UN RECIT COURT qui suit Le jardin abandonné
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La maison a été vendue. Il lui faut se dénuder avant de revêtir ses nouveaux atours. Les acquéreurs ont leur propre histoire à écrire. Et déjà des pages et des pages de souvenirs qu’ils vont apporter avec eux et déposer dans ce nouveau lieu.
Déshabillez-moi
La maison est coquette, se déshabille avec lenteur comme une stripteaseuse. Ah ça, elle en a des effets ! En plus de cinquante ans, elle a accumulé des jupons, des brassières, des bijoux en quantité , des accessoires à foison. Conservatrice par nature, elle a tout gardé, ou presque, de ses jeunes années aux plus récentes.
Mouvements de bras et déhanchements ne sont plus pour elle, c’est avec des sourires engageants et des éclats bienveillants dans les yeux qu’elle accorde un fauteuil à Charles, un tapis à Béatrice, un service de vaisselle à Pétra.
Mais pas trop vite
Elle résiste un peu aussi. Chaque meuble retiré laisse des traces comme des sparadraps arrachés.
Se montre facétieuse, dévoilant une photo coincée derrière une étagère, une inscription au dos d’un tableau. La coquine gardait certains menus secrets.
Quelques tours de scène et elle est nue dans son manteau de verdure bruissant et gazouillant. Ah ce jardin ! Avec lui, elle n’est ni seule ni vraiment dévêtue. Les chats et les écureuils veillent sur elle ; les chants des oiseaux et les ramures d’été, chargées à bloc de feuilles et de bourgeons, l’habillent d’un voile de pudeur. Ainsi parée, elle n’a pas froid, même la nuit.
Pour la prochaine danse
C’est une vieille dame couverte de rides, de cicatrices, de tâches. Elle ne serait pas belle à voir en tenue d’Eve sans le jardin qui fait d’elle une reine en toute circonstance. Et bientôt elle dansera dans ses nouveaux habits, et peu importe qu’elle souffre d’un peu d’arthrose.
On laisse un peu de soi
« Comment allez-vous faire, mes filles, pour vider cette grande maison ? »
« On y est arrivés, Maman, on a vidé la maison, emmagasiné des tas de souvenirs, confié des fragments de ta mémoire et de celle de Papa à vos proches et laissé un peu de notre âme à tous entre les pierres. Cette maison est prête pour une autre histoire, maman, tu n’avais pas à t’inquiéter, on te l’avait dit. »
Ainsi passent le temps, la mémoire et les Hommes.