Gribouillis

Vous gribouillez, vous aussi ? Moi, souvent, surtout en réunion. Autrefois en classe. Une habitude impossible à maîtriser, le stylo appelle ma main, c’est ainsi. D’ailleurs je ne cherche plus à m’en défendre. Voyez un peu mon cahier de notes professionnelles, une page sur deux au moins a son gribouillage !

Mais il parait que ce n’est pas si grave que ça. Ouf ! Le gribouillage aurait même ses vertus. Il doit y avoir des tas de trucs écrits sur le sujet, mais ce vieil article en dit assez pour rassurer : bienfaits du gribouillage.

Il y a peu, mes gribouillages m’ont inspiré des toiles.

Prudence ! Pour épargner mes murs, mieux vaut que j’aie toujours un stock de papier à portée…

 

Le zébrours

– Dis maman, ça mange quoi les zébrours ?

– Des herbes, des branches… Les zébrours sont végétariens. Mais sais-tu que ça n’a pas toujours été ainsi, que les zébrours étaient des ours polaires il y a longtemps ?

– Des ours polaires ?

– Il y a un siècle, peut-être plus, des ours entièrement blancs vivaient en Arctique quand les pôles étaient encore formés de glace. Ils se nourrissaient de poissons qu’ils pêchaient, de petits mammifères marins et d’oiseaux trouvés sur la banquise. Et puis quand il y a eu le Grand changement climatique, que toute la glace a fondu, les ours se sont retrouvés sur la toundra.  La plupart sont morts tout bonnement, ils n’avaient plus de quoi se nourrir correctement et leur pelage épais leur tenait beaucoup trop chaud. Mais les espèces ont des capacités d’adaptation extraordinaires. Quelques ours ont résisté et au fil des générations leur pelage s’est aminci et s’est mis à foncer pour mieux résister au soleil. Et ils ont enrichi leur nourriture par des végétaux, les oiseaux n’étant plus assez nombreux. Aujourd’hui, comme les zèbres, des animaux qui ressemblaient à des chevaux rayés et vivaient en Afrique jusqu’au siècle dernier, ils naissent noirs et peu à peu leur peau se pare de raies blanches, certainement un reste de leur ancienne fourrure, et ils ne mangent plus que des végétaux. Comme l’homme en fait. Lui aussi mangeait des animaux il y a longtemps.

– Berk !

– C’était comme ça avant. Allez zoup au lit,il est l’heure de dormir.  

 

 

 

 

Un ours origami aperçu dans la vitrine d’une boutique Emmaüs, un peu de peinture et le zébrours est né ! Il restait à lui trouver une histoire.

Shopping dans le Marais

Fiston a besoin d’une nouvelle tenue. Après une rude concertation, nous nous décidons pour une virée shopping dans le Marais, Petit chéri devrait y trouver son bonheur.

Fais ta liste de boutiques à visiter et rendez-vous à Hôtel de ville à 10h !

Devant la première boutique de la liste, déception. Elle n’ouvre qu’à 10h30. Nous reviendrons.

A bien y regarder, le quartier est encore en pyjama. Une boutique attire notre attention avec ses lumières et ses beaux costumes en vitrine.

Le vendeur nous demande ce que l’on souhaite. Nous répondons évasivement tout en passant d’étagère en étagère. Il n’y avait rien d’autre d’ouvert dans le quartier, c’est ça ? Je réponds d’un sourire pour saluer son humour matinal. Petit chéri essaie une veste. Vraiment trop guindé. Mais le vendeur déballe tout son argumentaire commercial sur la trame du lainage, l’entoilage, les finitions main, patin-couffin. Je suis la seule boutique ouverte, c’est ça ? réplique-t-il quand il décèle enfin notre ennui. Un peu gênés, nous regardons poliment les pulls avant de regagner la sortie soulagés. A très vite certainement ! lui disons-nous. Si vous ne trouvez rien d’autre, certainement, réplique-t-il.

