avec un insistant. Oui, monsieur Gilbert, j’ai tout noté. J’ai transmis, il faut attendre. C’était hier, on ne peut pas aller plus vite. Je connais très bien votre dossier, c’est pas la peine de me rappeler les faits. Oui, re-téléphonez, mais pas avant une bonne semaine. Il est inutile de nous relancer trois fois par jour. Au revoir, monsieur Gilbert.

Le gradé me fit asseoir dans un bureau où il avait apporté les carabines. Cadillou va enregistrer votre acte.

Je m’interrogeai sur l’identité de celui que l’état civil avait affublé de ce drôle de patronyme. Cadillou. Il m’évoquait un film avec Fernandel, un âne ou un grand gaillard un peu ballot. Le simplet du village, aussi.

C’est la jeune gendarme qui arriva. Oui, Lieutenant, je vais enregistrer l’acte mais je dois d’abord répondre au plaignant qui vient d’arriver.

Le lieutenant, pendant ce temps, bataillait à extraire les munitions de la cartouchière, collées par des décennies d’inutilisation. Bataillait, c’était lui prêter plus d’énergie qu’il n’y mettait. Clairement il s’occupait en attendant que sa subordonnée ait une minute à elle.

À peine eut-elle glissé un ranger dans le bureau que la sonnette de la porte retentissait à nouveau. Je reviens, dit-elle. Le lieutenant ne moufta pas. Pas même un battement de cil plus rapide. Nous entendîmes la jeune gendarme éconduire le visiteur. Je ne vais pas pouvoir prendre votre déposition aujourd’hui. Pourriez-vous revenir demain ?

La déposition

La gendarme finit par arriver pour de bon. S’assit face à moi, son supérieur à ses côtés. Je vous écoute, Lieutenant, comment je procède ? J’ai encore jamais fait ça.

Il lui montra quelque chose sur son écran d’ordinateur. Vous ouvrez un PV. Là. Vous cochez Abandon d’arme. Et vous répertoriez. Notez, ordonna-t-il en manipulant les armes : une carabine sans numéro, modèle inconnu, calibre 32. Une autre, elle est jolie celle-là, idem.

— Si vous voulez la garder, tentai-je.

— On n’a pas le droit. Elles vont partir aux Douanes.

— Juste un instant, intervint la gendarme. Je vais faire une photo pour mon grand-père. Il ne va pas en revenir.

Une simple photo en guise de trophée. La loi se révélait implacable même pour les gendarmes.

— Encore une, sans numéro, sans marque, du 22 certainement. Et un 22 Long-Rifle sans numéro, poursuivait le gradé.

— J’ai une déclaration pour celui-là, dis-je en tendant le papier.

— Vous avez une autorisation de détention d’arme ?

— Ah non, rien du tout. Elles ne sont pas à moi ces armes.

— Mais c’est vous qui les abandonnez.

— Elles appartiennent à ma mère qui les a héritées de son père, et c’est mon père, son mari donc, qui a déclaré le 22 Long-Rifle pour se mettre en accord avec la loi il y a… quelques années, mais la loi a changé…

— Il nous faut la pièce d’identité du déposant. C’est votre mère ou c’est vous ?

— Ma mère a quatre-vingt-dix ans, elle attend en bas, elle va pas grimper jusqu’ici. Alors c’est moi.

Décidément rien ne bougeait chez le lieutenant. Une façade sans émotion. Une voix sans intonation. Je ne ressentais rien d’autre à ses côtés qu’une froide bienséance. La gendarme vint à mon secours en prenant ma carte d’identité. Peu importe le déposant, on n’a aucune justification à vous demander, me rassura-t-elle.

Bon, cochez bien Déclaré pour le 22 Long-Rifle. Absence de permis de chasse et de détention d’arme. Notez aussi 23 cartouches et 16 balles, continuait le Lieutenant en déposant sur le bureau de la gendarme les sachets qu’il avait rempli des munitions. Voilà c’est presque fini, ça va prendre cinq minutes.

Et s’adressant à moi : Reprenez la cartouchière, on n’a pas à la transmettre. Et il sortit du bureau.

Informatique poussive

— Vous pouvez la vendre, la cartouchière, commenta la gendarme tout en tapant sur son clavier. Certains en recherchent encore.

— Si vous connaissez un chasseur, donnez-la lui.

—  Mon grand-père serait content.

— Alors prenez-la, c’est votre grand-père ou Emmaüs.

La gendarme la fit glisser derrière son bureau avec un sourire de satisfaction. Elle avait son trophée.

—  Donc Abandon d’arme. Motif : Succession ?

— C’est ça.

— Lieutenant ! cria-t-elle.

Il revint.

— Je dois faire un PV par arme ? Je ne peux pas entrer les quatre sur le même.

— Non, un seul et vous mettrez les descriptions sur le Cerfa.

Il repartit.

Le téléphone se manifesta. Oui je sais, j’ai prévenu la patrouille, ils vont passer monsieur Lamblin. Je ne peux pas faire plus. Au revoir monsieur Lamblin.

Je pensais que des frites avaient dû tomber sur le trottoir.

La porte sonna à son tour. On se serait cru dans un jeu où il fallait courir après des alertes. Dring dans le bureau, dring à la porte, re-dring dans le bureau. La gendarme se leva en me priant de l’excuser. Je fais vite, promit-elle.

PV, Cerfa et téléphone

Effectivement elle revint sans trop tarder. J’avais eu le temps d’envoyer un sms à chéri. Fais patienter Maman, c’est en cours.

Un seul PV qu’il dit, bougonna-t-elle avec une moue désabusée. Lieutenant ! appela-t-elle.

Il revint d’un pas égal et se plaça devant l’écran de sa subordonnée.

— Quand j’ouvre un Cerfa j’ai nécessairement un PV qui s’ouvre aussi, lui exposa-t-elle.

