Vingt heures moins deux ou trois minutes, des silhouettes s’infiltrent sur la scène, dans le noir, rejoignent leur instrument. A vingt heures moins une retentit la première note alors que des spectateurs cherchent encore leur place. Un chemin lumineux d’ampoules faiblardes s’est allumé en arrière-scène et une demi-douzaine de projecteurs souffreteux dirigent leurs faisceaux vers les spectateurs.
Promesses, galères et intimité
L’introduction musicale est longue, prometteuse. Bob Dylan enchaine sur un titre de son dernier album. Sa voix est bien là, enveloppante. Le volume sonore parfaitement réglé, les musiciens au top. Rien de plus ne s’allume, rien d’autre ne bouge. La légende enchaine les morceaux, sans respiration entre eux, comme sur son album.
Les placeuses galèrent avec les retardataires, équipées d’une microscopique lampe de poche. De poche à ticket. Pourvu que la prod ait contracté une bonne assurance en responsabilité accident. Une chute dans l’escalier et paf ! fracture du col du fémur. Ni éclairage complémentaire ni appel possible aux secours, nos téléphones ont été mis à l’isolement dans une pochette sécurisée qui doit ressembler à celle dont les collégiens sont maintenant équipés. Sauf que nous sommes venus, nous, de notre plein gré et après avoir payé, cher. C’était bien spécifié en amont du contrôle des billets : l’artiste privilégie la proximité avec les spectateurs et a souhaité un concert intimiste. Pas de téléphone. Comme si l’absence de téléphone en poche pouvait faire tomber sous le charme de n’importe qui. Ça se saurait. Et puis un concert intime à près de 4000, c’est comme des funérailles dans l’intimité familiale avec un millier de curieux infiltrés, ça manque un peu de… intimité, enfin vous voyez ce que je veux dire. Mais bon, l’artiste a toujours raison.
Obscurité troublante
La lumière est celle de cierges en salle close, pauvre et figée. Une mise en scène statique conçue par un thanatopracteur à coup sûr. Même un concert à la bougie est plus éclairé. Impossible pour les spectateurs de discerner le moindre visage dans cette pénombre, les rétines dardées par les points lumineux des projos. On devine, devine seulement, que la silhouette qui se meut lentement derrière le piano est celle du Maître.
Des acclamations s’élèvent entre les titres, laissant de marbre Bob qui poursuit son taf calé à la pince à épiler. Il enchaine avec l’objectif de vite rentrer à son hôtel, une camomille et au lit !
Une poignée d’afficionados s’emballent par moment. Quelques cris, des encouragements qui ne parviennent pas à réveiller l’assistance. Peu de vrais jeunes dans la salle, Bob sent la naphtaline. Je parierais ma plus jolie paire de pantoufles que certains dorment, leurs ronflements masqués par les décibels savamment contrôlés. De toute façon, l’artiste s’en moque, des fans, des ronfleurs, et de ceux qui quittent la salle précocement. Priorité camomille.
Allées et venues
Je suis toujours stupéfiée par ces personnes qui quittent les spectacles au bout de quelques minutes. Caprice de riches, ou de privilégiés du moins. Des places à cent balles quand même. A ce prix, on use un peu le siège, il me semble.
Certains ont choisi d’user les toilettes. Jamais vu autant d’allées et venues vers le spot au petit bonhomme vert. Et ce ne doit pas être dû à un trop plein de bière. Alors peut-être un souci de prostate ou l’impériosité de rentabiliser sa place en utilisant eau et papier toilette. Ce sera cela de moins à consommer à la maison.
Et fin sur notre faim
Les guitare, basse, contrebasse, piano, harmonica… (je ne suis même pas certaine d’avoir bien repéré tous les instruments) se taisent, une silhouette se lève, contourne péniblement le piano, aussi courbée et lente que si elle tirait un pachyderme récalcitrant. La lumière du fond de la salle se rallume. Ben voilà, The End.
Pas de révérence, la faute à l’arthrose.
Pas de présentation des musiciens, ils ne le méritent pas.
Une scène toujours dans la pénombre, afin de cacher ce qu’on ne veut pas montrer.
Pas de « au revoir, merci » à l’assistance, dans la foulée du pas de « bonjour ». Aucun mot non chanté, la star n’est pas là pour ça.
Pas de rappel, personne ne s’y risque.
La prochaine fois, on restera à domicile, on mettra nos téléphones en mode avion, on éteindra la lumière avant de s’installer sur le canapé et de lancer l’album. Et on s’y croira pour pas un rond.
Est-ce que Bob Dylan a pris des rides ? Impossible de le dire. Des ans, assurément. Toujours aussi imprévisible ? Ah oui ! Est-ce que c’était le vrai au moins sur scène et pas un hologramme ? Probablement, sinon, il l’aurait conçu un peu plus… alerte, non ? Est-ce que c’est bien lui qu’on a entendu chanter et pas un enregistrement ? Mystère.
Dans la rame du métro, en rentrant chez nous, entourés de jeunes déguisés, j’ai une révélation. Nous sommes le 31 octobre ! Mais bien sûr, c’était une soirée Halloween. Bougies, ombres et fantômes !
Il faut le lire, la fin est tout a fait inattendue !
Il faut le lire, la fin est tout a fait inattendue !
Merci Matie-claire pour ce retour !