Pendant ce temps, la première boutique a ouvert ses portes. Petit retour en arrière. Petit chéri essaie des chaussures. Trop grandes et la pointure en dessous n’est pas disponible. Vous ne pourriez pas les commander ou les faire venir d’un autre magasin ? tenté-je. La vendeuse m’explique que dans ce cas, il faut que je les règle immédiatement et que nous aurons cinq jours pour venir les chercher. Et si nous ne les récupérons pas à temps ou si elles ne conviennent pas ? demandè-je. C’est simple, il me faudra venir retirer un avoir dans le mois. Un avoir valable six mois. Pas un remboursement. Nous quittons bredouilles la boutique. C’est dommage dit Petit chéri, elles étaient vraiment jolies ces chaussures.

On va en trouver d’autres, le rassurè-je. Cap sur la deuxième boutique de la liste. Porte close. Nous cherchons du regard les horaires du magasin. Un minuscule panneau posé dans un angle de la vitrine indique une ouverture à 10h30. Je consulte ma montre : 10h50. Mais rien ne bouge derrière les vitrines qui pourrait nous promettre une ouverture imminente. Nous capitulons. C’est dommage, regrette Fiston. J’aime bien ce qu’ils proposent.

La troisième boutique repérée en amont se trouve à deux pas. Petit chéri essaie un costume. Pas mal, mais les manches sont un peu longues. Pas de problème, on peut les retoucher, répond la vendeuse. Mais je préfèrerai un modèle de veste plus court, réplique fiston. On peut raccourcir celle-ci, répond à nouveau la vendeuse. Vous n’auriez pas plutôt un autre modèle ? demandè-je surprise.  Non, on fait des retouches, insiste la vendeuse. Et si on veut un col plus étroit, vous retouchez aussi ? Et sans attendre la réponse, j’entraine fiston vers la sortie.

Après le commerçant qui te culpabilise d’entrer dans sa boutique, celle qui te vendrait n’importe quoi ! Je fulmine.

Chéri qui comprend que la virée shopping est en train de tourner court avise une boutique de chaussures de sport. Toi qui veux des Converses, viens ! dit-il. Le modèle que je convoite n’est pas disponible dans ma pointure. Loin de m’en proposer un autre, le vendeur s’est déjà tourné vers un autre client. Je le rappelle. Dans la gamme Junior, vous avez le même modèle. Vous l’auriez en 38 ? Il va le chercher, c’est parfait pour moi, je rejoins Fiston aux mains d’un autre vendeur. Alors ? Il me faut une demi pointure et ils ne l’ont pas. Plutôt, il me dit qu’il n’y a pas. Mais je sais très bien que Converse fait des demi pointures, peste Petit chéri. C’est tout, y’a pas ? confirmé-je.  Pas moyen d’en savoir plus, je les commanderai sur Internet, dit mon fils désappointé. Je règle mes chaussures et nous quittons la boutique. Pas très commerçants, soupirons-nous.

Une dernière boutique ? proposé-je en avisant un chausseur pour hommes pour tenter de relancer un entrain bien émoussé. Nous regardons quelques modèles pendant que le vendeur encaisse un client. Fiston ne se montre pas particulièrement emballé par les chaussures en rayon mais je tente de négocier – des mocassins peut-être ? – en jetant un oeil vers le vendeur qui, après avoir raccompagné son client jusqu’à la porte, a regagné sa place derrière le comptoir. Il a décidé de ne pas s’occuper de nous ou quoi ? Petit chéri fait la moue. On y va, je lui dis. Et j’ajoute bien fort : Au revoir, monsieur, rien ne nous convient. Le jeune homme relève la tête. Ah, d’accord, au revoir ! Il n’a pas fait le moindre geste vers nous.

Dis moi, Chéri, c’est la journée de la non-vente aujourd’hui ou quoi, j’ai manqué quelque chose aux infos ? Cet endroit est une super école de vente : un condensé d’anti-vente, ils doivent halluciner les touristes américains et leur Customer first.

Mam, t’as le temps de déjeuner ? Je connais un chouette resto à deux pas.

La carte était parfaite, les restaurateurs charmants. Nous avons partagé un sympathique moment, Fiston et moi, avant de reprendre le métro, les bras légers. Une bonne matinée finalement.