— Vous cliquez là, vous mettez Sans Objet et vous fermez, assura-t-il en maniant la souris. Ah non, le PV reste… Bon, eh bien, quatre PV.

— Et quatre Cerfa.

— Elle est admirable, dis-je au Lieutenant comme si j’avais besoin de racheter son impertinence aux yeux de son supérieur. Elle gère tout avec une patience exemplaire.

— C’est un bon élément, me répondit-il sans un regard pour elle, avant de se retirer derrière ses vitres dépolies.

— Désolée, ça prendra plus de cinq minutes, se justifia-t-elle avec un haussement d’épaule d’impuissance.

Je lui décernai un sourire compréhensif. Déjà une demi-heure que je m’étais présentée devant elle.

La sonnerie du téléphone retentit à nouveau. Oui madame Cazal, je note, de la fumée. Le feu, il est dans votre jardin ? C’est votre voisin qui l’a allumé, j’ai bien compris, mais où ? Dans son pré. Y a-t-il du bois à proximité, un risque de propagation ? Votre voisin est sur place, il surveille, tant mieux. Mais c’est interdit par la loi. En effet. Quelle est votre adresse ? Manoure ? Avec le M de Manon ou le N de Noël ? Nanoure ? Je vous entends mal, madame. Je ne suis pas d’ici moi madame, je ne connais pas tous les lieux-dits de notre circonscription, vous en déplaise ! Alors Manon ou Noël ? Maman. D’accord, si vous préférez, donc Manoure. Avec un S à la fin, j’ai compris. Un S comme Sophie, Stéphane, Sofiane, Sergent… Manouresse. Bien madame Cazal, c’est enregistré, la patrouille va passer.

Ah mince, je n’ai pas demandé la commune ! pesta la gendarme en raccrochant. Je note le signalement et je suis à vous.

Manoures c’est sur la commune de Payssac, je connais bien, intervins-je tout en composant un sms : Plus long que prévu. Fais patienter Maman.

Et Cazal, comment ça s’écrit Cazal ? J’ai oublié de faire préciser, ragea la jeune femme.

Je cherchai sur mon téléphone, Cazal – Manoures – Payssac, et clamai triomphante : Cazalle, deux L, E. Il est carrossier.

Merci, répondit la militaire. Les gens ils croient qu’on sait tout. Je suis arrivée il y a deux mois, je viens d’Orléans et je passe la plupart du temps dans ce bureau, comment est-ce que je pourrais tout connaitre de la région ?

Je la confortai d’un sourire compréhensif.

On va reprendre. Je vais couper le téléphone, sinon on ne va pas y arriver. Je finis mon service dans une minute. Enfin en théorie.

Je me dis que les chiens errants, les feux de paille, les burgers-frites sur la voie publique pouvaient bien attendre au lendemain, les faits plus graves aussi, que dans la vie il y avait des priorités et que celle du jour c’était un lot de pétoires, que le monde était finalement bien pensé.

Le sablier

Putain ! Oh pardon, je suis désolée, dit-elle avec une moue qui semblait plus amusée que désolée. Mon ordi est bloqué ! C’est toujours pareil, regardez ! dit-elle en tournant son écran vers moi.

Une jauge horizontale se remplissait nonchalamment tandis qu’un sablier tournait.

Ils disent que je ne sais pas me servir de l’ordi, que les PV prennent cinq minutes, tu parles !, pas avec ce dinosaure ! Avant je pouvais me mettre sur n’importe quel poste, ça allait, mais maintenant on a un poste attitré.

Je pensai qu’à l’armée, plus qu’ailleurs, chaque Homme a sa place et chaque tâche son Homme, et que la jeune femme face à moi était bien mal barrée dans cet ordre-là.

— Ah c’est reparti ! Bon alors qu’est-ce qu’on a dit calibre 22 pour la 22 ? ou 32 ?

— Je sais plus…

— Bon, je vais en mettre une en 22 et une en 32.

— Si ça vous va…

— Et voilà, ça bugue encore, souffla-t-elle. Rifle, ça s’écrit comment ?

Je proposai un seul F.

— Ça ne change rien, c’est bloqué, râla-t-elle. Et en haussant la voix : Lieutenant, c’est pas moi qui ne sais pas me servir du matériel, venez voir !

Je remarquai alors son gilet pare-balle et son arsenal à la ceinture.

— Vous n’avez pas chaud dans votre harnachement ?

— Oh si, lâcha-t-elle, mais c’est le règlement. Je transpire avec ce poids ! Je change mon polo en dessous trois fois par jour et j’ai encore l’impression de puer tout le temps.

Des pas dans le couloir. Je m’attendais à voir apparaître le lieutenant, portant beau dans son mince polo de quelques grammes, mais c’est deux autres têtes qui s’affichèrent dans l’encadrement de la porte. Au revoir, on a fini notre service, à lundi !

Regardez comme ça bugue, les prit-elle à témoin, quand je vous le dis et que vous ne voulez pas me croire… mais sa phrase n’était pas terminée que déjà la porte extérieure claquait. Bye bye les collègues compatissants.

Moi aussi j’ai fini mon service, enfin je suis censée. Et après vous, j’ai encore deux bonnes heures de boulot. Quand j’appelle ma mère à vingt heures, elle croit que j’ai eu le temps de faire les courses, la fête et tout le reste. Tu parles, je sors juste du travail. Elle était contente au début de me voir gendarme, maintenant elle déchante.

Je me dis qu’elle n’était certainement pas la seule, à déchanter. Et que ça faisait déjà une heure largement sonnée que je poireautais dans cette gendarmerie.

Copies et croix

À coup de sablier sur l’écran et de soupirs de la jeune gendarme, les enregistrements furent saisis. Voilà j’ai fini, y’a plus qu’à sortir les docs. Cinq minutes, il disait, et ça fait une heure et demie. Je vais chercher les feuilles, me dit-elle. Et plus fort, en passant la porte : Lieutenant, ça va être bon pour la signature !

