Derrière son étal coloré, la vendeuse enlève une mitaine pour mieux saisir les carottes, les pèse et resserre son écharpe autour de son cou juste après m’avoir tendu le sachet brun bedonnant.
« Il fait pas chaud ce matin, hein ! » commenté-je, glacée moi aussi par le vent froid qui bat le marché en cette matinée dominicale de février. La température clémente de la veille nous a fait croire à l’arrivée du printemps et voilà que l’hiver réagit, trop fier pour se laisser si facilement supplanter par son fougueux cousin. « Je suis gelée » avoue-t-elle.
Son patron s’avance vers elle, un quinqua bien conservé (le régime 5 fruits et légumes par jour fonctionnerait donc vraiment ?), dos droit et torse bombé, col ouvert et mains nues. « Vous n’avez pas froid, vous ? » lui demandé-je tout en triant difficilement du bout de mes doigts gantés les bonnes pièces dans mon porte-monnaie.
– Non, je n’ai pas froid ! me répond-il avec une assurance un peu brutale.
– Il n’a jamais froid, précise la vendeuse en empochant mon argent.
– C’est vrai, je n’ai jamais froid, affirme t-il à son attention plus qu’à la mienne.
– Vous avez un secret ? plaisanté-je.
Je m’attends à une réponse passe-partout qui sonnera la fin de notre échange, mais l’homme se penche vers moi et me dit en baissant la voix : « Viens, je t’explique. » Et il m’entraîne à l’autre bout de l’étal, loin de la vendeuse et des autres chalands.
Pendant que nous parcourons ces quelques mètres, je me demande quel peut bien être le secret de cet homme. Est-il atteint d’une maladie hormonale rare ? Pratique-t-il l’hypnose ? Porte-t-il un Damart 3.0 ? Et quand il s’arrête devant les choux-fleurs, j’ai le cou tendu, le palpitant sur « pause » et l’oreille grande ouverte prête à capturer la réponse.
« Je t’explique : bien sûr que j’ai froid moi aussi, mais je ne l’avoue jamais. » Je le regarde avec des yeux aussi inexpressifs que ceux d’une tortue. « Ben oui, sinon ils auront tous encore plus froid. Tu comprends ? »