Images par Stocksnap et Pexels de Pixabay

Ce qui nous sépare

Entre nous, tout va bien, rassurez-vous ! Ce qui nous sépare est le titre d’un roman d’Anne Collongues, offert par mon amie Nicole qui a le don de dénicher des pépites, et qui rappelle Au prochain arrêt de Hiro Arikawa, le livre qu’elle m’a précédemment fait découvrir et dont je vous ai déjà parlé.

Dans Ce qui nous sépare, on n’est pas au Japon dans un train, on est en France dans un RER. Il ne s’agit pas de rencontres mais d’introspection. Le lecteur passe de personnages en personnages, les découvre au fil des rencontres. Les destins ne se croisent pas mais les fêlures, en se dévoilant, font de ces personnages aussi différents des mêmes êtres cabossés et attachants.  Encore un beau texte humaniste comme je les aime dans un style où les émotions dominent. 

Et parce que j’aime partager les beaux textes, plutôt que de vous dévoiler un personnage, c’est la description de cet instant violent où deux trains se croisent, qui ne l’a pas vécu ?, que je vous propose.

Le lecteur

J’adore imaginer des compositions à partir de matériaux récupérés, vous le savez, j’en ai déjà parléUn bout de ferraille ou de bois et mon imagination s’emballe. Mon génome compte peut-être le chromosome 23 en triple.

Cette fois-ci, point de ressorts, c’est un mannequin pour peintre qui est arrivé jusqu’à moi. Quelques bouts de planche, de la colle et de la peinture et j’en ai fait Le lecteur, cette statuette qui peut se glisser dans une bibliothèque. Et que j’ai offert à mon fils parce qu’il lui ressemble, ce lecteur avide de connaissances, et qu’il n’y a rien de plus précieux pour moi que les cadeaux uniques, ceux que l’on ne peut acheter.

Les paroles s’envolent

« Les paroles s’envolent, les écrits restent, dit le proverbe, je n’y crois pas ! Les paroles sont assassines, trompeuses ou excessives alors que les écrits sont réfléchis, sincères et précis.
Les paroles ne s’envolent pas ; elles s’incrustent.
Les écrits ne restent pas, ils caressent. »

En lisant ces lignes attribuées à Bruno Combes dans Ce que je n’oserai jamais te dire, je pense à mon premier roman, Point à la ligne, dont le fil rouge réside dans les écrits. Des écrits dans lesquels des femmes en proie à des doutes trouvent la force d’avancer, de dépasser leurs hésitations.

« Les paroles s’envolent, les écrits restent » ai-je fait dire à la mère de l’une des héroïnes qui vouait un véritable culte à la lecture. Tel un mantra.

La force des écrits est assurément plus puissante que celle des paroles. Les écrits assassins ont des lames en acier trempé. Les écrits caresses sont infeutrables. Mais que penser des écrits jetés à la vite dans un mail, un post ou sur un bout de papier ? Ceux-là très certainement échappent à la règle.

Image par Gerd Altmann et Talpa de Pixabay

Le transporteur et la vieille dame

Ça y est, j’ai la date de mon déménagement !

Mon neveu Thomas est ravi. Un logement plus vaste, avec un jardin, l’attend. Projets d’aménagement, de décoration… en perspective. Et échéance pour moi qui lui ai promis une table pour contribuer à son emménagement.

Projet de livraison

Il me faut dare-dare trouver le moyen de transporter ledit meuble de la région parisienne jusque dans le sud-ouest, à moindre coût puisqu’il s’agit d’une table que j’adore, de famille certes, mais qui ne vaut plus grand-chose sur le marché des antiquités.

Allo, Mam, je vais certainement te faire livrer une table pour Thomas. Il l’embarquera chez lui avec tous les autres meubles que tu lui donnes. Tu es beaucoup plus disponible que lui pour réceptionner la table. Ça va être trop compliqué pour moi, sinon, de trouver un transporteur avec le bon créneau horaire, pour lui comme pour moi…

Bien sûr ma chérie. Thomas a commandé un camion de déménagement le 12 pour emporter d’ici le lit, les chaises et la commode. Il faudrait que la table arrive entretemps. Sinon, pas de problème, bien sûr que je peux m’en occuper.