J’en profitai pour envoyer un sms à chéri : Plus que la signature !

Mince ! pesta la gendarme à son retour dans le bureau. Ça m’a tout imprimé en recto-verso, une partie des PV se trouve au dos des Cerfa. J’ai plus qu’à faire des photocopies. Je reviens !

Je me demandais combien de fois elle avait dit ces mots : Je reviens. J’aurais dû compter. J’aurais eu mon jeu moi aussi, à elle les sonneries, à moi les Je reviens.

J’entendais le copieur ronronner par à-coups à travers la cloison et la gendarme pester. Putain, c’est quoi ce matos ! sans se soucier d’offusquer son supérieur. Elle me plaisait bien cette gendarme.

Elle réapparut portant un paquet de feuilles quelque peu anarchique. Tenez-moi ça, elle me dit, on va les remettre en ordre. Je lui passai les feuilles une à une dont elle vérifiait les références. Et merde ! s’autorisa-t-elle à nouveau.

— Qu’est-ce qui se passe cette fois ? m’inquiétai-je.

— La croix devant Arme déclarée, celle pour le 22 Long-Rifle, elle a été reprise sur tous les PV quand j’ai dupliqué le doc.

— Il faut tout recommencer ?

Je sentais la fièvre me gagner en pensant à ma mère et à mon mari qui m’attendaient dehors par ce temps maussade. Justement un bip dans ma poche semblait me rappeler à l’ordre.

— Je vais chercher du Tipex, ça passera pour la préfecture.

J’en profitai pour dégainer mon téléphone. C’était chéri comme supposé : Il cherche son stylo ?

Du Tipex, je pianotai.

À jamais

La gendarme revint sans tarder, et me passa les feuillets à signer au fur et à mesure qu’elle en masquait la croix. Elle recompta. On a bien les quatre Cerfa, commenta-t-elle, les quatre PV, deux exemplaires de chaque. C’est parfait. Il ne manque plus que la signature du lieutenant.

Il signera plus tard, vous n’avez pas à attendre, ajouta-t-elle en percevant certainement un signe d’angoisse sur mon visage. Et elle me tendit les feuilles de reçu. Voilà, c’est juste une formalité mais si jamais vous aviez un problème par la suite avec ces déclarations, demandez Cadillou. C’est moi.

J’acquiesçai tout en priant de ne plus avoir affaire à elle. Mais il n’y a pas de raison ajouta-t-elle à point nommé. Décidément elle lisait en moi.

Elle regarda sa montre en me raccompagnant dans le microscopique hall. Et voilà, ma mère va encore se demander ce que je fous.

— Bon courage à vous et bonne fin d’après-midi.

— Plus que les dernières transmissions et je serai en congé pour trois jours, dit-elle avec le sourire d’une enfant de six ans à qui on a promis un tour de manège.

— Au revoir !

Je laissai la porte claquer derrière moi et descendis l’escalier à vive allure.

Indécrotable

— Ah te voilà, dit ma mère, je m’inquiétais.

— Tu t’inquiétais pour quoi ?

— Parce qu’on aurait pu te causer des tracasseries à cause de ces armes. On ne t’a pas fait de reproches ?

— Non Maman, c’était une simple formalité, beaucoup de paperasse et de temps mais rien d’embêtant. Maintenant c’est fait, on est débarrassé, c’est une bonne chose : plus d’arme à la maison. Ça ne valait pas la peine d’imaginer des solutions moins légales, taquinai-je ma mère en l’aidant à attacher sa ceinture de sécurité.

Et nous rentrèrent chez nous.

— Finalement, dit ma mère après un long silence que je mettais sur le compte de la fatigue, ça n’a pas été compliqué. Tu aurais pu en profiter pour rendre le pistolet de ton père.

— Quel père ? Non, je veux dire, quelle arme ?

— Le pistolet que ton père a rapporté d’Algérie. À la fin de son service militaire.

— C’est quoi ça encore ? Vous n’en avez jamais parlé ! Il est où ce truc-là maintenant ?

Ma température corporelle était montée d’un cran.

— Dans l’épaisseur de la tête de lit. Ton père ne savait pas trop comment s’en défaire. On a trouvé cette cachette, et il y est toujours. C’est dommage que je n’y aie pas pensé ce matin.

— Tu as raison sur ce coup-là Maman, c’est bien dommage que tu n’en aies pas parlé plus tôt. Ni ce matin ni jamais. Alors réfléchis bien, as-tu d’autres armes planquées quelque part ? Je sais pas moi, des sabres japonais dans le plafond, une arbalète dans le garage, un bazooka dans le grenier, un obus dans un pot de fleurs… réfléchis bien s’il te plaît.

— Le pistolet, on pourrait l’enterrer sous l’étendoir à linge.

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Photo : devenir-gendarme.com

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boite a tabac ancienne

La boîte à tabac

boite a tabac ancienneDans ma bibliothèque cette kitchissime tête de marin. Une boîte ancienne offerte par un oncle en souvenir de ses parents il y a longtemps déjà. C’est elle qui m’a inspiré ce passage dans  Point à la ligne :

Adrienne parcourt du regard les bibelots alignés. Des bougeoirs, une lampe à pétrole, des bonbonnières, des vide-poches, des cendriers, des statuettes. Elle s’accorde d’en conserver seulement trois et son choix se porte d’abord sur la boîte en fine porcelaine représentant une tête de marin coiffée d’une casquette, avec le nom Deauville écrit sur la visière. Marcel et elle avaient tellement ri de cette tête grisonnante et barbue, pipe à la bouche, en imaginant Marcel ainsi quelques décennies plus tard, qu’ils l’avaient achetée. C'était lors de leur premier voyage ensemble, son mari et elle. Son second mari à vrai dire.

J’ai découvert depuis qu’il s’agit d’une boîte à tabac. Adrienne ne pouvait l’ignorer.

Bizarres rencontres

Des rencontres bizarres, on en fait tous. J’ai déjà parlé du drôle de montagnard du métro. Mais il y a quelques semaines, ce fut un âne, tiré par une jeune femme  avenue Daumesnil à Paris. Plus récemment, près de la station Chevaleret un homme simplement vêtu d’un slip et d’un pull, dont le visage était barbouillé de blanc, comme à la gouache. Et ce matin, dans le métro, une fillette dont la tête m’évoqua celle d’un jeune renard. Yeux ronds, petit nez, menton court et oreilles pointues.

Sur l’instant chacune de ces rencontres me renvoie à la récurrente interrogation sur la possibilité d’existences parallèles. Ces gens-là viennent-ils d’un autre monde, d’un monde fantastique qui cohabiterait avec le nôtre ? Qui ferait que tout est encore plus possible , le meilleur comme le pire, tel que Marie, l’héroïne de mon roman Merci Gary, le découvre ?

Extrait :

Marie, déjà revenue dans le séjour, l’entendit à peine. Elle ouvrit la baie vitrée. S’appuya sur le muret de brique entourant la terrasse, comme pour reprendre son souffle après avoir manqué d’air. Jetant un œil à la courette arborée en contrebas, elle y aperçut un chat blanc qui la traversait. Sa course lui parut bizarre, il bondissait comme un lièvre. À cet instant, un hululement de chouette retentit à proximité. Elle ne s’en étonna pas plus. Rien, ce jour-là, ne pouvait la surprendre au-delà de ce qu’elle était en train de vivre à l’instant.

Image Pixabay

Deux millions moins un

Il y aurait deux millions de possesseurs illégaux d’armes, commenta ma mère après avoir découvert l’article de son journal favori sur la campagne de désarmement.
Deux millions moins un, ils n’ont pas actualisé leur chiffre, j’ai répondu.
Si tu avais attendu un peu, on aurait pu aller dans un Armodrome.
Un Desarmodrome, plutôt, mais on aurait manqué la rencontre avec l’armurier et la gendarme Cadillou. Cela aurait été moins drôle
Et, dans un ultime souffle de rancune, j’ajoutai : Tu vois bien qu’il fallait s’en débarrasser de ces fichues pétoires, si La Dépêche le dit.
Retrouvez le récit : Chez l’armurier
A la gendarmerie, récit à venir. Pour le recevoir dans votre boite mail le mois prochain, inscrivez vous à ma newsletter.
Photo empruntée à la Dépêche du Midi

Chez l’armurier

Les armes de mon grand-père dont il fallait se débarrasser, celles qui m’ont inspiré une nouvelle, vous vous en souvenez ? (les vieux fusils)

La réalité n’en a pas été moins amusante, même si je la romance un peu, un tout petit peu, à ma façon.

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En route

— Maman, on pourrait aller chez l’armurier cet après-midi.

— S’il est ouvert.

— Pas de chance, Mam, il sera à la boutique toute la journée et il nous attend.

— Les fusils, moi, je les aurais enterrés dans le jardin.

— Ah non, tu ne vas pas recommencer ! De toute façon, y’en a un de déclaré aux autorités. Qu’on y aille pour un ou quatre, c’est pareil.

— Le 22 Long Rifle, je voulais le donner à Guy.

— Ça fait cinq ans que tu me le dis mais Guy s’en moque de ton fusil et d’ailleurs on ne peut pas le donner comme ça en loucedé, il faut déclarer la transaction. Donc on y va !

— D’accord.

Le d’accord n’était pas franc, je l’avais bien remarqué. J’appelle mon mari, lui demande d’aller décrocher les fusils. Les armes et moi nous nous tenons à distance.

— Mais on va pas prendre les fusils ! s’insurge ma mère.

— Pourquoi on se rendrait chez l’armurier, alors ?, Maman.

— Pour lui demander ce qu’il faut faire.

— Il nous l’a déjà dit. Il estimera si certains sont vendables ou s’il faut tous les détruire.

— Mais on ne va pas faire trente kilomètres avec des armes dans le coffre ! Si on se faisait arrêter…

— C’est pour ça que j’ai appelé l’armurier avant. Si jamais une colonne de gendarmes nous tombait dessus, il pourrait témoigner qu’on allait chez lui, qu’on ne préparait pas le casse du siècle avec des pétoires.

— Et la probabilité qu’on se fasse arrêter sur une route de campagne, elle est quand même minime, non ? intervint mon mari. Vous vous êtes déjà fait contrôler en quatre-vingt dix ans ?

Quand on s’y met à deux, ma mère plie.

Elle s’est glissée dans la voiture en bougonnant, mais la perspective de revoir des lieux attachés à son enfance lui a rapidement délié la langue.

L’armurier, elle le connait bien, nous a-t-elle assuré. Ah Gérard, ce qu’il était farceur celui-là !

Mam, tu sais, c’est probablement son fils, ou même son petit-fils, qui a repris l’affaire. Lui, il ne doit plus être très en forme, avançais-je avec précaution.

Quand son âge la rappelle à quelques vérités désagréables, madame mère se renfrogne.

Partout des armes

L’armurier nous a ouvert la porte tandis qu’il servait un client. Un futur client plutôt. Le gamin ne devait pas avoir vingt ans et c’est son grand-père qui tenait à lui offrir sa première arme. Cette idée me fit frémir. L’environnement aussi. Que je tourne la tête à droite, à gauche, des armes. Partout, des armes. Et pas de la gnognotte. Je me concentrai sur la vitrine des couteaux quand j’entendis ma mère siffler : C’est bien un Delmas, il a la même tête que son père !