Mère se montre toujours coopérative. Après quelques clics sur le clavier pour déposer une annonce sur un site de transport entre particuliers, tel un pêcheur à l’affut, j’attends ma prise. J’ai deux semaines devant moi. Large.

Pêche en cours

Le premier poisson se dit prêt à enlever la table à ma convenance mais ne peut pas m’assurer une livraison avant le 15. Si jamais je descends plus tôt, je vous préviens ! ajoute-t-il.

Le poisson suivant est une poissonne. Elle fait le trajet nord-sud demain justement. Je passe chez vous de bonne heure et je serai à Souillac en début d’après-midi, propose-t-elle. Cela me semble parfait jusqu’à ce qu’un doute surgisse dans ma petite tête.  Heu… Vous pensez être capable de descendre la table de la fourgonnette ? Seule je veux dire. La table pèse quelque trente kilos et ma mère est âgée, elle ne pourra pas vous aider.

Impossible pour la jeune femme, fragile du dos. Ce poisson remis à l’eau, il me reste à en attendre un autre.

J’en suis à espérer que le premier repointe ces écailles avec une date avancée quand un autre s’annonce.

Bonjour, je peux venir chercher votre colis en fin d’après-midi et le livrer demain matin à Souillac.

Bonjour, ce serait parfait. Pensez-vous être capable de décharger seul ?

Pas de problème ! répond M. Costaud qui s’appelle Patrick.

Course nocturne

De petit report en petit report, Patrick arrive chez moi à 22h largement dépassées. Il a préféré s’octroyer une large sieste avant de rouler toute la nuit.

À partir de quelle heure, puis-je passer chez votre mère ?

Je comprends qu’il pourrait y arriver dans la nuit mais qu’il va devoir attendre que Mère se lève.

Je le rassure. Lui dis que je vais prévenir ma mère pour qu’elle laisse le portail ouvert et qu’il pourra ainsi déposer la table devant la porte sans se soucier de l’heure. Cette perspective qui lui ôte toute contrainte horaire semble l’enchanter.

Dès les portes du fourgon refermées, j’appelle ma mère.

– Laisse bien le portail ouvert, dors sur tes deux oreilles et quand tu te lèveras, tu trouveras une table devant ta porte, bien emballée, comme si le père Noël était passé dans la nuit.

-J’ai tout compris, répond ma mère. Si je le vois, je lui offrirai du café.

-Tu ne le verras certainement pas, il va arriver dans la nuit. Dors, c’est tout ce que tu as à faire.

-D’accord. Je ne m’occupe de rien alors.

-C’est ça.

Quelques minutes après, mon téléphone vibre dans ma poche. C’est Patrick. Vous croyez vraiment que je peux débarquer comme ça en pleine nuit dans le jardin de votre mère ? À la campagne les gens surveillent. Les voisins ne vont pas me tirer dessus en voyant un noir descendre d’une camionnette ? demande-t-il inquiet.

Je le rassure, l’entrée de la maison est invisible depuis les autres habitations et les voisins ne sont pas armés à ma connaissance. Ne vous préoccupez pas de l’heure, procédez comme ça vous arrange. Bonne route !

Et tandis que Patrick a les yeux fixés sur la route, les miens se ferment.

Livré

Le lendemain, je pense attendre dix heures pour appeler ma mère et prendre des nouvelles de la livraison, lui donnant le temps d’émerger tranquillement. Mais elle me devance.

Bonjour maman, il n’est même pas huit heures, qu’est-ce que tu fais debout à cette heure matinale ?

Elle rit. Me raconte sa matinée comme une môme enivrée d’aventures.

Vers six heures du matin, elle qui n’entendrait pas un A380 s’écraser dans le jardin, perçoit le bruit d’un orage. S’inquiète pour la table.

– Je t’avais dit qu’elle était bien emballée et tu n’as quand même pas envisagé de la déplacer toi-même sous la pluie, si ?