Ma mère est passablement sourde et elle ignore que les autres ne le sont pas. Le commerçant ne semblait pas l’avoir entendue, lancé comme il l’était dans des explications techniques sur les munitions, la précision, et je ne sais quoi d’autre, avec une faconde qui ferait passer un bonimenteur du marché pour un élève de 6e le jour de la rentrée au collège.

Le grand-père se tenait en retrait mais je sentais dans l’esquisse d’un sourire sa satisfaction à avoir mis son petit-fils entre de bonnes mains, à endosser l’initiation de cette troisième génération de chasseurs (au moins !), tout allait bien dans le meilleur des mondes. Je ne voyais pas le visage du gamin mais je devinais des étoiles dans ses yeux.

Je m’approchai de ma mère et lui glissai à l’oreille : C’est plutôt son petit-fils, il est bien jeune.

Je vis son visage se crisper.

Je reviendrai quand j’aurai le permis de chasse, annonça le gamin. Ça fait cinquante ans que je chasse, moi, ajouta le grand-père.

Je plissai le front à mon tour, mais me détendis quand la porte se referma sur les futurs clients. À notre tour !

Une vieille connaissance

Je vous reconnais bien ! lança l’armurier à l’intention de ma mère qui ne demandait que ça pour lui parler de Gérard et de ses frasques.

Pendant ce temps, je calculais mentalement. Le gars devait avoir dans les quarante ans, ce qui était cohérent avec l’âge de son grand-père, quatre-vingt-dix ans, et depuis le décès de mon grand-père, trente-cinq ans plus tôt, ma mère ne revenait que très épisodiquement dans sa ville de naissance et seulement pour rendre visite à d’anciennes connaissances.

Je n’ai pas beaucoup connu mon grand-père, finit par confier l’armurier quand ma mère lui laissa un espace. Et mon père m’a passé le flambeau il y a plus de dix ans désormais.

J’ai senti l’esprit de ma mère chanceler un instant. Gérard était un peu plus âgé que moi, elle dit, de deux ans je crois.

Deux années qui ne justifiaient pas qu’un soit dans la tombe depuis des lustres et l’autre assise sur une chaise à tenter de remonter le temps.

Mais comment vous connaissez-vous ? lançai-je autant pour détendre l’atmosphère que pour démasquer le commercial.

Mais c’est qu’elle enquête ! Il ne s’est rien passé entre nous, je vous le jure ! se défendit-il en riant.

On devait se parler quand vous passiez devant la maison pour aller chez ta tante, proposa ma mère. Ton grand-père, il s’arrêtait toujours !

L’armurier confirma. Merci, Maman, de lui avoir ouvert une porte de sortie. La maison dont parlait ma mère avait été vendue au tout début des années 90, et elle ne s’y rendait alors que fort peu depuis une dizaine d’années. Il était clair que l’armurier ne pouvait avoir connu le temps auquel ma mère faisait allusion, mais soit.

Responsabilités

Je vais chercher les fusils, proposa mon mari.

Si ça n’avait été que moi, je les aurais jetés dans le Lot, dit mon indécrottable mère.

Je n’eus que le temps d’apercevoir la moue d’assentiment de notre interlocuteur, j’étais lancée. Ah non, maman ! Tu ne crois pas que la rivière est assez polluée comme ça ?

Vous avez une fille écolo, madame. Il est vrai que les poissons, ils ont la trouille quand ils voient arriver à eux un fusil.

Je faillis répliquer que la question c’était les résidus de poudre, que si tout le monde se débarrassait des trucs encombrants de cette façon… et puis j’ai renoncé. Vanter l’écologie dans un magasin d’armes, c’était parler maraîchage dans un désert. Il m’aurait fallu du temps… et de l’énergie.

Pendant ce temps, les carabines avaient été déposées sur le comptoir.

Oh là, cette arme-là est désormais interdite ! dit l’armurier en mettant de côté le 22 long Rifle.

Tu vois que tu ne pouvais pas la donner, dis-je en me tournant vers ma mère, profitant lâchement d’une situation qui, enfin, tournait à mon avantage.

Et en m’adressant à l’armurier : Mais elle a été déclarée !

Et, sûre de moi, je dégainais le certificat plié en quatre.

C’est un bon point ! répondit-il. Et il ajouta à l’attention de ma mère, comme pour se racheter à mon égard : Vous pouvez planquer une arme, l’enterrer, si quelqu’un sait que vous en possédez une, la trouve et s’en serve, même s’il ne blesse que lui-même, c’est vous qui êtes responsable.

Ma mère acquiesça, la coquine. Bien sûr !

Il examina les trois autres pétoires.

— Elles n’ont pas servi depuis longtemps, commenta-t-il.

— C’est certain, approuvais-je.

— La plus récente doit dater des années 80.

— Impossible, mon grand-père ne chassait plus depuis longtemps dans ces années-là.

— Ma fille a raison, intervint ma mère, elle est plus ancienne.

— Pourtant, c’est bien un modèle relativement récent, insista-t-il.

Je me retins encore une fois de lui dire que décidément la notion de temps lui échappait quelque peu. Mais à quoi bon, n’étant peut-être même pas né à cette époque, qu’y connaissait-il des fusils d’alors ?

Passe d’armes

— Alors qu’est-ce qu’on en fait de ces trucs-là ?

— Le marché de la chasse n’est pas en forme, ça ne vaut pas le coup de retaper ce type de vieilleries.

— Il n’y aurait pas des personnes intéressées pour des reconstitutions historiques, des collections, je sais pas moi…

— Je ne sais pas moi non plus.

Son ton décidément fleurtait avec la moquerie. Je commençais à regretter de ne pas lui avoir jeté à la tête quelques secondes plus tôt ma satisfaction à voir le marché de la chasse se casser la gueule, quand il poursuivit, comme pour se faire pardonner son audace :

— Ce modèle est joli.

Il lissait du doigt le métal argenté, plaisamment vieilli, de la crosse.

— Si vous avez envie de l’accrocher en déco, gardez-le ! Vous avez un espace vide là-haut, dis-je en désignant le haut de la porte.

— Le neutraliser, tout ça, c’est trop de boulot, répondit-il sans paraître s’offusquer de ma morgue.

Je me sentais de plus en plus mal à l’aise entre ces murs hostiles comme s’ils étaient partie prenante de notre passe d’armes invisibles.

— En conclusion, on se rend à la gendarmerie et on leur file tout.

— C’est le plus économique, parce que si c’est moi qui les détruis, je serai contraint de vous en facturer les frais, dit-il avec un sourire désolé qui aurait pu m’amadouer s’il n’avait ajouté l’inentendable. La neutralisation ça peut néanmoins valoir le coup pour cette arme qui est mignonne. On coupe le canon et ça fait un joli jouet à offrir à un môme. Plus durable que du plastique made in China.

J’allais répliquer un truc du style Même pas dans mon pire cauchemar, quand il ajouta ingénument : C’est ce que j’ai fait pour mes fils.

En finir

Je mis deux secondes à me ressaisir. Jetais un œil vers mon mari qui semblait avoir ressenti l’uppercut lui-aussi, puis vers ma mère. Aucun effet collatéral sur elle qui avait vraisemblablement lâché l’affaire depuis un moment.

— On part à la gendarmerie, tranchai-je les dents serrées. Chéri, tu reprends tout ce petit bazar, s’il te plaît ? Maman, on s’en va.

— Transmettez le bonjour à votre père, dit cette dernière en se levant.

— Il passe souvent à la boutique, il était là encore il y a une heure. Si vous revenez, vous le verrez peut-être.

Risque pas de nous revoir, maugréai-je en refermant soigneusement la porte derrière nous. Pendant que Chéri remettait les pétoires dans le coffre, Maman se réinstallait dans la voiture.

— J’en reviens pas qu’il m’ait reconnue, dit-elle.

— Je crois qu’il bluffe, tu sais. Il n’aurait pu te croiser que bébé.

— Il se souvient de notre maison, il a dit où elle était.

— C’est toi qui lui as indiqué où tu habitais.

Ses traits s’étaient détendus, une lueur de contentement éclairait ses yeux.

En tout cas, c’est bien un Delmas, aussi charmant que son grand-père !

 

La suite à venir : A la gendarmerie.

photo : armes-ufa.com

Jolies reprises

Réparer en soulignant ses blessures plutôt qu’en les masquant, j’aime cette idée, ces actes de résilience.

C’est le principe du Kintsugi, cet art japonais millénaire, qui consiste à réparer une faïence ébréchée par un ajout d’or. Je n’ai pas encore testé mais ça me titille.

C’est aussi celui du raccommodage créatif avec des reprises apparentes. Ca fait bien longtemps que mes vêtements préférés n’y échappent pas !

C’est encore le cas du tatouage qui joue avec les cicatrices. Il pourrait bien me tenter celui-là aussi, parce que, des cicatrices, je n’en manque pas. Mais ce sera pour plus tard… ou jamais.

Dans cet esprit, je viens de découvrir les reprises de trottoirs en mosaïque d’Ememem. Mais comment ai-je pu échapper à cette information jusque-là, moi qui adore les mosaïques ? J’ai eu envie il y a quelques années de me lancer dans une mosaïque en miroir pour « réparer » un parquet abimé. J’ai renoncé et c’est bien dommage. Ememem a osé et avec quel talent ! De petits rayons de soleil dans la grisaille du béton. C’est sublime, poétique et coloré, j’adore !

J’espère bien en voir une pour de vrai un jour dans une rue de la capitale, ou ailleurs.

Connaissez-vous d’autres façons de réparer artistiquement sans cacher ? Je suis impatiente et curieuse de les connaître (en commentaire s’il vous plait !).

Photos empruntées (sans permission, ce n’est pas bien, alors je vous joins les liens) aux sites d’esprit kintsugi, des éditions Saxe, de Itek et d’Ememem.

Le peintre et les abeilles

Ce pourrait être le titre d’une nouvelle, c’est celui d’une rencontre : Stéphane Illand et la peinture à la cire d’abeille.

Stéphane peint avec talent la nature, les animaux comme les végétaux. je suis son travail depuis quelques années déjà et il m’a fait le bonheur, en 2018 je crois, d’exposer quelques toiles dans les locaux de l’asso que je dirigeais pour le ravissement de nos visiteurs.

Passant d’un champ large à un détail infime, il écrit la nature avec son pinceau, nous montre comme elle est chatoyante et surprenante.

Récemment, il s’est converti à la peinture à la cire d’abeille, délaissant l’acrylique. Une façon pour lui d’aller plus loin dans son engagement de naturaliste.

Le chemin est ardu, la cire d’abeille pigmentée difficile à trouver, la technique à maîtriser, explique-t-il, mais le résultat est bluffant. J’ai eu plaisir à l’apprécier de près lors de sa première expo à Paris dans une galerie du côté de Raspail. Gageons que d’autres suivront très vite et que la cote de l’artiste va grimper !

Pour boucler la boucle, comme on dit, je te suggère, Stéphane, de peindre une aile d’abeille avec le sens du détail et de la couleur qui te caractérise. Pour une prochaine expo ?

Site de Stéphane Illand, artiste-peintre

 

Karitas

Dès le premier moment de libre, je me suis ruée vers ma librairie pour acheter le second tome. Il y avait urgence à découvrir la suite de Karitas de Kristin Marja BALDURSDOTTIR, une fresque sociale, historique et sociale en 2 volumes. Vous l’avez compris, j’ai adoré le premier !

Intitulé « L’esquisse d’un rêve », il nous retrace le parcours de Karitas, une jeune islandaise, qui va réaliser son rêve, celui de devenir artiste peintre. Un parcours semé d’embûches en ce tout début de XXe siècle dans une famille pauvre. Orpheline de père, elle doit comme ses frères et sœurs lutter pour survivre et même gagner assez d’argent pour que chacun dans la fratrie puisse accéder à des études et réaliser ainsi le rêve de leur mère.