– J’ai voulu voir, c’est tout.

– Je t’avais dit de dormir.

– Y’avait des éclairs partout dans le ciel, un vrai feu d’artifice, et il pleuvait à verse.

Mais le père Noël n’était pas passé. Elle entreprit alors d’ouvrir la porte du garage pour que le meuble puisse être déposé au sec.

– Mam, tu as dépassé l’âge de sortir la nuit, non ? Sous la pluie en plus. Et de tenter d’ouvrir une porte lourde et rouillée. Je t’avais dit de ne t’inquiéter de rien et de rester au lit.

– Je n’ai pas pu ouvrir la porte en entier et je me suis un peu trempée. Mais c’est pas grave.

– Tu es allée te recoucher j’espère.

– Pas tout de suite. Et quand je suis ressortie un peu plus tard, la camionnette se trouvait devant le garage. Ton gars est intelligent, il a compris qu’il fallait déposer le meuble au sec. Il allait refermer la portière mais il m’a vue. Je lui ai offert le café et on a papoté un peu. Pas longtemps, il était pressé, c’est surtout lui qui a parlé. Il m’a raconté qu’il a acheté une maison à Saint-Gaudens qu’il retape, qu’il fait les allers-retours tous les quinze jours, qu’il espère bien s’y installer définitivement un jour, qu’il doit passer prendre un copain à Toulouse qui va l’aider, qu’il vient de perdre sa grand-mère de 100 ans et demi qu’il adorait,  que si j’ai besoin de transporter quoi que ce soit vers chez toi, il repassera bien volontiers…

– Je vois en effet que vous n’avez pas parlé beaucoup. Surtout que tu n’avais pas encore, à cette heure-là, mis tes audioprothèses. Il a dû t’en raconter des trucs le mec, pour que tu captes tout ça !

– Il avait envie de parler un peu après toute cette route. Mais moi je ne lui ai pas raconté grand-chose.

– J’imagine. Tu trouves ça raisonnable de faire entrer chez toi un homme que tu ne connais pas ?

– C’est toi qui me l’as envoyé. C’est pas un étranger.

– On est de vieux potes, j’oubliais. J’ai appris son existence hier et je l’ai vu dix minutes en tout et pour tout, c’est dire !

– Tu as ses coordonnées, tu le connais. Il est intelligent, il a compris pour le garage, et très sympathique. Je lui rappelle sa grand-mère, il m’a dit. Et puis bel homme avec ça. Et costaud.

–  Sourde mais pas aveugle, dis moi. Tu t’es levée à six heures du mat, tu t’es trempée, mais tu es ravie de ton début de journée.

– Il m’a distrait.

– Alors je m’incline. Merci Mam en tout cas, je te rappelle ce soir.

Paroles et paroles

À peine ai-je raccroché d’avec ma mère qu’un Sms s’annonce.

Bonjour Sabine, je viens de déposer la table chez votre mère. Dans le garage qu’elle m’avait ouvert. Un peu plus tard que prévu mais j’ai préféré m’arrêter en route pour dormir deux heures. Votre mère est charmante, elle me rappelle ma grand-mère que je viens de perdre. Elle avait envie de parler un peu, la solitude lui pèse mais elle est très satisfaite de ses filles qui s’occupent bien d’elles. J’ai hésité à accepter son café et ses biscuits mais une pause était la bienvenue et je suis parfaitement dans les temps pour retrouver un ami à Toulouse d’ici 9h30. Je vous souhaite de vous rétablir très vite, à votre sœur de réussir son examen, à votre fils aîné de trouver très vite un job et au cadet j’adresse mes félicitations pour ses brillantes études. Et enfin, bon emménagement à votre neveu dans sa nouvelle maison. Je connais un peu le coin, il va s’y plaire. N’hésitez pas à me solliciter à nouveau si vous avez autre chose à transporter. Bonne journée. Patrick.

Chéri, ma mère n’a rien dit sur toi à son nouvel ami. Tu devrais être vexé, lancé-je à mon mari qui sort tout juste de la douche.