Leur mère est une battante. C’est elle qui les entraine, contre vents et marées, à quitter leur village natal, tous ensemble, pour rejoindre une ville où ils peuvent plus facilement trouver un travail. Ils s’échinent en cœur mais chacun accèdera à des études au fil du temps et des opportunités.

Karitas étudiera le dessin à Copenhague, loin de chez elle, mais elle doit lutter pour en faire un métier dans cette société rurale, conformiste et laborieuse.

Un récit humaniste qui nous emporte de ville en ville, de pays en pays, à la rencontre de femmes déterminées, épatantes, d’hommes aussi. Chacun y cherche son chemin avec ses envies, ses convictions, ses renoncements et ses propres ressorts. Des thèmes que j’affectionne.

Merci à mon amie Mapie d’avoir glissé cet ouvrage dans ma Pal cet été.

Max et Johnny, le travail (3)

Découvrez la dernière partie de ce récit inédit.

Cliquez ici pour retrouver les deux parties précédentes : Partie 1Partie 2

Max et Johnny, le travail

Dora habite une petite maison entourée d’un jardinet. Son Berger australien y faisait le fou-fou. Comme mon Border Collie, il avait besoin d’activité. Ces chiens-là ne devraient pas vivre en appartement, ils ont trop d’énergie à dépenser. Elle s’y connait en chiens, elle m’explique plein de choses chaque fois que je vais la voir.

La forêt

Presque tous les jours en milieu d’après-midi, nous allons sonner chez elle, Johnny et moi. Enfin, c’est moi qui sonne, parce que Johnny, lui, aussitôt arrivé, il pose son arrière-train sur la pierre de seuil et il aboie. Deux appels courts et secs. Presque autoritaires. Elle ne s’en formalise pas, bien au contraire, souvent elle ouvre la porte avant même que j’aie eu le temps de la prévenir. Elle dit J’arrive, enfile des chaussures, prend son sac et nous partons tous les trois vers la forêt. Je n’y allais pas bien souvent avant de la rencontrer, mais C’est important, elle me dit, que les chiens, surtout les chiens chasseurs comme les Borders Collie et les Bergers, aient de l’espace pour courir tout leur saoul.

Il est vrai que ces sorties lui plaisent à Johnny ! Quand l’heure arrive, je le sens trépigner. Enfin, c’est tout comme. Quelque chose de plus s’agite en lui, le charbon de ses yeux dégouline comme un cornet de glace en plein été. Mais c’est moi qui fonds. Il sait y faire mon corniaud ! Alors on part vers la forêt et presque toujours on s’arrête chez Dora en passant.

Là-bas c’est le royaume de Johnny. Un vrai Diable à courir après les oiseaux, les feuilles, une mouche, tout ce qui bouge en fait. Les autres promeneurs s’en amusent, qu’ils aient eux-mêmes un chien ou pas, parce que des 100 000 volts canins de la sorte, il ne doit pas y en avoir beaucoup sur la planète !  Dans notre forêt en tout cas, c’est le seul.

Les chiens

Les autres chiens suivent tranquillement leurs maitres ou s’empressent d’aller chercher le bâton qu’ils lancent. Certains viennent nous renifler, Dora et moi. Labrador, Bulldog, Caniche, Husky, Golden Retriever, Dalmatien, Boxer, Rotweiler, Lévrier… elle les connait tous, à croire qu’elle a l’Encyclopédie canine gravée dans son cerveau. Moi, j’apprends à les différencier peu à peu, et finalement ce n’est pas si difficile.

Je m’amuse avec les chiens quand leurs maîtres viennent nous parler. Ils aiment bien, les maîtres, qu’on s’intéresse à leurs clébards. Tu sais y faire, me dit Dora, avec les chiens.

La chute

Un jour, une gamine haute comme trois pommes et jolie comme un cœur a chuté contre une souche d’arbre en courant après son bichon tout aussi haut et joli qu’elle. Elle hurlait la pauvre. Le père accourut aussitôt et on le vit pâlir en découvrant que le coude de sa fille avait pris un air bizarre. Il regarda largement autour de lui comme s’il allait tomber sur un poste de secours. À l’évidence, il n’y avait que Dora et moi et quelques autres promeneurs. Il prit dans ses bras sa fille qui continuait à hurler de plus belle et il se hâta vers la sortie du bois. Puis il s’arrêta, se souvenant qu’ils avaient un chien. Et on le vit hésiter. C’est là que je suis intervenu. Je vais m’occuper de votre bichon, je lui ai dit. Comment il s’appelle ? Chouchou, il m’a répondu. Vous nous trouverez Rue du pont, demandez Max et Johnny. Tout le monde nous connait. J’ai crié en articulant soigneusement chaque mot pour qu’il note bien dans sa tête ces informations malgré les aigus qui nous vrillaient la caboche.

Chouchou

Le père est parti avec sa gamine dans les bras. Hésitant entre inquiétudes pour sa fille et inquiétudes pour son chien. Il n’aurait jamais dû confier Chouchou à des inconnus mais une pitchoune, la sienne !, qui hurle de douleur, ça vous retourne les sens.

Avec Dora, on s’est approchés de Chouchou et on lui a intimé de rester avec nous. Il ne savait pas vraiment lui non plus à quel saint se vouer, le pauvre petit chien. Mais on a su le rassurer et il a regardé sa jeune maitresse s’éloigner sans témoigner trop d’agitation. Les hurlements l’avaient quelque peu tétanisé, il faut dire.

Nous avons continué notre promenade dans la forêt. Johnny, le fougueux, tournicotait autour de l’apeuré Chouchou, comme un chaton autour d’un scarabée. À deux doigts de lui filer un coup de patte pour le mettre dans son rythme. J’ai regardé mon chien et je l’ai grondé : Laisse-le tranquille ! C’est un bébé perdu. Il s’est approché du bichon et lui a touché la truffe avec sa sienne, comme s’il lui faisait un bisou. Je l’ai félicité d’une caresse.

Les retrouvailles

On est rentrés chez nous tranquillement après avoir accompagné Dora jusqu’à chez elle. J’espère que Chouchou va retrouver rapidement ses maitres, elle a dit. Je vais surveiller la rue, j’ai répondu. C’est ce que j’ai fait après avoir nourri les deux corniauds.

En fin d’après-midi, Johnny montra des signes d’impatience comme à son habitude. Le bichon, lui, ne bougeait pas beaucoup, semblant toujours aussi intimidé. On descend, j’ai dit, t’es d’accord Chouchou ? Peut-être que ça fera venir ton maître. Il a levé sa jolie petite tête vers moi, j’ignore ce qu’il m’a répondu mais j’ai compris qu’il n’était pas opposé à cette perspective. Quand j’ai ouvert la porte, mon rockeur a dévalé les escaliers, suivi non sans mal par Chouchou. Et vous me croirez si vous voulez, en mettant tout juste le pied sur le trottoir à la suite des deux chiens qui vois-je arriver au bout de la rue ? Le sweat rouge tenant une petite silhouette par la main ! Chouchou aboya. Il les avait aperçus lui aussi. La gamine courut vers lui malgré les suppliques de son père.  Chouchou ! Chouchou ! elle criait. Ton plâtre, ne tombe pas ! il répliquait.

La récompense

Pendant que la gamine cajolait maladroitement son chien, d’une seule main, le père vint me remercier. En sortant de la clinique, il avait acheté un sac de croquettes de luxe dans la boutique pour toutous de riches. Johnny allait être content.

Lily-Lou, c’est ainsi que s’appelle la môme, sa mère et lui habitent tout près de la rue du pont. Bizarre qu’on ne se soit pas déjà rencontrés, dit-il.  On s’est peut-être croisés, j’ai répondu, mais on ne s’est pas vus. Maintenant on se verra. Il m’expliqua aussi qu’ils travaillaient beaucoup sa femme et lui et qu’ils n’avaient pas toujours le temps de sortir leur chien avant de quitter la maison, qu’il aimerait bien me confier Chouchou pour que je le promène parce qu’il a bien vu qu’il se plaisait avec Johnny et moi. Réfléchissez-y, on vous paiera pour ça bien sûr ! conclut-il en me remettant une carte de visite.

Paul Dubreuil – Avocat associé – Droit des affaires

Appelez-moi si vous acceptez ! dit-il en me serrant la main. Je vais réfléchir, j’ai répondu par principe. Au revoir monsieur, merci beaucoup d’avoir gardé Chouchou, me dit Lily-Lou de sa voix redevenue toute petite et douce.

En remontant chez nous, j’ai demandé à Johnny s’il voulait bien à l’avenir se promener avec Chouchou de temps en temps. Il n’a pas grogné, j’ai pris ça pour un oui. J’ai posé la carte de visite de monsieur Dubreuil sur la commode de la chambre, là où je dépose mes objets précieux, et j’ai attendu deux jours pour l’appeler.

Promener Chouchou

Désormais nous allons chercher le bichon chez lui tous les matins et nous nous promenons pendant que la famille Dubreuil se prépare pour sa journée de travail. Et quand ils sont absents, ils nous laissent la clé de la porte sous un rebord de jardinière. Ils ont confiance, ils disent, et ça c’est génial. Aussi inattendu que nouveau, comme le fait d’avoir un salaire. Petit, mais un salaire de travail.

Pour Johnny aussi, c’est nouveau d’avoir un copain. Il est un peu moins fou-fou depuis.

Un travail

Ce qui est génial de chez génial, c’est que de fil en aiguille, d’autres propriétaires de chiens du quartier sont venus me voir. Vous promenez le chien de monsieur Dubreuil, accepteriez-vous de promener le mien en même temps ?

Tous les matins, Johnny et moi nous faisons notre tournée de chiens, comme Pierrot avec ses lettres. Nous passons chercher Bianca, Polka, Laïka, Chouchou et Poly. Deux dalmatiens, un boxer, un berger, un bichon et un border Collie, ça fait une jolie troupe ! Et nous nous dirigeons vers la forêt pour une grosse heure de gambades, Johnny en tête. Mon rockeur est devenu mâle Alpha, il a pris du plomb dans la cervelle. Ça ne l’empêche pas de refaire le fou-fou chez Dora l’après-midi.

C’est notre nouveau rituel. Une longue promenade en forêt le matin avec les chiens de la tournée, une visite chez Dora l’après-midi et, en fin de journée, une sortie dans notre rue pour papoter avec les uns et les autres. On voit beaucoup moins les enfants à la sortie de l’école, seuls ceux qui restent à la garderie, et presque plus Pierrot. C’est ça quand on travaille, qu’on ne traine plus dans la rue.

Salarié

Parce que désormais j’ai un travail. Je suis aide à la personne salarié. Promener Chouchou et les autres chiens, c’est décharger monsieur Dubreuil et les autres maîtres. Ils me paient pour ça. Chaque mois je reçois cinq bulletins de salaire, avec un petit montant, mais additionnés c’est pas mal !

Je ne roule toujours pas sur l’or, mais nous vivons maintenant de notre travail, Johnny et moi. Savoir promener des chiens, ce n’est pas donné à tout le monde. Nous sommes utiles. Et respectés.

Et Dora est la meilleure des amies.

Tout ça, je l’ai obtenu grâce à Johnny, entré dans ma vie un jour d’hiver parce que probablement on s’attendait. Et on s’est trouvés.

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Image : Pixabay