Bonjour Patrick, merci pour votre gentillesse, votre prévenance et votre efficacité. Ma mère a beaucoup apprécié votre compagnie matinale. Votre présence a ensoleillé sa journée. Vous savez maintenant qu’à Souillac c’est un petit-déj qui attend les voyageurs et non pas un fusil. Encore merci pour ce transport. Notre table se réjouit de commencer une nouvelle vie grâce à vous. Bonne route jusqu’à Toulouse et au-delà, et profitez bien de votre séjour occitan. Sabine

Rires

En fin de journée, je rappelle ma mère. Alors, tu as passé une bonne journée ? J’espère que tu as fait la sieste.

Mère raconte que, profitant d’une belle éclaircie, elle est allée se promener en début d’après-midi plutôt que de se reposer, qu’elle a rencontré une voisine devant l’église. Qui n’a pas entendu la camionnette ce matin.

– Comment veux-tu qu’elle l’ait entendue ? Elle dort côté opposé, elle est sourdingue et shootée aux calmants. Tu es une vraie môme, tu voulais lui parler de l’apollon pour lequel tu t’es levée à l’aube, c’est ça hein ?

Mère se met à rire.

– Beau garçon et intelligent.

– Tu oublies : et très sympathique. Il m’a envoyé un sms, visiblement le plaisir a été partagé. Alors je lui ai proposé de s’arrêter prendre un café les fois où il a envie de faire une pause. J’ai bien insisté en lui disant que surtout il n’hésite pas, que tu serais ravie de l’accueillir peu importe l’heure.

– Pourquoi pas ? Je lui rappelle sa grand-mère.

– Je ne plaisante pas, Maman, il pourrait bien s’arrêter. Mais la prochaine fois où tu me dis que tu ne veux pas d’inconnu chez toi pour quelques travaux d’entretien, je ne t’écouterai pas, parce que tu pourrais bien tomber sur un plombier canon qui te demandera de l’adopter. Voire de l’épouser. Le sexappeal des nonagénaires, ça ne se sait pas, mais ça fait des ravages tu sais.

Ma mère rit de plus belle. D’un rire de gamine.

images : Pixabay

Oscar et Mamie Rose

A Mortemart ( un nom qui m’évoque Harry Potter, allez savoir pourquoi), charmante bourgade de Haute-Vienne, quelques rares personnes dans les ruelles, un chien et deux moutons aperçus dans un pré, un ciel gris menaçant et une seule boutique ouverte ce lundi de Pâques. Une bouquinerie. « Ici on trouve des livres et de quoi discuter », l’offre était alléchante.

Effectivement, un moment plus tard, ma tête était enrichie de conseils de visite et mes bras chargés de livres. Parmi eux, un mince roman, Oscar et la dame Rose d’Eric-Emmanuel Schmitt (une œuvre datant de 2009, devenue culte, déclinée en pièce de théâtre et film… et qui m’avait complètement échappée, je dois l’avouer. Je me suis renseignée depuis). C’est dans la salle d’attente de mon médecin que j’ai décidé de le lire, en espérant sans doute ne pas avoir le temps de l’y terminer malgré sa modeste longueur. Vœu pieu. Mais qu’importe puisqu’il m’a offert un doux moment de lecture.

Oscar a 10 ans et il est mourant. Ses parents sont désemparés, son chirurgien honteux, les infirmières désarmées. C'est auprès de sa visiteuse, Mamie Rose, qu'il trouve du réconfort. Elle lui donne les clés pour vivre sereinement ses derniers jours. Un roman délicat dans lequel l'auteur a su parler de la douleur, de la tristesse, de la souffrance avec poésie, philosophie et humanisme. Une belle leçon de vie et de mort.

D’ailleurs, je l’ai offert à mon médecin, ce joli livre, aussitôt entrée dans son cabinet, en  étant certaine qu’elle l’appréciera. Peut-être même qu’elle le donnera à son tour à l’un de ses patients, je sais qu’elle aime leur prêter des romans dont la lecture, dit-elle, peut leur faire du bien. Passeuse de livres, elle l’est elle aussi.

Image : extrait de la couverture Ed.Livre de poche